
Marché secondaire : L’accélération
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Encore méconnu il y a vingt ans, le marché secondaire du private equity poursuit son ascension. Les échanges de parts de fonds entre investisseurs institutionnels sont en passe d’atteindre de nouveaux sommets. « L’activité s’accélère depuis le début de l’année. Plusieurs transactions importantes sont en cours de finalisation. Le dernier trimestre étant historiquement le plus actif, le marché secondaire devrait en 2023 toucher un nouveau plafond, que nous anticipons à 140 milliards de dollars (125 milliards d’euros) », projette Hani El Khoury, partner chez Coller Capital. « Le flux de dossiers atteint des niveaux record », confirme Marie-Victoire Rozé, coresponsable adjointe de cette activité chez Ardian. Après un pic à 130 milliards de dollars en 2021, le volume d’opérations à l’échelle mondiale avait atteint 105 milliards l’an passé.

Les raisons de cet essor sont multiples. Dans un contexte de remontée des taux, les investisseurs (LP, limited partners) cherchent à rééquilibrer leurs portefeuilles en allégeant leur position en non-coté. « Le marché secondaire, qui permet de répondre à ce besoin de liquidité, est une voie de plus en plus utilisée », observe Hani El Khoury. « Il est désormais bien maîtrisé par les investisseurs, qui l’utilisent pour optimiser la gestion de leur portefeuille d’actifs privés », atteste Jérôme Marie, managing director private equity chez Oddo BHF AM.
Les opérations ne se cantonnent plus aux seules stratégies de buy-out et se sont ouvertes à celles du venture, de la dette privée ou encore de l’infrastructure
Ce mouvement est par ailleurs exacerbé par un effet de cash-flows négatifs pour les investisseurs. En effet, au sein des fonds de private equity, « le nombre de sorties – et les distributions induites – ont considérablement diminué et ne peuvent plus autofinancer les appels de fonds », explique Manuel Kalbreier, managing director private markets chez Neuberger Berman. Entre les neuf premiers mois de 2021 et ceux de 2022, les cash-flows nets sont ainsi passés de +25 milliards à -55 milliards de dollars, selon des données Burgiss. Tant que le marché des introductions en Bourse restera peu actif, « cette problématique risque de perdurer », prévient le dirigeant.
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Diversification
Parallèlement, le marché secondaire ne cesse d’élargir son spectre. « Les opérations ne se cantonnent plus aux seules stratégies de buy-out et se sont ouvertes à celles du venture, de la dette privée ou encore de l’infrastructure », relève Hani El Khoury. Le marché se diversifie également sur le plan géographique. Si les Etats-Unis restent prépondérants – environ deux tiers des transactions –, aux côtés de l’Europe, l’activité se développe désormais en Asie et en Amérique latine (voir les graphiques page 13).
Sur ce terrain de jeu élargi, les opérations initiées par les investisseurs (LP-led, par opposition à celles dites de GP-led, lancées par le gérant) se multiplient. « Elles sont, depuis l’an passé, prépondérantes », commente Hani El Khoury, pour qui cette tendance devrait se poursuivre en raison du besoin persistant de rééquilibrage des portefeuilles des investisseurs institutionnels. Ces derniers entendent par ailleurs cristalliser les performances afin d'être en capacité de réinvestir chez les meilleurs gérants.
Les LP-led sont par nature très diversifiés, ce qui est un atout dans l’environnement volatil actuel
La tendance « LP-led » est aussi portée par les acheteurs. « De nombreux fonds secondaires ont réalisé une part importante d’opérations de GP-led portant sur un seul actif (single asset) ces dernières années et doivent désormais diversifier leurs portefeuilles », analyse William Barrett, associé fondateur de Reach Capital. « Les LP-led sont par nature très diversifiés, ce qui est un atout dans l’environnement volatil actuel », atteste Marie-Victoire Rozé. Selon plusieurs sources, Ardian lève actuellement un nouveau fonds secondaire visant 25 milliards de dollars – succédant à un véhicule de 19 milliards bouclé en 2020.
Dans ce contexte, les fonds secondaires cherchent à allouer une part croissante de leurs véhicules à des stratégies de GP-led multi-assets, qui, contrairement à celles dites single asset qui, contrairement à celles dites single asset, permettent une diversification des risques. « Si beaucoup de GP y réfléchissent actuellement, ces opérations mettent toutefois plus de temps à se structurer », avertit Guillaume Panuel, associé au sein du cabinet McDermott. Pour chaque actif sélectionné – généralement au nombre de trois à sept –, « il faut pouvoir légitimer la poursuite d’une belle histoire de croissance, afin de convaincre les investisseurs nouveaux et existants », poursuit-il. « Le GP-led multi assets est assez chronophage dans sa mise en place, notamment sur le plan juridique (minimum 60 jours) et il n’est pas rare que la composition du portefeuille fixée initialement évolue durant la structuration de l’opération », pointe William Rosier, associé chez Reach Capital. Certains des actifs pris isolément peuvent en effet, pendant le temps d’étude, faire l’objet d’une opportunité de vente intéressante. Le GP doit par ailleurs gérer les problématiques liées à la maturité de différents investissements dans le fonds existant, qui ne sont pas forcément au même stade de développement. « Les horizons de sortie des actifs sélectionnés ne doivent pas être trop décalés les uns par rapport aux autres », ajoute Guillaume Panuel.

Malgré ces contraintes, le GP-led reste un outil plébiscité. « Il répond à un double enjeu : celui des GP, qui souhaitent plus que jamais conserver des actifs de qualité à fort potentiel de plus-value dans un environnement plus tendu, et celui des LP, qui ont besoin de liquidité pour continuer à investir », indique Manuel Kalbreier. Et ainsi pouvoir se réengager dans les futurs véhicules du GP.
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Décote
Dans un environnement toujours marqué par de forts réajustements de valorisation, l’un des enjeux du marché reste toutefois la fixation du prix, rendue plus difficile dans un environnement marqué par de forts réajustements. En dépit d’une opacité presque toujours de rigueur et d’un traitement spécifique pour chaque opération, des tendances se dégagent. Dans les transactions de LP-led par exemple, « les décotes évoluent dans la zone des 15 %, avec un écart type de 5 %. Les vendeurs sont en bonne santé et ne se départissent pas de leurs actifs à n’importe quel prix. Les acquéreurs l’ont compris », analyse William Barrett. Traduisant un rapide besoin de liquidité des investisseurs, qui ont par ailleurs obtenu du rendement sur le reste du véhicule, les opérations de LP-led affichaient historiquement les décotes

les plus marquées.
Des différences apparaissent par ailleurs selon le type de stratégies. Les plus plébiscitées, pour lesquelles les valorisations entre acheteurs et vendeurs tendent de plus en plus à se rejoindre, sont actuellement celles de buy-out. Selon l’indice Jasmin Capital, plus des trois quarts des LP font ainsi état de décotes inférieures à 20 % – et à moins de 10 % pour les actifs de qualité – sur le segment du large cap – plus de 1,5 milliard d’euros. Cette part s’élève à près de 7 % pour le midcap – entre 400 millions et 1,5 milliard d’euros. « Notre cœur de cible est le buy-out midmarket aux Etats-Unis et en Europe, un marché très large où il y a aujourd’hui de belles opportunités d’investissement sur des opérations de GP-led », atteste Charles Soullard, responsable France de Neuberger Berman. « Nous nous concentrons sur le segment du buy-out, qui représente quelque 80 % du private equity, et sur les moyennes et grandes entreprises, qui là encore constituent la majorité des volumes », estime Jérôme Marie. Avec l’avantage, selon le professionnel, d’offrir un univers d’investissement large, moins volatil que le small cap. Oddo BHF AM lève un fonds secondaire visant 500 millions d’euros d’ici à la fin de l’année, auxquels s’ajouteront plusieurs mandats pour une enveloppe globale de 700 millions.
140 milliards de dollars de poudre sèche sur le marché secondaire, un niveau jugé faible au regard du flux de dossiers potentiels
Si les valorisations s’ajustent sur les stratégies buy-out (voir le graphique page 12), la situation se révèle très différente sur d’autres segments. « Il est aujourd’hui difficile d’établir un prix dans le venture et le growth», constate Hani El Khoury. « Les décotes les plus marquées cette année sont intervenues sur les segments de l’early et du late stage. De l’ordre de 20 % à 30 %, elles peuvent dépasser les 50 % si les GP n’ont pas procédé à l’ajustement des valeurs liquidatives », ajoute William Barrett, pour qui ce niveau est cohérent avec la baisse des valorisations observées pour des actifs similaires sur les marchés cotés.

Les actifs très affectés par le contexte actuel, ou évoluant sur des secteurs peu porteurs, restent par ailleurs en retrait dans l’attente de jours meilleurs.
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Un marché préservé
Si l’activité se révèle dynamique sur le plan des investissements, celle des levées de fonds n’est pas en reste, malgré un ralentissement global sur le marché du non-coté. « Le marché secondaire est préservé. Il repose sur une demande accrue de liquidité et un manque de capital pour y répondre », réagit Jean-Philippe Boige, associé fondateur chez Reach Capital. Selon Preqin, la poudre sèche sur ce marché s’élève à quelque 140 milliards de dollars – contre plus de 2.500 milliards dans le private equity traditionnel –, un niveau jugé faible au regard du flux de dossiers potentiels.
Malgré un besoin de réallocation des institutionnels du coté vers le non-coté, « les levées de fonds se poursuivent sur le marché secondaire. L’un des avantages pour l’investisseur (comparativement au private equity primaire) est de pouvoir percevoir un rendement plus rapidement, les actifs rachetés par les fonds secondaires étant à des stades de maturité avancée », enchaîne Guillaume Panuel. Sur le seul premier trimestre 2023, onze fonds secondaires ont été levés pour un montant global de 32 milliards de dollars. Bien qu’en partie biaisé par le méga-véhicule de Blackstone bouclé en janvier pour 22 milliards de dollars, ce niveau se révèle supérieur aux 31 milliards collectés sur l’ensemble de 2022. En outre, plus de 110 fonds, visant 120 milliards de dollars, sont actuellement sur la route.
Le marché secondaire semble dès lors avoir de beaux jours devant lui. « Les montants levés ces dernières années dans le private equity sont colossaux, avoisinant les 8.000 milliards de dollars entre 2017 et 2022 », replace Marie-Victoire Rozé, ajoutant qu’une part de ce montant arrivera nécessairement dans les prochaines années sur le marché secondaire. Par ailleurs, le taux de rotation (pourcentage des actifs sous gestion en private equity qui fait l’objet d’une opération secondaire) est encore très faible – autour de 1,4 % – par rapport à d’autres classes d’actifs. « Celui-ci a vocation à augmenter, notamment grâce à une meilleure appréhension des investisseurs », anticipe la dirigeante. « Le marché secondaire va encore gagner en sophistication avec, comme pour les marchés cotés, une offre d’outils de plus en plus structurée, plus innovante, permettant de fixer des prix plus efficacement et donc avec un objectif de retour de liquidité mieux assuré », prédit Jean-Philippe Boige.
De nouvelles étapes attendent ainsi le marché secondaire, dont le volume d’opérations devrait, selon Coller Capital, atteindre les 500 milliards de dollars à horizon 2030. ■
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UN PROFIL RENDEMENT/RISQUE ATTRACTIF
Visibilité sur les actifs investis, distributions rapides (comparativement au private equity traditionnel), diversification en termes de stratégies ou de géographies… : le marché secondaire affiche de nombreux atouts, parmi lesquels un profil rendement/risque attractif. « Les multiples espérés sur le marché secondaire évoluent autour de 1,5 - 1,7 fois, contre plus de 2 fois sur le marché primaire », informe William Barrett, associé fondateur de Reach Capital. Sur le segment plus spécifique des GP-led, « les rendements avoisinent ceux enregistrés dans les stratégies primaires de private equity, telles que buy-out ou capital-développement, avec pourtant un profil de risque réduit », éclaire Charles Soullard, responsable France de Neuberger Berman. Un fonds de GP-led sera la plupart du temps composé de très nombreuses lignes, là où un fonds de buy-out traditionnel en comptera une vingtaine.
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