Naïm Abou-Jaoudé, patron résilient

Laurence Marchal
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Arrivé dans la finance «par accident», Naïm Abou-Jaoudé a plutôt bien mené sa barque. Il est à la tête de Candriam, une société de gestion qui enchaîne les succès depuis plusieurs années, et vient d’être nommé président de l’Efama, l’association européenne des fonds et de la gestion d’actifs. Il est aussi président de New York Life Investments. Pourtant, la traversée n’a pas été un long fleuve tranquille. Né au Liban, Naïm Abou-Jaoudé est arrivé à l'âge de 12 ans en France pour échapper à la guerre civile qui avait éclaté dans son pays. En plus de quitter sa terre natale, il laisse ses parents – médecins - restés au pays pour soigner les blessés. Il s’installe à Paris avec ses deux grands frères et un tuteur. Naïm Abou-Jaoudé admet pudiquement que tout cela n’a pas été facile mais préfère évoquer sa chance d’avoir été accueilli par la France et d’avoir pu y faire ses études. Cette expérience précoce de l’autonomie le fait grandir plus vite que les autres. «Je signais moi-même mes carnets de correspondance», s’amuse-t-il. Cela l’aide peut-être aussi à rompre avec la tradition familiale d’exercer la médecine. «J’étais destiné à faire médecine. Mais j’ai réalisé que je n’en avais pas la vocation », avoue-t-il, s’excusant presque. Il se tourne alors «par hasard» vers des études d’économie et de finance à Assas et Science Po. Le baptême de la finance Puis survient «l’accident» qui le fait basculer dans la gestion d’actifs. «En deuxième année à Sciences Po, il fallait faire un stage», raconte-t-il. Naïm Abou-Jaoudé écrit alors des centaines de lettres de motivation, envoie des CV. En vain. «Tous mes camarades avaient des stages, sauf moi. Je n’avais pas les bons réseaux, ni les bons tuyaux », analyse-t-il. Il entend alors parler d’un stage chez Indosuez. «J’ai fait le forcing en allant directement chez eux, et c’est comme cela que j’ai décroché mon premier stage». Commence alors l’aventure financière. «J’ai rencontré des gens formidables, comme Erich Bonnet, passionnés par la finance!», s’enthousiasme-t-il. Une passion qu’ils lui transmettent. Alors qu’il prépare son Grand Oral, Erich Bonnet l’appelle, lui annonce que l’équipe pour laquelle il travaillait est partie chez Transoptions Finance, et lui propose de les rejoindre. Naïm Abou-Jaoudé devient market maker sur les taux. Au début des années 1990, une petite société de gestion est créée à côté de Transoptions Finance. Naïm Abou Jaoudé y monte et gère un fonds d’obligations convertibles, dont il s’occupera pendant plusieurs années. «Au bout de trois ans, on m’a proposé de devenir partenaire. J’adorais ce que je faisais», se remémore Naïm Abou-Jaoudé. En 1995-1996, Transoptions Finance est absorbée par la BGP, filiale du Crédit Agricole Indosuez. Ses huit salariés partent alors chez Alfi Gestion pour y monter une activité de gestion alternative aux côtés d’Eric Bonneville. C’est là que se forme une partie de l’équipe que l’on retrouve encore aujourd’hui chez Candriam - Fabrice Cuchet, Philippe Noyard ou Emmanuel Terraz. «Une bonne partie de l’équipe de gestion d’aujourd’hui a démarré ensemble dans les années 90!», souligne Naïm Abou-Jaoudé. «En termes de stabilité, de loyauté et de continuité, il y a peu d’exemples de ce type sur le marché ». Alfi Gestion sera ensuite vendue à UBS puis à… Dexia. Les années difficiles Dans le giron de Dexia, Naïm Abou-Jaoudé se voit proposer le rôle de directeur général de Dexia AM en 2006. Un poste qu’il n’a pas spécialement convoité. Encore un accident, somme toute. «Cela n’était pas du tout un objectif. J’étais un gérant qui était passionné par le métier de gestion », confie-t-il. «J’ai été très surpris qu’on me propose le poste. Avec le recul, je pense que ma connaissance des métiers de gestion et des équipes a dû jouer en ma faveur», analyse-t-il. Naïm Abou Jaoudé renonce au contact direct avec les marchés pour travailler sur le développement de la société, des produits, le support, les relations avec les clients, l’actionnaire… Après quelques mois de «développement à tout va et d’insouciance» survient la crise financière de 2008. Le ciel s’assombrit soudain, d’autant plus que Dexia connaît de nombreux déboires et se voit contraint de vendre tous ses biens, dont la gestion d’actifs. Débute alors une longue période d’incertitude pour Dexia AM. Pour assurer son devenir, il faut trouver un nouvel actionnaire. Et ce, dans un contexte tourmenté. «Le processus de vente a duré deux ans et demi. A cette époque, nous étions tout juste rentables. Il fallait tenir. Nous devions gérer les coûts au quotidien, tout en essayant de conserver les équipes qui étaient convoitées par la concurrence. Et il fallait trouver un acquéreur et un avenir à la société », se souvient Naïm Abou-Jaoudé. Dans la tempête, le capitaine garde le cap, en puisant dans l’humain et le collectif, notamment dans ces équipes qu’il connaît depuis des années. Et il finit par trouver un actionnaire en 2014, après une première déconvenue avec un groupe basé à Hong Kong. Il s’agit de New York Life Investments. Dexia AM devient alors Candriam. De cette expérience difficile, Naïm Abou-Jaoudé ne retient là encore que le côté positif. «Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort», cite-t-il (Nietzsche). «La force de Candriam aujourd’hui, c’est d’avoir traversé cette épreuve avec les équipes», ajoute-t-il. Naïm Abou Jaoudé sort lui aussi grandi de cette crise. «Ce fut une bonne expérience pour démarrer en tant que CEO au bout de 18 mois», analyse-t-il. «Je me suis retrouvé à gérer la crise financière et les conséquences de la crise de Dexia pour notre activité. J’ai beaucoup appris à cette période», résume-t-il. La renaissance Depuis le rachat par New York Life Investments, c’est «la renaissance». «Nous figurons parmi les 20 gestionnaires ayant eu la croissance la plus rapide en termes d’actifs. Nous sommes passés de 65 milliards d’euros d’encours à plus de 140 milliards d’euros. Cela a été une réussite à tous les niveaux: marque, produits, encours...», s’enorgueillit Naïm Abou-Jaoudé, qui souligne s’être appuyé sur l’humain et le collectif. Candriam recueille aussi les fruits de son positionnement précoce sur l’investissement durable et responsable et de son acharnement dans ce domaine. Naïm Abou-Jaoudé admet que cela n’a pas toujours été une évidence. Car l’activité n’était pas rentable et, pendant les années de vaches maigres, garder les équipes et continuer à investir dans ce domaine était un défi. Mais là encore, la société tient bon. Une conviction payante. Aujourd’hui, la société gère près de 90 milliards d’euros en ESG et figure parmi les spécialistes de ce domaine. Famille et sport Passionné et très accaparé par son métier, Naïm Abou-Jaoudé consacre son précieux temps libre à sa famille et notamment ses trois garçons de 14, 11 et 7 ans. «Mes week-ends ne sont pas très reposants entre le foot et les activités!», sourit-il. Ancienne ceinture noire de judo, Naïm Abou-Jaoudé aime commencer ses journées par une courte séance de sport – marche ou course à pieds. Quand il peut prendre des vacances, il apprécie la marche en montagne. Il a découvert le ski de randonnée il y a un an, qui joint l’effort physique au calme des sommets, et qu’il préfère désormais au ski de piste. Il pratique aussi le tennis. Alors que l’Europe sort peu à peu du confinement et qu’il vient de se faire vacciner, le patron de Candriam estime que la période que nous venons de vivre a été l’une des plus difficiles pour sa société après celle qui a suivi directement la crise financière. «Cela a créé une anxiété énorme chez tout le monde, partout. Nous avons déployé beaucoup d’énergie pour garder les équipes motivées, mais aussi pour aider les personnes seules», dit-il. D’un point de vue personnel, les deux confinements à Londres avec l’école à la maison ont parfois été acrobatiques, et les parties de foot en intérieur ont fait un peu de casse... Mais, comme toujours, Naïm Abou-Jaoudé relativise. Surtout face à la profession médicale, dont il se sent proche et pour laquelle il éprouve une grande admiration, même s’il a choisi un autre métier. Dont il estime d’ailleurs qu’il peut et doit aussi avoir un impact…

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