Isabelle Delattre voit la vie en vert

Désormais directrice du pôle Finance Responsable et Durable de Crédit Mutuel Asset Management, Isabelle Delattre retrace pour nous les étapes de son parcours professionnel. Très tôt, elle mesure l’importance de l’extra-financier dans l’analyse des entreprises.
Laurence Marchal
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Isabelle Delattre rêvait d’être peintre. C’est dans la gestion d’actifs qu’elle évoluera, loin du monde des artistes qui la fascinaient. Mais son désir de créativité s’exprimera dans son goût pour l’entrepreneuriat. «J’ai toujours été admirative des gens qui créent une entreprise. Cela a bercé ma carrière», lance-t-elle, lorsqu’elle me reçoit fin juin dans son bureau au siège du Crédit Mutuel Asset Management, rue Gaillon. Après une première expérience peu concluante dans une agence de publicité, Isabelle Delattre, diplômée de sciences économiques, rejoint Banque de Gestion Privée en 1984 en tant qu’analyste financier sur les émetteurs européens. Elle se frotte alors au monde des entreprises, qui lui plaît instantanément. Un gérant sur l’Europe de l’établissement la prend sous son aile et lui apprend à analyser les entreprises. «Cela ne consistait pas uniquement à étudier un rapport annuel, un BALO, mais aussi et surtout à rencontrer les gens, que ce soient les dirigeants et les salariés sur le terrain», décrit-elle. Déjà, elle a la conviction qu’une entreprise ne se résume pas à son chiffre d’affaires et son résultat. Les années Fimagest En 1988, Isabelle Delattre quitte BGP et arrive chez Fimagest, la société de gestion phare des années 1990 créée par Alain Wicker quelques années auparavant. «C’était la première belle boutique d’asset management pour moi. Fimagest, c’était dynamique, entrepreneurial, motivant, à taille humaine… C’est là où j’ai fait mes classes», dépeint-elle. De l’analyse, elle «passe à l’action», c’est-à-dire, à la gestion. Dans le même temps, elle élargit sa palette d’entreprises aux Etats-Unis et au Japon. C’est aussi à ce moment-là qu’elle commence à côtoyer les clients institutionnels. En 1996, la Générale de Banque rachète Fimagest. Cela donne à Isabelle Delattre l’impulsion pour partir et tenter à son tour l’aventure entrepreneuriale. Avec trois autres associés, elle fonde Expertise Asset Management, la filiale française de l’américain United Asset Management, en 1997. «J’avais envie de créer. Je n’étais pas la seule. Deux ou trois équipes de Fimagest sont parties monter leur société de gestion», se souvient Isabelle Delattre. Elle cite notamment François-Marie Wojcik, qui a fondé Métropole, et Marc Renaud, qui a lancé Mandarine (plus tard). «Nous ne souhaitions pas rentrer dans le moule de la Générale de Banque», confie-t-elle. L’aventure est formatrice. Tout est à bâtir. «Mes trois associés fondateurs et moi-même sommes partis de zéro; il a fallu trouver les locaux, les outils, réaliser les agrément français et américains, et puis lancer des produits, les gérer, trouver les clients…», énumère-t-elle. Rencontres décisives C’est à cette période qu’Isabelle Delattre fait deux rencontres décisives dans sa carrière et fondatrices pour sa vision de la finance. Elle fait la connaissance de Geneviève Ferone, qui avait alors fondé Arese, la première agence extra-financière en France (devenue plus tard Vigeo), et de Jacques Courtin-Clarins, le fondateur de l’entreprise de soins Clarins. «C’est la rencontre de ces deux personnes qui m’a permis de comprendre qu’il existait d’autres éléments que l’on pouvait analyser au sein d’une entreprise pour comprendre la stratégie, les moyens utilisés, les résultats et la trajectoire de celle-ci. J’ai alors commencé à introduire plus de critères extra financiers dans mon analyse globale de l’entreprise», explique-t-elle. Pendant ce temps, outre-Atlantique, UAM se fait racheter par Old Mutual. Dans ce contexte, Expertise AM se cherche un nouvel actionnaire. Ce sera l’établissement suisse Banque Sarasin (Bâle), «qui était à l’époque le leader suisse de l’analyse sur le développement durable », souligne Isabelle Delattre. «Cela avait du sens», pour la professionnelle. Expertiseest devenu Expertise Sarasin AM, puis Sarasin Asset Management. Mais d’autres défis attendent Isabelle Delattre. La jeune femme rejoint en 2005 la filiale française de gestion d’actifs de Raymond James pour y développer la clientèle institutionnelle. Elle y restera 14 ans. «C’était une belle aventure entrepreneuriale. J’avais été recrutée pour créer le département institutionnel. Très rapidement, j’ai pris la direction générale et développé, en plus de l’institutionnel, l’épargne salariale et la gestion privée», relate-t-elle. Seule ombre au tableau, Isabelle Delattre a du mal à y promouvoir le développement durable «car le groupe n’avait pas une réelle culture ESG». Suite à des changements de direction aux Etats-Unis, et une moindre volonté de développer l’Europe, Isabelle Delattre quitte la société. Elle évoque aussi une période difficile. «Pour des raisons personnelles, j’ai eu envie de partir», dit-elle, sans entrer dans les détails. «Je ne suis pas là pour déstabiliser les gérants» Après cela, Isabelle Delattre décide de se consacrer uniquement à l’ESG. Constatant qu’il existe un déficit de communication entre les équipes de recherche ESG et les équipes de gestion, elle conçoit un programme et présente ses idées à quelques maisons de gestion.Crédit Mutuel Asset Management est séduit par son approche et la recrute en tant que directrice du pôle Finance Responsable et Durable fin 2019. «Ayant moi-même été gérante pendant trente-quatre ans, je connaissais les difficultés d’un gérant pour intégrer d’autres critères que financiers. Je pensais donc pouvoir trouver les mots pour que tout le monde communique. C’est pour cela que j’ai été bien accueillie par les gestions de Crédit Mutuel AM. Ils connaissent mon parcours et savent que je ne suis pas là pour les déstabiliser. Au contraire», expose-t-elle. Pourtant, ce n’était pas gagné. «Quand je suis arrivée le premier jour chez Crédit Mutuel AM, j’ai croisé une jeune femme dans les couloirs qui m’a lancé: «c’est toi la nouvelle responsable finance durable? Ça ne m’intéresse pas!». Maintenant, c’est ma première fan», s’amuse-t-elle. L’arrivée d’Isabelle Delattre a coïncidé, outre la crise Covid, avec un tsunami réglementaire. Ce dernier a bien occupé et occupe toujours ses journées de travail. La nouvelle responsable a aussi pour mission de former les collaborateurs, une activité qu’elle affectionne particulièrement, ayant l’envie de transmettre. En intégrant une grande banque française, Isabelle Delattre a peut-être un peu perdu son côté entrepreneurial. Mais elle se rattrape en dehors. «Je fais d’autres choses à côté, je m’investis notamment dans la philanthropie. Je participe au comité d’investissement du fonds de dotation d’une fondation dont l’objectif est de protéger le vivant au travers notamment de la protection de la biodiversité et de la forêt. Je donne des cours à l’université», détaille-t-elle. Isabelle Delattre apprécie le contact avec les jeunes dont elle valorise la vision des choses. «Ils ne sont pas pessimistes; ils savent ce qu’il se passe mais ils veulent se battre. Il y a dix ans, il y avait ceux qui ne s’intéressaient pas à l’avenir du vivant et les militants trop précurseurs peut-être… Maintenant, la génération qui émerge prend les choses en main», se réjouit-elle. Côté hobby, Isabelle Delattre prend plaisir à passer du temps à la campagne, entourée de ses deux poules. Mais son ordinateur n’est jamais très loin… «J’ai du mal à déconnecter», avoue-t-elle, l’ESG étant un sujet inépuisable. La musique l’accompagne aussi toujours, sauf au bureau, où elle craint de déranger ses voisins. Quant à la peinture, même si elle n’en a pas fait son métier, elle s’y consacre en visitant des expositions, mais aussi en maniant elle-même le pinceau et les couleurs …

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