« La place quantitative de Paris est plutôt en attrition »

Denis Beaudoin, fondateur et président de la société de gestion quantitative et discrétionnaire Finaltis, revient pour NewsManagers sur l'évolution de la firme, la difficulté d'être gérant uniquement quantitatif alternatif à Paris ou encore la reprise de fonds d’investissement par Finaltis.
Adrien Paredes-Vanheule
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Finaltis a connu plusieurs phases dans son existence. Où en êtes-vous aujourd’hui? Nous existons depuis bientôt 21 ans et nous avons connu trois vies: une première assez courte en tant que société de conseil en investissement alternatif, puis une deuxième de 12 ans en tant que gestionnaire et incubateur alternatif quasi-exclusivement quantitatif, et enfin le gestionnaire quantitatif et discrétionnaire que nous sommes aujourd’hui. La bascule s’est faite en 2015, en repartant quasiment de zéro. La confiance de quelques investisseurs et un double choix stratégique nous ont alors permis de survivre à ce qui a conduit à la disparition récente d’autres gestionnaires quantitatifs. Quel était ce double choix? Le premier est né du développement avorté de notre gestion quantitative alternative dans le cadre Newcits (fonds alternatifs Ucits).En effet, nous avons constaté au début des années 2010 que la demande de gestion quantitative alternative en format Newcits n’existait pas dans des volumes suffisants pour assurer notre développement. La collecte s’est élevée à 140 millions d’euros en 4 ans sur notre gamme de trois fonds Newcits. C’était tout simplement insuffisant, et nous avons donc rendu l’argent et fermé l’activité.Notre deuxième décision a été de sortir de l’alternatif en 2015 et de nous développer en gestion directionnelle sur deux axes. La gestion quantitative institutionnelle d’abord en prolongeant une partie de nos travaux sur notre ancien fonds equity market neutral. Cela nous a permis de lancer un fonds long-only quantitatif sur les actions - Finaltis EfficientBeta Euro – basé sur une philosophie de variance minimale visant à capturer l’anomalie de faible volatilité sur les actions. La gestion patrimoniale intermédiée ensuite par de la gestion actions long-only discrétionnaire. Quelle est votre clientèle? En gestion quantitative, nos clients sont presque exclusivement des institutionnels et des fonds de fonds. Pour la gestion discrétionnaire, il s’agit de fonds de fonds, de gestionnaires de patrimoine, de family-offices et de banques privées. Nous n’avons pas de clients privés en direct. En 2015, nous sommes repartis avec 700.000 euros d’encours. En juin 2016, le fonds d’incubation Emergence nous a apporté son soutien à hauteur de 35 millions d’euros dans le fonds Efficient Beta Euro, ce qui a aidé ce dernier à atteindre progressivement près de 100 millions, avant la sortie programmée d’Emergence et une décollecte sous l’effet des ratios d’emprise. Des investisseurs fidèles et le soutien du fonds de place 2I Sélection ont permis de poursuivre: le fonds gère aujourd’hui 42 millions d’euros et commence son développement hors de France. Au total, Finaltis gère à présent 480 millions d’euros en fonds et mandats. La clientèle est institutionnelle à 74% et patrimoniale intermédiée à 26%. Nous servons 63% de clients étrangers (contre 90% avant 2015) et 37% de clients français. Vous avez récupéré plusieurs fonds. Pourquoi? Nous avons récupéré la gestion des fonds Digital Leaders de Fourpoints IM en décembre 2016, Gold de Landolt & Cie en novembre 2021, puis Cyril Systematic de John Locke Investments en février 2022 pour deux raisons majeures: l’intérêt de notre clientèle pour leurs thèmes et notre capacité à les faire évoluer. Le point commun des reprises, c’est qu’on «Finaltise» ces fonds; on se les approprie dans la durée pour qu’ils gardent leur pertinence. Le cas de Cyril Systematic est-il particulier au regard de la situation de John Locke? Nous avons été très proches de John Locke Investments. Leurs équipes ont ainsi passé ces deux dernières années dans nos bureaux; nous en connaissons les fondateurs depuis 2001. John Locke était positionné sur deux classes d’actifs que nous avions abandonnées en 2015, les gestions equity market neutral et commodity trading advisor (CTA). Les taux à zéro ont créé un vent de face pour les gérants equity market neutral. John Locke a relevé le gant, s’est vaillamment défendu mais a dû fermer le fonds. Quant au CTA, aller vers la seule gestion Newcits, qui exclut les matières premières, a été une erreur que beaucoup d’entre nous ont commise: on perd le coeur de la clientèle pour ce type de fonds qui se trouve en Europe du Nord, en Suisse et aux Etats-Unis essentiellement, sans convaincre les acheteurs de fonds Ucits. La solution nous semble de maintenir un fonds vitrine et de développer des mandats dédiés incluant des matières premières pour les institutionnels allocataires de CTA. Avec la reprise de la gestion du fonds CTA de John Locke, dont nous avons acquis les sources du modèle, et de ses encours de 32 millions d’euros provenant essentiellement d’investisseurs institutionnels, nous revenons dans cet univers dont nous étions un acteur français significatif jusqu’en 2015. Nous repartons à l’assaut de la clientèle internationale avec ce fonds pour point de départ. Vous avez également «hébergé» Eraam dans vos bureaux. Avez-vous envisagé de reprendre leur gestion risk premia? La gestion en primes de risque est une très bonne idée. Nous l’avions étudiée chez Finaltis il y a quelques années car nous étions convaincus par le potentiel de cette stratégie: nous ne l’avons pas développée pour concentrer nos moyens quantitatifs sur la variance minimale et l’intelligence artificielle. L’environnement et les performances ont été difficiles pour tous les gérants en primes de risque ces dernières années, Eraam compris. Si les gérants internationaux peuvent survivre, c’est parce qu’ils sont plus gros, avec des clients qui ont plus d’appétit pour les allocations et les risques quantitatifs que les investisseurs français. Nous avons discuté avec les parties concernées chez Eraam pour déterminer ce que nous pouvions sauver, mais aucune solution n’a malheureusement pu être trouvée. Envisagez-vous d’acquérir des sociétés de gestion? Nous reprenons des fonds, pas des sociétés. Nous avons les ressources humaines pour faire notre métier au jour le jour, pas pour gérer des fusions. D’autres gestionnaires sont venus nous présenter des fonds à reprendre mais nous avons souvent refusé soit parce qu’il y a eu une impossibilité, soit parce que nous ne nous sentions pas légitimes sur la classe d’actifs concernée. Nous sommes avant tout des gestionnaires d’actions, avec également un savoir-faire historique sur les contrats à terme. Nous avons fait une quinzaine d’incubations lorsque nous étions gestionnaires alternatifs: nous avons l’habitude de nous tenir informés des fonds en vente, et il y en a beaucoup en ce moment, et nous sommes directement sollicités sur certains dossiers de notre cercle de compétences. Lorsque cela a du sens pour nos clients et lorsque nous pouvons digérer l’absorption de ces fonds, nous réalisons l’opération. Que disent les liquidations récentes de gestionnaires quantitatifs français de la place parisienne? Dans l’arène quantitative internationale, les français restent petits, aux exceptions notables de CFM ou de Tobam. Il y a d’autres succès en devenir comme Metori Capital Management. Cependant, la place quantitative de Paris est plutôt en attrition. La gestion quantitative porte une quasi-obligation de résultat: elle nécessite de réaliser ses objectifs sous peine de renforcer le soupçon de «boîte noire». Vous pouvez manquer une année mais, si vous sous-performez à moyen terme, vos investisseurs remettent en question la pertinence de votre modèle d’autant plus vite que leur analyse initiale a été courte, et vous affrontez un risque de liquidation. Cela peut-il dissuader des quants de se lancer? Bien sûr. Pour lancer une gestion quantitative aujourd’hui, il faut être bien équipé et s’entourer d’investisseurs engagés sur le long terme. Il faut aussi être innovant et non pas «ripoliner» à coups d’ESG, d’exploitation de big data ou d’IA. Si on exploite ces sujets, il faut réellement apporter une valeur ajoutée, pas un discours marketing. L’ESG divise beaucoup chez les quants… Jusqu’en 2015, je ne pouvais pas vous démontrer que les fonds actions ESG surperformaient. Depuis 2015, prophétie auto-réalisatrice ou non, ça marche. Il y a des pressions de toutes parts pour investir dans un cadre ESG. Les actions des entreprises qui tiennent un discours ESG, produisent des rapports RSE, surperforment, ne serait-ce qu’en profitant des flux croissants de l’ESG. Si vous n’intégrez pas l’ESG aujourd’hui, vous négligez un fait explicatif majeur. Par ailleurs, si vous répondez «Article 6» dans les due diligences institutionnelles en Europe, c’est terminé. Comment abordez-vous les questions ESG/SFDR? La «SFDRisation» de nos fonds est la résultante d’un processus mis en place dès 2018. Mon métier est d’améliorer un couple rendement-risque: quand nos recherches nous ont convaincus que l’ESG apportait de la valeur à nos investisseurs, nous avons signé les PRI et intégré l’ESG dans un premier fonds en septembre 2018. Nos fonds de droit français sont catégorisés Article 8; la mise à jour de leurs prospectus prenant plus de temps, nos fonds luxembourgeois le seront courant 2022. Que pensez-vous de la fiabilité des données et notations ESG? Il y a un problème de congruence et de stationnarité, et avant tout un problème culturel. L’analyse ESG est l’inverse de la démarche d’un quant: la conviction prend l’ascendant sur la raison. Un exemple presque caricatural: bon nombre d’analystes ESG pensent que «le nucléaire, c’est mal». Ce n’est pas fondé sur la raison. Les agences de labellisation ISR tenaient encore ce discours en 2021. La pièce est heureusement tombée du bon côté à Bruxelles et le nucléaire est aujourd’hui inclus dans la taxonomie. A défaut, investir dans le nucléaire aurait été de fait pénalisé... et nous aurions dû l’accepter comme une «donnée». Au total, une notation ESG est d’abord l’expression d’une opinion. Ce n’est pas parce que c’est une opinion qu’elle n’a pas de valeur, mais c’est juste une valeur relative, dont la fiabilité est… relative.

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