Quand les actionnaires refont leur travail

Philippe Mudry
philippe mudry
 -  crédit : Pierre Chiquelin

Naguère, les activistes n’avaient que peu de liberté d’action en Europe. Mais les temps changent. Ce n’est pas parce que ces empêcheurs de « gouverner en rond », entendez entre soi, suscitent davantage la sympathie au sein des managements de sociétés cotées ou de leurs actionnaires de contrôle, mais à cause de leur professionnalisme croissant qui trouve la faille là où leurs devanciers, adeptes des méthodes souvent brutales en vogue outre-Atlantique, se heurtaient au mur de l’establishment du business continental. Plutôt que de lancer un assaut frontal contre une forteresse préparée de longue main, le terrain est mieux analysé, la cible mieux choisie pour ses faiblesses cachées, l’angle d’attaque plus susceptible de susciter la sympathie sur le marché, voire dans l’opinion, enfin le moment plus opportunément saisi pour imposer ses règles du jeu. Car quand les dirigeants d’une entreprise sont contraints de jouer le jeu du trublion, celui-ci a déjà à moitié gagné (lire notre Enquête page 26).

Cette habileté croissante des activistes n’explique pourtant qu’en partie le changement en cours. Traditionnellement, les entreprises européennes étaient protégées par une très forte culture managériale, qui donnaient à leurs directions une légitimité difficile à contester. C’était d’autant plus vrai quand leur actionnariat de contrôle, souvent familial, parfois aussi public, leur assurait, outre une fréquente capacité de constituer des conseils « à leur main », une stabilité qui tranchait avec le « court-termisme » dont étaient systématiquement taxés leurs assaillants. Mais au fil des années, la gouvernance en Europe a profondément évolué. Les conseils, mieux composés, plus indépendants, ont pris une autonomie croissante par rapport aux managements ; des scandales de gouvernance majeurs ont ébranlé les certitudes les mieux ancrées et les directions les plus incontestées, y compris à la tête d’entreprises contrôlées familialement, comme le cas de Volkswagen est là pour le rappeler ; surtout, l’influence des actionnaires professionnels du capital-investissement s’est fait sentir. La création de valeur au sein des entreprises contrôlées par les fonds de private equity tranche avec celle des « blue chips » cotées. Leur lustre s’en ressent à la cote.

Dès lors, les sociétés de gestion, dont le métier est d’y investir, ne peuvent plus admettre les performances boursières dont elles s’accommodaient naguère. Leur loyalisme à l’égard des managements s’érode tandis que leur intérêt pour les trouble-fêtes augmente. Le temps est venu pour elles de faire pleinement leur métier d’actionnaire, souvent minoritaire, voire, comme La Financière de l’Echiquier le montre dans le cas de Latécoère, de prendre une position clairement activiste pour faire valoir leurs intérêts. Une page se tourne pour les managements, qui doivent prendre la mesure du phénomène pour s’y adapter en rénovant le dialogue avec leurs contempteurs, et pour les investisseurs qui ne peuvent, eux, que s’en réjouir.

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