
Davide Serra, l’algébriste de Londres

Une demi-heure calée dans l’agenda serré de DavideSerra juste avant un rendez-vous avec deux anciens premiers ministres dont ni les noms ni la nationalité n’ont filtré. C’est sur ce créneau courtmaisriche en échanges que lefondateur d’Algebris Investmentsa répondu sans calcul aux questions de NewsManagers le 22 novembre dernier. L’entretien a été réalisé en français dans les bureaux de la boutique, situés à deux pas de Piccadilly Circus, en plein cœur du quartier St James’s. Chez Algebris Investments, la référence aux sommets abonde. En témoignentle tirage photo très grand format de la crête d’un pic alpin qui tapisse les murs de la salle de réunion et qui illustre aussi le site internet de la firme ou encore cet autre cliché taille poster du fondateur sur la cime exiguë de l’Aiguille de la République à 3 305 mètres de haut, immortalisé par un drone et encadré dans son bureau. A Londres aussi, où les gratte-ciels font office de monts, Davide Serra n’a cessé de grimper jusqu’à devenir une figure incontournable de la gestion alternative. L’homme a même l’oreille des régulateurs et banquiers centraux qui le consultent régulièrement à propos de leurs politiques monétaires, dit-on. En 2006, l’Italien, aujourd’hui âgé de 48 ans, co-fonde Algebris Investments, dont il est également le directeur général et le directeur des investissements, avec le Français Eric Halet, parti établir son hedge fund en 2012. Algebris, «pas un hedge fund» La société, qui gère 11 milliards d’euros, se spécialise sur le segment des financières tant sur la dette que sur les actions et affirmeêtre le plus gros investisseur au monde dans les créances douteuses italiennes. «Selon Bloomberg,nous sommes les meilleurs gérants sur les stratégies actions financières globales et dette subordonnée financière globale. Nous avions deux principaux concurrents jusqu’à récemment: Pimco et GAM. Nous n’avons plus que Pimco désormais», dit Davide Serra avant de glisser une anecdote sur son rival américain:« Philippe Bodereau - gérant de la stratégie dette subordonnée chez Pimco – est un concurrent de grande qualité. On s’aide. Quand notre produit n’était pas disponible en Angleterre, j’ai fait investir mes employés dans le fonds de Philippe. Quand notre fonds a été lancé, forcément, ils n’ont plus eu le choix.» « Nous avions deux principaux concurrents jusqu’à récemment: Pimco et GAM. Nous n’avons plus que Pimco désormais. » Algebris est souvent catégorisée comme un hedge fund, Davide Serra nuance cependant cette classification. «Je réfute la notion d’hedge fund pour qualifier Algebris. On est d’abord une société de gestion d’actifs focalisée sur l’income et les cashflows. On a gardé du côté alternatif l’approche absolute return, on veut gagner de l’argent, mais pour le faire, c’est mieux d’utiliser des stratégies long-only avec des protections pour limiter le risque de baisse », précise-t-il. La société emploie actuellement 85 professionnels de 17 nationalités différentes. Davide Serra, qui a été dans sa jeunesse volleyeur professionnel en première division italienne, est fier de compter une telle diversité de profils au sein de son effectif. Cette ouverture sur le monde, le Gênois d’origine s’en réjouit d’autant plus que la capitale financière de l’Europe s’apprête à traverser quelques turbulences dues àla sortie programméedu Royaume-Uni de l’Union Européennefin mars. «Le Brexit me tape sur les nerfs. Londres, en tant que centre du trading mondial, va se refermer sur elle-même, c’est une très mauvaise chose. Il faut y ajouter le fait que les services financiers ne feront sans doute partie d’aucun accord entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne », dit-il. La conséquence pour Algebris? «Nous avons commencé à nous diversifier ailleurs et à demander des agréments auprès des régulateurs dans les pays où nous avons ouvert des bureaux. On peut déjà gérer nos actifs depuis Boston ou Singapour si on le souhaite. Nous avons demandé des licences aux régulateurs luxembourgeois et japonais », développe Davide Serra. Plus de 80% des investisseurs d’Algebris sont basés en Europe, environ 10% aux Etats-Unis et 10% en Asie. La firme travaille actuellement à accroître sa présence en Asie. «En Europe continentale, nous avons une base de clients assez diversifiée et travaillons avec un certain nombre de distributeurs et de réseaux. Les pays nordiques ne sont pas encore dans notre viseur », ajoute le dirigeant. Au global, la moitié des investisseurs d’Algebris sont des institutionnels. Le Brexit profite à Paris Lorsqu’il débarque à Londres en 1995 après des études à l’université de Bocconi située à Milan, le fondateur d’Algebris travaille d’abord chez UBS en tant qu’analyste au sein de la recherche sur le secteur bancaire avant de prendre la tête de l’équipe de recherche sur le secteur bancaire européen de Morgan Stanley. «Quand je suis arrivé il y a vingt-cinq ans, Londres attirait tous ceux qui voulaient travailler dans la finance. C’était un melting-pot mais cela va disparaître avec le Brexit. Les gens de la finance vont se tourner vers les Etats-Unis ou en partie en Europe, et Londres sera un centre financier d’une bien moindre ampleur», appréhende Davide Serra selon qui le Brexit est «profitable pour Paris.» «Le PDG d’une des plus grandes banques au monde, de nationalité américaine, m’a récemment confié qu’il considérait la France comme la meilleure place pour la finance. Il n’aurait jamais dit ça avant. Pour lui, Paris veut faire du business, établir un véritable éco-système pour la finance traditionnelle comme pour les fintechs», confie celui qui fut élevé commandeur de l’ordre du Mérite de la République italienne en mai 2015. Algebris n’entend pas pour l’instant ouvrir un bureau à Paris, l’Europe étant déjà bien maillée avec les antennes de la firme à Londres, au Luxembourg et à Milan. Mais il ne faut jamais dire jamais souligne Davide Serra qui «adore Paris» et cherche à y acquérir un appartement. L’Italien explique toutefois qu’Algebris travaille déjà avec «un partenaire de haut rang», à savoir Amundi, pour son développement en France. « Dans ce contexte, au niveau opérationnel, un bureau en France n’est pas forcément nécessaire », relève-t-il. Le gouvernement Salvini ne tiendra pas Au-delà de son adoration pour la France – les Alpes en particulier - Davide Serra ne cache pas son admiration pour le chef d’Etat français Emmanuel Macron, dont il confie avoir soutenu la campagne à l’élection présidentielle par un don financier personnel. «Il fait les réformes en France que Matteo Renzi avait conduites en Italie. Matteo Renzi s’apparentait à un Macron italien mais la différence, c’est qu’Emmanuel Macron a été élu président pour cinq ans et qu’il est relativement libre de conduire les réformes contenues dans son programme », suggère Davide Serra qui voit d’un mauvais œil la situation politique actuelle en Italie. « J’admire Emmanuel Macron, j’ai même effectué un don pour sa campagne présidentielle à titre personnel. » «La République d’Italie existe depuis 75 ans et il y a eu 65 gouvernements donc en moyenne, le gouvernement dure rarement plus d’un an. Celui de Matteo Salvini donne l’impression qu’il ne durera que quelques mois. Ils font tout pour perdre le mandat », dit le natif de Gênes. Davide Serra demeure convaincu que l’Italie va réduire son déficit à 2%, faute de quoi, l’entêtement du gouvernement italien conduira à une pénurie d’acheteurs sur la dette publique italienne. «En 2019, l’Italie doit se refinancer à hauteur de 250 milliards d’euros sur les marchés. Les BTP italiens émis en novembre n’ont ramené que 2,1 milliards d’euros, la plus petite collecte de l’histoire de la dette publique italienne. Combien de temps cela peut-il durer? La guerre avec la commission européenne ne peut pas durer longtemps. La probabilité que ce gouvernement reste au pouvoir est très faible.Je pense qu’il y aura de nouvelles élections. Une coalition centre-droite pro-euro tiendrait la corde. Ça voudrait dire un gouvernement un peu à la Trump, contre l’immigration et en faveur d’une baisse d’impôts », prédit Davide Serra. L’équation italienne reste à résoudre pour l’algébriste de Londres. Lire aussi: Banques:« Des opportunités de consolidation domestique existent encore en Europe » selon Davide Serra
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