Private equity, les clubs de rugby bottent en touche

Si les ligues commencent à s’ouvrir aux investisseurs financiers, les clubs veulent préserver leur modèle.
Rugby
Le tournoi des Six Nations a fait entrer CVC à son capital  -  Bloomberg

Le private equity est-il compatible avec les valeurs de l’ovalie ? Alors qu’il ne se passe pas un mois sans qu’un fonds d’investissement ne prenne les clés d’un club de football en Europe, les équipes de rugby se tiennent pour l’instant à l’écart du récent appétit du private equity pour le sport.

Une situation qui trouve plusieurs explications. «La taille des clubs de football est plus importante que celle des clubs de rugby en Europe et en France, donc ils touchent des droits de retransmission télévisée très conséquents à même d’intéresser des investisseurs financiers, analyse Nicolas Blanc, président-fondateur de Sport Value, une banque d’affaire spécialisée dans le sport. En face, les droits télés du Top 14 sont clairement insuffisants. Par ailleurs, la Ligue Nationale de Rugby (LNR) ne veut pas voir arriver des fonds de private equity car elle estime ne pas en avoir besoin à ce stade et fait peut-être aussi un blocage philosophique à ce sujet.»

Si l’on se concentre sur la France, où se déroule le meilleur championnat de rugby du monde d’après les spécialistes, le modèle économique des clubs est totalement différent de celui des clubs de football. Notamment concernant l’importance des droits télés dans leur budget. «Les revenus des clubs de rugby dépendent beaucoup plus de la marque et du stade, explique Pierre Venayre, ancien rugbyman professionnel devenu directeur général du Stade Rochelais, le double vainqueur de la Coupe d’Europe de rugby à XV. Dans le budget de 35 millions d’euros du Stade Rochelais, 70% des revenus proviennent du stade et les droits télés ne s’élèvent qu’à 4 millions. Le fait de ne pas être trop dépendant d’un diffuseur évite de se retrouver à recapitaliser d’urgence en cas de défaillance de ce dernier, comme on l’a vu avec Mediapro dans le foot. De manière générale, le modèle économique du rugby français est très vertueux avec une régulation très forte de la LNR, notamment sur les ratios de capitaux propres et la masse salariale. »

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Pas de rugby-business

Le profil des actionnaires de clubs est également différent. Plusieurs clubs bénéficient de la passion de mécènes qui n’ont pas besoin de faire entrer des investisseurs au capital. Le Stade français est détenu par le Suisse Hans-Peter Wild, le fondateur des boissons Capri-Sun, le Racing 92 par Jackie Lorenzetti, le fondateur de Foncia, tandis que le club de Clermont est détenu - désormais à 100% - par le groupe Michelin.

D’autres structures ont choisi un actionnariat plus éclaté, à l’image du Stade Rochelais, du Stade Toulousain ou encore de l’Aviron Bayonnais. «Le Stade Rochelais compte 8 entreprises coactionnaires du club, car nous ne voulons pas avoir d’actionnaire majoritaire, illustre Pierre Venayre. Pour financer nos investissements, nous n’avons pas besoin d’apport en capital car nous avons d’excellentes relations avec nos partenaires bancaires.» Le dirigeant précise que la crise du Covid qui a contraint les stades à fermer leurs portes plusieurs mois aurait pu être l’occasion d’une incursion du private equity dans les clubs de rugby, mais ceux-ci ont bénéficié d’un accompagnement de l’Etat, via notamment le fonds de compensation des pertes de billetterie, suffisant pour leur survie.

Côté fonds de private equity, si les droits télés ne permettent pas d’espérer des profits confortables, le «trading de joueurs» ne constitue pas plus une source de bénéfices, les montants des transferts étant incomparables avec ceux du football, dont l’aspect « sport-business » est beaucoup plus développé.

Les ligues s’ouvrent petit à petit

A ce stade, les acteurs du private equity, au premier rang desquels CVC par ailleurs très présent dans le football, privilégient l’investissement direct dans les compétitions. Le fonds pan-européen a réalisé trois investissements dans ce domaine ces dernières années : le premier championnat professionnel anglais Premiership Rugby en 2019, le United Rugby Championship en 2020, qui réunit les meilleurs clubs d’Irlande, Ecosse, Pays de Galles, Italie et Afrique du Sud, et le tournoi des Six Nations en 2021.

«Les fonds ont une approche de diversification des risques donc ils préfèrent pour l’instant investir dans des compétitions plutôt que des clubs, car le risque est dilué sur plusieurs clubs ou pays et sur plusieurs saisons», résume Nicolas Blanc. Une approche qui peut par ailleurs profiter aux clubs puisque l’objectif des fonds est de faire croître les revenus d’image des ligues concernées et donc indirectement les revenus des clubs.

Avec toutefois certaines limites. «En Angleterre, CVC est arrivé dans le championnat au moment de la crise du Covid pour apporter de la trésorerie aux clubs. Mais aujourd’hui il se rémunère sur le chiffre d’affaires pour se rembourser et le manque à gagner pour les clubs est conséquent», rappelle Pierre Venayre. Au point de provoquer des disparitions de clubs, y compris parmi l'élite.

Si l’engouement des spectateurs pour le rugby continue de progresser dans le monde, à la faveur, par exemple, d’une coupe du monde en France, rien ne dit que les clubs ne chercheront pas à terme à s’unir aux fonds pour accélérer leur développement. «Je ne sais pas quand, mais si le rugby veut continuer de grandir, les clubs vont avoir besoin de moyens supplémentaires pour développer leur stade, pour innover, et le private equity pourrait y contribuer», présage Nicolas Blanc.

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