
Solvay se frotte au nouvel activisme environnemental

Ses eaux turquoise et son sable blanc en font un site paradisiaque. Mais la plage de Rosignano sur la côte toscane est en train de devenir un sujet de discorde entre Solvay et Bluebell Capital Partners. Le fonds activiste britannique, qui critique depuis plusieurs mois déjà les rejets de l’usine de Solvay située juste derrière les dunes de la plage - rejets qui expliquent les couleurs de celle-ci, demande désormais le départ de la directrice générale du groupe de chimie, Ilham Kadri.
« Depuis que nous nous sommes engagés avec Solvay en septembre 2020, ce qui nous frappe le plus est l’attitude » d’Ilham Kadri, « qui semble être dans le déni total, ne reconnaissant pas que l’usine de carbonate de soude de Rosignano pose de graves problèmes sociaux et environnementaux », écrit le fonds dans une lettre envoyée au président du conseil d’administration de Solvay, Nicolas Boël. « Tout directeur général responsable et soucieux du développement durable devrait empêcher l’entreprise de déverser chaque année sur le littoral, puis dans la mer, jusqu'à 250.000 tonnes de déchets issus de sa production », poursuit le fonds dans ce courrier transmis à l’agence Agefi-Dow Jones. Bluebell avait déjà posé une série de questions sur cette usine lors de l’AG 2020 de Solvay, auxquelles le groupe avait répondu.
Plein soutien
Solvay a rapidement défendu sa dirigeante. Dans une réaction transmise à l’agence Agefi-Dow Jones, Nicolas Boël déclare qu’Ilham Kadri a « le plein soutien du conseil d’administration en tant que directrice générale ». « Depuis sa nomination en 2019, elle a pris des mesures décisives pour façonner la stratégie de l’entreprise et aligner son portefeuille sur les puissantes tendances en matière de développement durable, tout en mettant en oeuvre un nouveau programme de développement durable ambitieux, Solvay One Planet. Ainsi, Solvay respecte son engagement à créer de la valeur pour les actionnaires, les clients et toutes les parties prenantes », ajoute Nicolas Boël.
Dans le portefeuille de Solvay depuis une vingtaine d’années, l’usine de Rosignano produit du carbonate de soude depuis plus d’un siècle. Celui-ci est principalement utilisé pour la production de verre et de bicarbonate de sodium. L’usine rejette de la poudre de calcaire. « Le renouvellement du permis d’exploitation de Solvay à Rosignano est conditionné à la réalisation d’une étude indépendante et approfondie, tous les deux ans, de tout impact que l’exploitation pourrait avoir sur le milieu marin à proximité des installations. L'étude la plus récente a été clôturée en novembre 2020, et conclut qu’aucun impact sur la qualité de l’eau ne résulte des installations de Solvay », assure le chimiste sur son site internet.
Si le site a été classé en 1999 par le Programme des Nations unies parmi les zones sensibles du littoral méditerranéen, Solvay assure que « beaucoup de choses ont changé » depuis. « Les institutions locales et les autorités publiques dont l’ARPAT (Agenzia regionale per la protezione ambientale della Toscana), qui supervise l’usine et examine la qualité de l’eau, confirment que les conditions environnementales à proximité de l’installation, y compris la qualité de l’eau, sont identiques à celles du reste de la côte toscane », insiste le chimiste.
« Envoyer un message puissant »
La plage de Rosignano fait régulièrement l’objet de reportages pour illustrer l’impact de l’industrie chimique sur l’environnement. Une photo de Massimo Vitali, qui montre des baigneurs dans une eau aux couleurs spectaculaires avec au loin l’usine de Solvay, a d’ailleurs fait la couverture du magazine Vogue Italie dans son édition de septembre. Une couverture qui a fait polémique et qui a convaincu les dirigeants de Bluebell, Francesco Trapani et Giuseppe Bivona, d’origine italienne, d’amplifier leur action contre Solvay dans le cadre du programme One Share du fonds visant à cibler chaque année une entreprise pour une question liée à l’ESG.
Pour cela, Bluebell n’a acheté qu’une action Solvay, en misant sur l’impact médiatique de son activisme, plus que sur sa puissance financière. Le fonds créé par l’ancien dirigeant du joaillier Bulgari gère seulement quelques dizaines de millions d’euros. Une taille modeste qui ne l’a pas empêché de lancer l’an dernier l’action contre Emmanuel Faber, le PDG de Danone, et de contribuer à sa destitution. L’ambition de Bluebell est « d’envoyer un message puissant » aux dirigeants des entreprises européennes pour leur faire comprendre « qu’ils risquent de perdre leur poste à l’initiative d’un seul actionnaire détenant une seule action s’ils font preuve de mépris à l'égard de l’agenda de développement durable », prévient le fonds.
Dans le camp d’Ilham Kadri, on se dit « serein ». « Demander la destitution d’un dirigeant pour une usine qui ne présente aucun risque pour la santé des baigneurs et avec seulement une seule action au capital, c’est tout de même étonnant », lâche un proche de la dirigeante, qui rappelle que « Solvay n’a rien à voir avec Danone : depuis la prise de fonctions d’Ilham Kadri en mars 2019, le cours de Bourse de Solvay a gagné 12% et la génération de cash-flow trimestrielle a plus que doublé ».
Malgré cette sérénité affichée, la campagne de Bluebell illustre le nouveau visage de l’activisme actionnaire, de plus en plus sensible aux controverses environnementales et climatiques. Le fonds TCI, premier activiste européen, en a fait son cheval de bataille. Et la question de la taille de l’assaillant ne compte pas nécessairement, les investisseurs institutionnels étant prêts à s’engager, comme l’a montré l’exemple ExxonMobil. Malgré une très faible position au capital, de l’ordre de 0,02%, le fonds Engine No. 1, pourtant totalement inconnu jusqu’alors, a réussi à faire élire trois administrateurs au conseil de la major pétrolière américaine pour accentuer sa transition climatique.
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse