
Actifs réels : coup de froid sur l’immobilier

« Nous avons vécu douze années d’euphorie immobilière, portée par un contexte de taux bas, ce qui a permis à certains de corriger de potentielles erreurs d’investissement », lançait, un brin ironique, Philippe Depoux, le président de La Française REM, lors du colloque annuel de l’Institut de l’épargne immobilière & foncière (IEIF), tenu ce 8 novembre. Aujourd’hui, la fête est finie. Relèvements des taux directeurs, renchérissement de la dette, inflation du prix des matières premières, spectre d’une récession… les taux de rendement se décompressent, laissant les investisseurs en position d’attente. « Alors qu’en début d’année les taux de rendement en bureaux QCA (quartier central des affaires) oscillaient entre 2,50 %-2,75 % et 3,75 %-4 % à La Défense, on a observé deux hausses successives de 25 points de base (pb) de rendement ‘prime’ sur toutes les typologies d’actifs », souligne François Blin, directeur du département investissement chez JLL France. La machine s’est déréglée en plusieurs temps. « Début juin, certains investisseurs se sont interrogés sur la pertinence de l’immobilier à mesure des hausses de l’OAT 10 ans », poursuit-il. Alors que la prime immobilière par rapport au taux sans risque s’établit historiquement autour de 150 à 200 pb, elle n’était plus que de 40 pb. Puis, avant l’été, la volatilité du swap à 5 ans « a aussi pesé dans les modélisations financières, relève François Blin. C’est à ce moment-là que les problèmes sont apparus au grand jour, avec un désalignement des intérêts entre vendeurs et acheteurs ». Les deux hausses des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), en septembre et octobre, ont achevé de mettre un terme au dynamisme du marché.
Avec une OAT 10 ans à 2,8 %, l’immobilier se doit d’être plus attractif. Mais faute d’accord sur les prix et malgré une correction allant jusqu’à 20 % de certains immeubles, de nombreux vendeurs ont retiré leur offre. « La raréfaction des transactions permet difficilement de dégager une juste valeur des actifs », observe François Blin. « Sur les immeubles ‘value added’, on ne sait plus donner de prix », déclarait même Georges Rocchietta, le président-directeur général d’Atland, lors du séminaire IEF. Désormais, beaucoup d’investisseurs diffèrent leurs acquisitions tant que la baisse n’est pas totalement actée.
Souscriptions record
L’équation est d’autant plus complexe que des monceaux de collecte se sont déversés, notamment sur fonds grand public. Selon les statistiques établies à fin septembre par l’Aspim et l’IEIF, les SCPI (sociétés civiles de placement immobilier), OPCI (organismes de placement collectif immobilier) grand public et les unités de compte immobilières logées au sein des contrats d’assurance-vie ont engrangé pas moins de 11,6 milliards d’euros en cumul annuel (+48 % sur un an) à fin septembre, les SCPI collectant depuis le début d’année 7,5 milliards d’euros.
« Ce niveau record est en partie alimenté par les assureurs, à la fois sur leurs contrats multisupports et pour comptes propres, atteste Philippe Depoux. Encore faut-il que ces derniers restent dans le marché. » Si les particuliers se sont massés sur les supports immobiliers, sur le front des institutionnels on a levé le crayon. Assureurs, mutuelles, fonds de pension… sont en retrait. Et en cette fin d’année, tous planchent sur le rôle que jouera l’immobilier en 2023 dans leur allocation d’actifs. Le constat est commun : la réapparition du risque par le jeu de normalisation monétaire des banques centrales « redonne de l’attrait aux obligations, relativement à l’investissement immobilier, accorde Charlotte Gourdais, responsable de l’immobilier à la Carac. Compte tenu du contexte de remontée des taux d’intérêt, nous anticipons un nouveau cycle sur le marché immobilier. Notre approche est prudente et nous préférons reporter, pour le moment, nos investissements à une période où nous aurons une meilleure visibilité sur les ajustements de taux de rendement ». Les raisons de la prudence de ces grands acteurs sont aussi ailleurs : la charge en capital (25 % pour un modèle standard) imposée par Solvabilité 2 pour leurs placements immobiliers les pousse à s’orienter vers d’autres actifs et, surtout, la chute des marchés actions est venue mécaniquement surpondérer la poche immobilière de leur allocation. « Depuis le 24 février, date de l’invasion russe en Ukraine, le décrochage des valeurs cotées est venu surpondérer les actifs illiquides ce qui déséquilibre l’allocation relative de notre portefeuille global, témoigne Matthias Seewald, membre du comité exécutif et directeur des investissements d’Allianz France. Si l’immobilier reste un actif important chez nous, nous sommes prudents et sélectifs. »
Réemploi
En attendant le repositionnement des valeurs, les grands collecteurs doivent réemployer les capitaux engrangés. « La problématique est d’investir, sous peine d’être sanctionnés », soulève Philippe Depoux en référence aux capitaux non placés qui viendraient pénaliser le rendement attendu par les détenteurs de parts de SCPI. Pour autant, les fonds grand public auraient déjà fait leurs emplettes. « Depuis quelques années, beaucoup d’entre eux se sont orientés vers des marchés alternatifs, comme ceux de la santé et de la logistique, ou sur d’autres géographies de la zone euro, en sélectionnant l’Allemagne et l’Espagne notamment », témoigne François Blin.
Pour les acteurs plus opportunistes, le spectre de ventes forcées nourrit des espoirs. « De nombreux opérateurs immobiliers ayant des financements de durée courte (quatre ans) voient leur dette arriver à échéance. Le niveau actuel des taux directeurs et le renchérissement du crédit rendent difficile le refinancement de leur dette. Beaucoup vont se retrouver vendeurs forcés, ce qui accélérera la baisse du prix des actifs », anticipe Ian Kelley, managing director, responsable France, Benelux & Southern Europe chez Columbia Threadneedle Investments. Actuellement, le gestionnaire américain indique regarder la reprise d’un portefeuille dont les deux tiers des lignes de crédit arrivent à échéance. Même son de cloche du côté de son compétiteur Principal Real Estate. La maison de gestion travaille sur une stratégie opportuniste « qui consisterait à acheter des actifs de bureaux obsolètes à prix ‘discounté’ en vue de les repositionner aux standards du marché, notamment en matière ESG [environnement, social, gouvernance, NDLR], annonce Guillaume Masset, le président de l’asset manager. Le timing est favorable, non seulement en raison des problématiques de refinancement qui devraient intervenir en 2023, mais aussi des nécessaires mises aux normes liées au décret tertiaire, le tout dans un contexte d’inflation des coûts de travaux ».
Justement, la grande majorité des opérateurs profitent de cette période d’attentisme pour remettre à niveau leur patrimoine. « Il s’agit, pour les investisseurs, d’améliorer et de travailler en profondeur sur l’impact environnemental des portefeuilles immobiliers », explique Christopher Lyon Lynch, responsable du portefeuille immobilier, France et Belgique chez Fidelity International. Le gestionnaire vient de livrer l’immeuble Prélude, situé à Boulogne-Billancourt, entièrement rénové au départ de son précédent locataire, Vallourec. « Cet immeuble de bureaux a fait l’objet d’un repositionnement afin de répondre aux futures attentes des utilisateurs, notamment en anticipant d’ores et déjà les objectifs d’économies fixés par le décret tertiaire (-40 % de consommations énergétiques pour 2030). L’actif a d’ailleurs été 100 % précommercialisé six mois avant sa livraison. » Le verdissement des actifs n’est plus une option, et ce, malgré une difficile maîtrise du coût des travaux. La fête est bel est bien finie.

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