
« La croissance structurelle des valorisations devrait perdurer »

Après la crise sanitaire s’enchaîne désormais la crise ukrainienne. Quelles en seront les conséquences pour le secteur du private equity ? Ce nouveau choc, dont on ne peut percevoir encore clairement les retombées et le scénario final, menace quoi qu’il en soit de toucher l’ensemble de l’économie. Il cumule les risques d’une crise énergétique, de type choc pétrolier, à une crise financière. Comme lors de la chute de Lehman Brothers en 2008, les relations de confiance du système interbancaire se brisent. Mais les conséquences d’une faillite de la Russie peuvent être supérieures à celles de l’ex-banque américaine, les engagements induits dans chacun des cas étant sans commune mesure dans leur distribution et impacts potentiels. Ainsi, quels que soient le secteur et la géographie, les sociétés en portefeuille seront, à plus ou moins grande ampleur, fragilisées compte tenu du risque macroéconomique. Vos projets d’investissement sont-ils mis à l’arrêt ? Nous avons suspendu certains dossiers sur lesquels nous étions engagés. Pour combien de temps ? Cela est difficile à dire, l’univers des solutions menant à une fin de crise étant aujourd’hui très large. Durant la crise du Covid, le secteur s’était mis en pause pendant deux mois afin d’y voir plus clair, puis l’activité avait réellement repris au bout de six mois. Ce scénario devrait se reproduire avec cette nouvelle crise. Dans le private equity, nous sommes en permanence vendeurs et acheteurs d’actifs, mais contrairement aux traders, nous avons l’avantage de travailler sur un horizon de temps long, de cinq à dix ans. Nous pouvons donc attendre d’avoir un peu plus de visibilité pour trouver le meilleur point d’entrée. C’est donc l’enjeu de votre dernier fonds de private equity, bouclé en début d’année ? Ce véhicule de onzième génération, de 6,9 milliards d’euros, est d’ores et déjà investi au tiers. Nous privilégions toujours des sociétés peu cycliques et ayant un fort potentiel de revalorisation telles qu’IMA en Italie, Tentamus en Allemagne ou Davies au Royaume-Uni. Par ailleurs, notre portefeuille compte sept sociétés dans le fonds IX – levé en 2012 pour 6,5 milliards d’euros – et une vingtaine dans le fonds X – levé en 2017 pour 7milliards – où les points d’entrée étaient alors plus bas. Plus globalement, nous cherchons toujours à équilibrer les risques, en fonction de différents paramètres tels que les millésimes, les secteurs, la géographie, l’effet devise... Nous ne regardons jamais un investissement isolément et prenons toujours la décision en ayant une vision globale de notre portefeuille. Nos participations, basées en Europe continentale ou aux Etats-Unis, sont par ailleurs exposées en termes d’activité à moins de 1% à la Russie et l’Ukraine, des zones pour lesquelles nous avons toujours pensé que le risque macroéconomique était trop élevé. Qu’en est-il des valorisations, à des niveaux historiquement hauts ? La crise peut générer, sur plus ou moins longue durée, une contraction des multiples. Cela est particulièrement vrai pour des secteurs ayant enregistré une croissance fulgurante l’an passé. Les acteurs très fortement exposés à la tech, par exemple, vont en faire les frais. De notre côté, notre exposition est limitée à 15%. Sur le plan géographique, les expositions en Europe centrale sont touchées de plein fouet. Cette zone géographique risque d’être longtemps perçue comme un marché émergent à forte prime de risque, ce qui va poser problème pour les cessions à venir de certains fonds. Toutefois, au-delà de ces corrections, on observe une croissance structurelle des valorisations, qui devrait perdurer sur le long terme. Ce mouvement répond à une logique d’offre et de demande. Or, si le nombre de cibles reste aujourd’hui relativement stable, les montants à investir ne cessent de progresser, et ce à un rythme très soutenu. Qu’en est-il des conséquences d’une remontée des taux ? L’effet se révèle très limité pour des activités comme la nôtre, car nous investissons dans des activités ne nécessitant pas beaucoup de capex (dépenses d’investissement, NDLR) et nos retours sont peu dépendants du niveau absolu des taux. Par ailleurs, la part de dette dans le financement d’acquisition aura certes un coût plus élevé mais cela restera largement gérable, de l’ordre de quelques dizaines de points de base de taux de rentabilité interne (TRI). Ce qui est plus problématique en revanche, c’est que le marché de la dette est aujourd’hui quasiment fermé en Europe. Les banques se montrent extrêmement prudentes. Le marché étant en phase d’ajustement, les opérations de syndication peuvent ne pas aboutir. Qu’en est-il de vos développements ? Nous avons réalisé une année 2021 historique avec 3,5milliards d’euros retournés à nos investisseurs contre 1,2 milliard en 2020, ainsi que 2 milliards d’euros déployés contre 700 millions l’an passé. Dans le crédit, activité que nous avons lancée en 2017 et que nous déployons véritablement depuis deux ans, nous totalisons aujourd’hui 8 milliards d’euros d’encours. Cette stratégie, qui se concentre essentiellement sur les Etats-Unis, devrait dans les trois ans dépasser les 12milliards d’euros d’encours. Nous venons par ailleurs de boucler notre premier fonds immobilier, qui a atteint 900millions d’euros et dont presque la moitié est déjà déployée. Nous prévoyons de doubler rapidement de taille dans cette activité, focalisée sur les stratégies value add en Europe. Comptez-vous suivre le mouvement de nombre de vos concurrents qui s’introduisent en Bourse ? Le secteur du private equity repose sur l’alignement d’intérêts entre les équipes de gestion, qui investissent dans le véhicule, et les investisseurs. S’introduire en Bourse et bénéficier d’un capital permanent va à l’encontre de ce principe et nécessiterait la fin de notre modèle de gouvernance fondé sur une private partnership. Pour soutenir notre développement, nous avons préféré opter pour une autre alternative. C’est pour cela que nous avons conclu en 2019 une alliance avec Blackstone, qui est devenu l’un de nos actionnaires minoritaires, sa part étant inférieure à 15% dans un rôle purement passif.
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