
«Si la diversité ne peut pas s’exprimer, elle repart !»

Vous êtes passée de responsable des ressources humaines France à leader diversité & inclusion monde. En quoi cela est-il différent? Marine Palies: Lorsque j’étais DRH, je me concentrais sur l’ensemble du processus de la vie d’un salarié: comment sourcer les candidats, les recruter, les former, les développer, les retenir, gérer les sorties… Et j’exerçais ce métier avec une lentille inclusion et diversité. Dans mon rôle d’I&D leader, ma clé d’entréeest l’inclusion et la diversité, dans toutes ses dimensions. Cela couvre toute la chaîne de valeur de l’entreprise, et plus seulement les ressources humaines - même si elles restent un aspect important de mon métier. Je travaille aussi avec la communication, sur la façon de représenter l’inclusion et la diversité dans les visuels par exemple; avec l’équipe immobilière, sur les aménagements de locaux pour les personnes en situation de handicap ; avec les gérants, sur la prise en compte de l’inclusion et de la diversité dans les processus d’investissement… Par ailleurs, mon périmètre est désormais mondial. Avez-vous des objectifs en matière de diversité et d’inclusion? Nous avons des objectifs de représentation. L’un d’eux porte sur la mixité. Dans ce domaine, nous suivons les objectifs du groupe Allianz d’avoir un minimum de 30 % de femmes au plus haut niveau de l’organisation à fin 2024. Aujourd’hui, nous sommes à 50-50 et avons dépassé cet objectif. Concernant notre comité International Management Group, nous ciblons 30 % de femmes, contre 28 % aujourd’hui. Pour les managing directors, nous visons 40 % et sommes à 23 %. Nous avons aussi des objectifs sur le handicap. Nous sommes en règle avec la loi dans les pays où il existe des obligations légales, mais pas nécessairement en ayant des salariés reconnus comme étant en situation de handicap. Certains handicaps sont en effet invisibles. Et il y a une forte probabilité qu’au sein de notre organisation nous ayons déjà des collaborateurs en situation de handicap mais qui n’ont pas osé se dévoiler. Enfin, nous avons des objectifs, pas forcément chiffrés, d’inclusion. C’est une chose de vouloir attirer et valoriser la diversité dans l’organisation, mais si elle ne peut pas s’exprimer, elle repart. La culture de l’inclusion où chacun se sent libre d’être celui ou celle qu’il ou elle est primordiale. On ne peut pas valoriser la diversité et dire à tout le monde de rentrer dans un moule ! Comment favoriser un environnement inclusif? Nous avons lancé un chantier sur la sécurité psychologique pour que les collaborateurs puissent se sentir à l’aise d’exprimer une opinion en réunion, même si elle va à l’encontre de l’opinion dominante. Nous avons repensé notre politique anti-discrimination et anti-harcèlement à l’échelle mondiale. Pour la première fois, j’ai participé à la rédaction de ce document, qui est plutôt l’apanage de l’équipe legal & compliance. Enfin, en janvier 2021, nous avons lancé Rungway, une plate-forme en ligne qui ressemble à un réseau social, à la différence qu’il y a une modération. Elle regroupe plus de 600 inscrits dans le monde. Cet outil permet aux salariés de poser toutes les questions qu’ils n’ont jamais osé demander de façon anonyme et d’y répondre. Quelles questions les collaborateurs posent-ils ? Il peut s’agir d’un collaborateur qui vient d’arriver chez AllianzGI, qui fait une présentation pour la première fois devant ses supérieurs et s’interroge sur les codes de l’entreprise dans ce domaine. Nous avons reçu une question très touchante d’une personne qui voulait faire son coming out auprès de ses collègues et demandait des conseils sur la manière de s’y prendre. L’existence de ce réseau permet de bénéficier d’un fort soutien collectif et de rester en contact facilement. L’un de nos autres leviers d’action sur l’inclusion est la communication. Nous nous servons de toutes les dates importantes, comme la journée de la santé mentale ou celle des droits des femmes, pour réaliser des actions de sensibilisation autour de ces sujets. Cela peut sembler anodin, mais c’est l’occasion de susciter des discussions. Ainsi, il y a deux ans, nous avons fait un premier événement lors du coming out day. A cette occasion, de nombreuses personnes m’ont demandé pourquoi je poussais les gens à faire leur coming out. Ce n’était évidemment pas l’objectif. Mais cela a suscité des conversations et d’expliquer que des personnes ne se sentent pas à l’aise de faire leur coming out. Ce calendrier évolue chaque année. En 2022, nous avons parlé pour la première fois du cancer en entreprise, qui peut aussi être un tabou. Je suis en prise avec les évolutions de la société et l’actualité. En ce moment, la guerre en Ukraine, la reprise du covid en Asie créent des niveaux d’anxiété incroyables. Nous regardons les actions de prévention que nous pouvons mettre en place. Vous couvrez de nombreux pays. Constatez-vous des disparités régionales en matière d’inclusion et de diversité? Le pays le plus mature au monde dans ce domaine est l’Angleterre. Cela s’explique en partie par un cadre juridique propice à la communication sur ces sujets et une histoire différente. Nous sommes d’ailleurs en train de lancer une initiative pour recueillir davantage de données sur les dimensions de diversité au sein de notre bureau de Londres. L’objectif est de connaître la composition de nos salariés de notre bureau à Londres pour ensuite croiser ces informations avec d’autres données de type sondage afin d’étudier in fine l’expérience collaborateurs d’un point de vue à la fois de la majorité et des minorités. Pourquoi ne pas le faire aussi en France? La loi ne le permet pas. Il existe aussi des freins culturels importants. Aux Etats-Unis, la personne afro-américaine veut être reconnue comme telle. En France, une personne noire en France veut être reconnue comme française. La question des origines culturelles est sensible. Comment aborder la diversité géographique de la diversité ? Beaucoup de messages peuvent être mondialisés. Plutôt que d’aborder séparément les différentes thématiques comme le genre, le handicap ou les origines ethniques, je cherche à identifier ce qui est commun à toutes les minorités: les discriminations, le harcèlement, le soutien de la majorité, la notion de privilège... Cette approche différente et transversale des difficultés que les minorités peuvent rencontrer permet d’être plus inclusif. Allianz GI a pris la présidence tournante du 30 % Club. Pourquoi? Marie-Sybille Connan: Dès sa création en novembre 2020, l’initiative Club 30 % France a retenu mon attention, car notre rôle d’investisseur responsable est de promouvoir plus de parité dans les entreprises. Les entreprises plus inclusives et diverses sont plus innovantes, plus performantes et plus pérennes. Au-delà de cet aspect financier, nous avons un rôle sociétal. Nous avons rejoint l’initiative le 8 mars 2021. Cette année, c’est AllianzGI qui en assure la présidence et j’en suis la représentante. L’initiative française découle du Club 30 %, qui a été lancé en 2010 par le Royaume-Uni. L’objectif était d’atteindre 30 % de représentation des femmes dans les instances dirigeantes, tant au niveau du conseil d’administration que du comité exécutif. Trente pour cent est la taille critique à partir de laquelle on considère qu’une minorité commence à faire à se faire entendre et à changer la dynamique au sein d’un groupe. Il existe six autres clubs. Tous ont cet aiguillon de 30 % mais l’horizon de temps varie d’un pays à l’autre. En France, nous avons choisi 2025 comme échéance. Nous avons des quotas, qui constituent un vecteur de prise de conscience et d’accélérateur de changement. Les atteindre ne doit pas répondre uniquement à un objectif réglementaire, mais cela doit être un élément qui suscite une réflexion et une refonte des pratiques des entreprises. Et nous, en tant qu’investisseur, nous avons un rôle à jouer. Comment avez-vous fait bouger les lignes? Nous avons mené des actions d’engagement auprès des entreprises pour leur montrer l’importance de la parité sur la performance, comprendre les blocages auxquels elles sont confrontées, déterminer des bonnes pratiques et émettre des recommandations. Après une année d’existence, le Club a publié son premier rapport annuel. Les entreprises ont été très réceptives et ouvertes au dialogue. Mais le plafond de verre subsiste. Quels sont les blocages? Il y a des blocages au sein des entreprises mais aussi au niveau du système éducatif et des barrières mentales que les femmes s’imposent. Au sein des entreprises, il y a des plans d’action à mettre en place. La première étape est de faire un état des lieux et d’étudier la représentation des femmes dans l’ensemble de l’effectif, et d’analyser comment cette répartition évolue au fur et à mesure de leur carrière. On constate qu’il y a de la perte en ligne au moment des maternités. Il faut donc étudier ce qu’il est possible de mettre en place pour favoriser le retour des salariées au travail. Et prévoir du télétravail, du travail flexible, des places en crèche, etc. C’est aussi à ce moment-là qu’on constate un décrochage en termes de rémunération, alors que lors du recrutement, à compétences égales, on arrive à avoir un salaire égal entre hommes et femmes. On remarque qu’il est aussi important d’avoir des role model. Il faut travailler sur les biais cognitifs, prévoir des femmes dans les plans de succession… Au sein du Club, nous avons établi une liste d’indicateurs clés de performance que nous avons demandé aux entreprises de nous communiquer. A ce stade, l’information n’est pas forcément disponible, ni comparable. Notre objectif sur les trois ans à venir est que l’information devienne plus granulaire et représentative de ce que nous souhaitons et que les lignes bougent. De nombreux changements de management arrivent dans les grandes entreprises du CAC 40 et du SBF 120. Nous avons une vraie fenêtre de tir pour que la situation s’améliore!
Plus d'articles du même thème
-
«Dans le crédit, nous sous-pondérons les titres de la catégorie triple B»
Bart aan den Toorn, gérant senior obligataire crédit chez Van Lanschot Kempen -
«L’année 2024 devrait permettre un nouveau rebond de l’euro-dollar»
Kit Juckes, responsable stratégie change chez Société Générale CIB -
Les obligations souveraines indiennes vont intégrer des indices émergents de JPMorgan
Plus de 230 milliards de dollars d’encours sont exposés à la gamme d’indices obligataires souverains émergents de la banque américaine.
Sujets d'actualité
- Ark Investment débarque en Europe avec le rachat de Rize ETF
- Lorenzo Gazzoletti: « Richelieu Gestion est en quête d’acquisitions »
- Amundi ajoute un fonds event driven à sa plateforme de hedge funds Ucits
- Le régulateur américain adopte ses nouvelles règles sur les dénominations de fonds d’investissement
- Delubac AM dévoile son premier fonds monétaire
Contenu de nos partenaires
-
Exclusif
Séisme au Maroc: dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI
L'Opinion a reconstitué les premières heures post sinistre du roi du Maroc pour répondre à la catastrophe naturelle la plus mortelle de son règne -
Spécial Pologne
« Les Russes veulent revenir » - la tribune d'Eryk Mistewicz
« Il y a 30 ans, le dernier soldat soviétique a quitté la Pologne. À en croire les idéologues de Poutine, les Russes aimeraient aujourd'hui retourner en Pologne et dans toute l'Europe centrale. Nous faisons tout, nous, Polonais et Ukrainiens, Français aussi, tous en Europe et aux États-Unis, pour les en empêcher », explique le président de l'Instytut Nowych Mediówryk. -
Editorial
Antonio Guterres, le prophète de malheur qui ne fait peur à personne
Le Secrétaire Général de l’Onu va crescendo dans les prévisions apocalyptiques