Laurent Mignon : «De belles opportunités vont émerger»

Alors que l’IPEM, le grand salon du private equity, se tient à Paris du 18 au 20 septembre, le président du directoire de Wendel, nommé il y a moins d’un an, détaille sa feuille de route et les nouvelles orientations stratégiques de la société d’investissement pour L’Agefi.
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Laurent Mignon, président du directoire de Wendel  - 

Depuis votre nomination à sa tête, il y a moins d’un an, Wendel est sortie d’une longue période d’attentisme et a multiplié les annonces. Où en est-on ?

A mon arrivée, avec David Darmon, membre du directoire, nous avons conclu que l’un de nos premiers enjeux était de réactiver la rotation du portefeuille de Wendel, composé de sept beaux actifs. Du côté des sorties, nous avons signé un accord pour céder notre participation dans Constantia Flexibles. La finalisation de l’opération devrait intervenir d’ici à la fin de l’année. C’était le bon moment pour Wendel, actionnaire depuis 2015 de ce leader mondial des emballages flexibles, de passer la main à d’autres investisseurs afin d’amorcer une nouvelle période de son développement. Mais l’objectif pour Wendel était surtout de se remettre à investir dans des sociétés en ligne avec ses cibles prioritaires.

Vous avez bouclé en juillet l’acquisition de Scalian, le premier LBO (leveraged buy-out) réalisé par Wendel en France depuis 2011. Pourquoi avoir signé cette opération ?

Dans un environnement plus tendu, marqué par une remontée du coût de la dette et une vive concurrence, les équipes se sont mobilisées pour acquérir Scalian, spécialisé dans le conseil en transformation numérique. Cette opération illustre parfaitement notre stratégie qui consiste à identifier des sociétés à fort potentiel de croissance, bénéficiant de tendances porteuses et dont l’activité consomme peu de capitaux et au sein desquelles nous pourrons être un actionnaire actif. Nous allons ainsi privilégier les secteurs des services aux entreprises, à l’image de Scalian, mais également de l’éducation et de la technologie.

2 milliards d’euros d’investissements prévus au cours des deux prochaines années

Vous ambitionnez d’investir 2 milliards d’euros au cours des deux prochaines années. Le moment est-il propice ? Les valorisations ne semblent pas s’être véritablement ajustées…

Dans un contexte de remontée des taux, induisant un renchérissement des coûts de financement, les prix tendent à se réduire mécaniquement. Mais aujourd’hui, seuls les actifs de grande qualité circulent sur le marché, ce qui explique le maintien de multiples d’acquisition élevés. Cela n’est pas un problème dès lors que ce niveau est justifié par un important potentiel de croissance. Dans le cas de Crisis Prevention Institute (CPI) par exemple, groupe américain de formations professionnelles,le chiffre d’affaires a crû de 40 % depuis notre arrivée au capital en 2019, légitimant une valorisation élevée lors de l’acquisition.

Quand l’ajustement des prix va-t-il intervenir ?

Au fil des mois, des fonds vont être contraints de vendre leurs participations pour redistribuer du cash à leurs investisseurs et pouvoir lever de nouveaux véhicules. Une plus grande diversité d’actifs va arriver sur le marché, et les prix s’ajusteront progressivement à la baisse. De belles opportunités vont émerger et nous avons toutes les capacités pour les saisir.

Quelles sont ces capacités ?

Nous cherchons continuellement à les renforcer en optimisant nos sources de financement. En mars dernier, Wendel a ainsi procédé à une émission obligataire échangeable en titres Bureau Veritas (participation détenue en portefeuille depuis 1995, NDLR), ce qui a permis de libérer 750 millions d’euros de liquidités. Wendel, qui est une société cotée, dispose d’un bilan solide avec 2,2 milliards d’euros de liquidités pro forma des opérations sur Scalian et Constantia Flexibles, complétées par une ligne de crédit non tirée de 875 millions d’euros, récemment allongée jusqu’en juillet 2028. Et notre levier d’endettement est proche de 0 %, ce qui nous donne beaucoup de marge de manœuvre.

Wendel projette pourtant de se lancer dans la gestion pour compte de tiers, avec dès lors la nécessité de lever des capitaux externes. Est-ce le bon timing ?

Le marché est en effet plus complexe, on le voit notamment avec le ralentissement des levées de fonds. Les investisseurs sont confrontés à plusieurs facteurs les conduisant à réviser leur allocation dans le non-coté : l’effet dénominateur (limite d’exposition inscrite dans leur politique financière) engendré par la baisse de valeur des portefeuilles obligataires et la volatilité des marchés actions, le ralentissement des cessions au sein des portefeuilles induisant une chute des distributions et dès lors une capacité de réinvestissement réduite, la remontée des taux et les réarbitrages induits vers d’autres classes d’actifs… Cela ne nous empêche pas de nous préparer et d’avancer dans le lancement de cette nouvelle activité qui constituera un nouveau moteur de croissance pour le groupe avec la génération de revenus récurrents.

Où en êtes-vous exactement ?

Cyril Marie, qui était directeur financier et responsable du développement chez Natixis Investment Managers, nous a rejoints cet été. Il fait équipe avec Jérôme Michiels, directeur général adjoint de Wendel, pour développer cette activité. Nous étudions différentes options, parmi lesquelles la réalisation d’opérations de croissance externe. De belles opportunités de rapprochement existent et vont continuer à émerger.

C’est-à-dire ?

Les sociétés de gestion doivent aujourd’hui faire face à des contraintes réglementaires et des obligations de reporting de plus en plus conséquentes, mais aussi à un marché de la levée de fonds plus difficile, comme nous venons de l’évoquer. Dans ce cadre, un adossement à un grand groupe qui dispose de capitaux permanents, comme Wendel, et qui souhaite développer la gestion pour compte de tiers, est une des solutions pour continuer à croître. Pour notre groupe, une acquisition permettrait parallèlement de disposer d’une taille critique dès le lancement de notre activité de gestion pour compte de tiers, avec une équipe et une expertise déjà établies.

Quelle pourrait être cette expertise ?

Rien n’est aujourd’hui fixé, mais nous souhaitons travailler avec des acteurs qui ont la même philosophie d’investissement que nous, et en particulier qui sont actifs au sein des sociétés. Mais une chose est sûre, il ne devra pas y avoir de risques de conflit entre notre activité dans la gestion pour compte de tiers et celles réalisées via notre bilan. Une stratégie visant des cibles géographiques et des tailles d’opérations différentes ou se concentrant sur un secteur spécifique pourrait être pertinente. A plus long terme, nous pourrions réfléchir à d’autres développements, sur des segments plus éloignés de notre ADN, mais complémentaires, comme la dette privée ou les infrastructures.

Quelle est aujourd’hui la répartition géographique de votre portefeuille ?

Sur nos sept participations, deux ont été réalisées aux Etats-Unis : CPI en 2019 et Acams (Association of Certified Anti-Money laundering Specialists, organisation dédiée à la lutte contre la criminalité financière) en 2022. Cette répartition est cohérente avec la répartition de nos équipes de part et d’autre de l’Atlantique et devrait logiquement se maintenir, même si nous ne nous fixons pas d’objectifs sur ce plan. Lancée en 2013, notre équipe américaine, basée à New York, est aujourd’hui composé de 8 investisseurs (sur les 21 que compte le groupe).

500 millions d’euros d’exposition dans le growth equity à moyen terme, contre plus de 200 millions d’euros actuellement

Parmi les autres actifs, IHS, dont Wendel est actionnaire depuis 2013, est basée hors d’Europe et sort dès lors du cadre de votre stratégie d’investissement. Quels sont vos projets pour cette société ?

Nous conservons pour le moment notre participation dans IHS, société spécialisée dans les infrastructures de télécommunications, principalement en Afrique. Elle est cotée à New York et aujourd’hui sous-valorisée, son cours de Bourse ne reflétant pas ses bonnes performances opérationnelles. IHS pâtit notamment des craintes des investisseurs à l’égard de l’environnement macroéconomique incertain au Nigeria, où le groupe réalise une part importante de son activité. Avec d’autres actionnaires, nous sommes par ailleurs engagés dans la mise en place d’une meilleure gouvernance au sein de la société. L’affaire suit son cours.

Comment évolue votre activité dans le growth equity ?

Depuis son lancement en 2013, Wendel Growth a engagé plus de 200 millions d’euros. Nous souhaitons continuer à développer cette activité, qui nous apporte une belle diversification et une exposition à des actifs en forte croissance. Nous avons annoncé en décembre dernier vouloir atteindre 500 millions d’euros d’exposition à moyen terme.

Pouvez-vous nous détailler cet objectif ?

Alors que la majorité des opérations réalisées jusqu’à présent se faisait de façon indirecte, via des engagements dans des fonds, nous allons davantage mettre l’accent sur les investissements directs au sein des start-up. Quatre ont été jusqu’à présent réalisés (AlphaSense dans l’intelligence artificielle, Tadaweb dans la collecte de données, Brigad dans la mise en relation professionnelle et Preligens dans la défense), dont trois cette année. Nous nous intéressons plus particulièrement aux secteurs des logiciels, des marketplaces, des fintechs, de la santé et de la deftech.

Quels sont vos engagements en matière d’ESG (environnement, social, gouvernance) ?

Ils sont aujourd’hui incontournables, pour les sociétés d’investissement, mais également pour les sociétés qu’elles détiennent en portefeuille. Parallèlement aux actions menées dans les domaines sociaux et de gouvernance, Wendel s’est engagée dans la démarche SBTi (créée par les instances internationales Global Compact des Nations unies, Carbon Disclosure Project, World Resources Institute et WWF), qui se consacre à la problématique de la décarbonation de l’économie. Aujourd’hui, plus de 90 % des émissions de CO2 des sociétés contrôlées par Wendel ont vu leur trajectoire approuvée par cette démarche. Nous allons poursuivre dans cette voie, qui offre et offrira de plus en plus une prime en matière de valorisation. ■

SON PARCOURS

Président du directoire de Wendel depuis décembre 2022, Laurent Mignon a évolué tout au long de sa carrière dans le secteur financier, et plus spécifiquement bancaire. Ce diplômé de HEC et du Stanford Executive Program rejoint en 1986 la Banque Indosuez, dans les activités de marché puis de financement et d’investissement. Après un passage dix ans plus tard chez Schroders à Londres, il fait une étape dans le monde de l’assurance où il prendra la direction des AGF de 1997 à 2007. Il devient ensuite associé gérant chez Oddo BHF, avant de rejoindre le groupe bancaire BPCE, où il restera durant quatorze ans. D’abord directeur général de la filiale alors cotée Natixis, entre 2009 et 2018, il assurera jusqu’en 2022 la présidence du directoire de la banque réunissant les réseaux Banque Populaire et Caisse d’Epargne.

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