GP-stake, le capital libre-service

Les fonds ‘GP-stake’ multiplient les prises de participations minoritaires au capital des sociétés de gestion.
Florent Le Quintrec
Le capital libre-service
Le capital libre-service  - 

Toujours prompt à faire évoluer sa technique financière, le capital-investissement a depuis quelques années décidé de s’appliquer à lui-même ses propres méthodes. Comme toute entreprise, une société de gestion en private equity (general partner, GP) peut avoir besoin de capitaux pour se développer, réaliser une acquisition, organiser une succession. Aussi, depuis une dizaine d’années, est apparue aux Etats-Unis l’activité de « GP-staking » dans l’univers du capital-investissement. Il s’agit de fonds spécialisés dans la prise de participation au sein de sociétés de gestion de capital privé.

C’est la société Dyal, rebaptisée Blue Owl depuis sa fusion avec un Spac (special purpose acquisition vehicle) en 2021, qui a lancé le mouvement outre-Atlantique. Exclusivement anglo-saxon jusqu’à récemment, le marché est aujourd’hui dominé par Blue Owl, Petershill, une filiale de Goldman Sachs Asset Management, et Blackstone Strategic Partners, qui lèvent des fonds de plusieurs milliards de dollars et ont réalisé environ 110 opérations depuis 2010, quasi exclusivement aux Etats-Unis, le premier marché mondial du private equity. Au total, près 250 GP-stakers sont actifs outre-Atlantique.

L’Europe avait jusqu’à il y a peu échappé à l’appétit de ces nouveaux acteurs. Quelques opérations ont néanmoins eu lieu ces dernières années. Bridgepoint a accueilli Dyal à son capital en 2019, suivi de BC Partners qui a fait entrer Blackstone Strategic Partners la même année, et, en France, Montagu s’est très discrètement uni à Petershill en 2020. Actuellement, sur le marché parisien, PAI Partners est en discussions avancées avec Dyal pour lui céder 20 % de son capital, comme révélé pendant l’été par Bloomberg et confirmé à L’Agefi depuis par plusieurs sources. Meridiam a également sondé des GP-stakers dans le cadre d’une réflexion sur son capital et devrait prendre une décision d’ici à la fin de l’année.

Mais la tendance devrait s’accélérer puisqu’un acteur français vient de se lancer dans cette activité. Fondée cette année par Dominique Gaillard, ancien président du directoire d’Ardian et ex-président de France Invest, et Laurent Bénard, qui fut directeur général de Capza, Armen est la première société de gestion en Europe dédiée à cette stratégie de GP-staking. « Depuis dix ans, les acteurs anglo-saxons ont opéré sur le marché américain principalement et le marché européen du GP-stake est encore embryonnaire. Nous nous lançons cette année car beaucoup de sociétés de gestion en Europe se sont développées historiquement sur une verticale métier au départ et se finançaient sans fonds propres de par leurs levées de fonds. Depuis, nombre d’entre elles sont passées ou vont passer de mono-stratégie à multi-stratégie. Elles ont donc besoin d’acheter des sociétés de gestion complémentaires ou de ‘seeder’ de nouvelles stratégies, mais n’ont pas les fonds propres pour le faire. Nous serons là pour les y aider », explique Dominique Gaillard.

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Risque mesuré

Les acteurs du GP-staking investissent, la plupart du temps, en minoritaire, à hauteur de 15 % à 25 % du capital de la cible. Les sociétés de gestion intéressées ne souhaitent en effet pas se vendre mais recherchent des fonds propres et un accompagnement pour se développer, ou simplement de quoi assurer la succession d’une équipe dirigeante avec un financement extérieur pour le rachat des parts (lire ‘La Parole à...’). Pour les investisseurs (limited partners, LP), la stratégie de GP-staking présente de nombreux avantages. « C’est une activité rentable et peu risquée. Les flux des gérants de ‘private equity’ sont prévisibles puisque les fonds sont déjà levés et les conditions de marché permettent d’entrer au capital à des niveaux de prix favorables, confirme Antoine Dréan, fondateur de Triago. Le rendement se situe donc autour de 6 %-7 % par an. »

Les GP-stakers peuvent avoir différentes approches quant à l’utilisation des financements qu’ils apportent. Si certains acceptent que l’intégralité de leur investissement serve à apporter de la liquidité à des dirigeants sortants dans le cadre d’une succession (cash out), d’autres privilégient une utilisation dédiée au développement de la société de gestion (cash in). Du côté d’Armen, « nous privilégions les projets de croissance nécessitant du capital même si nous ne nous interdisons pas de faciliter des transitions générationnelles chez les GP », précise Dominique Gaillard.

Les GP apprécient également la mise à disposition du réseau de LP des GP-stakers pour élargir leur base d’investisseurs. Avec des fonds proches des 10 milliards de dollars, un acteur comme Dyal est en contact avec des milliers de LP à travers le monde. Les GP-stakers fournissent généralement des équipes dédiées ou des partenaires permettant d’accompagner leurs participations en fonction de leurs problématiques, qu’il s’agisse de digitalisation, de politique ESG (environnement, social, gouvernance), de cybersécurité…

Les méthodes de valorisation sont multiples et varient suivant les acheteurs. « On utilise souvent les DCF (discounted cash-flows) sur les flux récurrents (management fees) et non récurrents (carried interests) en prenant un taux d’actualisation différent pour ces deux types de flux. Il y a aussi les multiples de marché (FRE – fee related earnings – et PRE – performance related earnings –, Ebitda...) ou encore un pourcentage des actifs sous gestion. Quelques règles empiriques peuvent être utilisées telles que 12 à 20 fois l’Ebitda ou 15 % et jusqu’à 40 % des actifs sous gestion », expose Antoine Dréan.

Les fonds de GP-stakes présentent aussi l’avantage de verser des flux réguliers à leurs investisseurs. « Nous structurons les opérations pour bénéficier d’un flux de dividendes que les GP distribuent, provenant de leurs fees et de leur carried interest », indique Dominique Gaillard. A ces flux s’ajoute une perspective de plus-value à la revente si les objectifs de développement sont atteints. Les fonds de GP-stake bénéficient d’une diversification équivalente à celle d’un fonds secondaire du fait des multiples stratégies et millésimes de chaque GP.

Concurrence stratégique

Ces acteurs font néanmoins face à la concurrence d’autres GP prêt à entrer au capital de leurs homologues. En France, c’est Apollo qui a remporté le processus de cession de 20 % du capital de Sofinnova Partners au premier semestre. « Nous sommes partis avec un raisonnement de GP-stake. Nous voulions un partenaire au long cours qui finance la société et nous apporte un réseau de LP comme le font les GP-stakers, résume Antoine Papiernik, président de Sofinnova. Nous cherchions ce type d’actionnaire mais avons découvert en Apollo un partenaire stratégique qui pouvait être plus qu’un GP-staker, respectant notre volonté de ne pas nous vendre tout en s’engageant à investir un milliard d’euros dans nos futurs fonds et nous ouvrant tout leur réseau. In fine, nous avons fait une opération de GP-stake mais avec un stratégique, c’est du GP-stake +. » Pour Apollo, c’est un moyen de se renforcer significativement dans les sciences de la vie, dont Sofinnova est un spécialiste mondialement reconnu.

La donne est un peu différente pour Omnes Capital, qui vient d’annoncer un accord avec l’IDI, un autre acteur stratégique du private equity. Son fondateur, Fabien Prevost, souhaitait obtenir de la liquidité pour ses parts. Un accord a donc été trouvé avec l’IDI pour un investissement minoritaire dans Omnes qui regroupera les activités d’infrastructures, de capital-risque et de co-investissement, tandis qu’il rachète la majorité de l’activité de LBO (leveraged buy-out), rebaptisée Idico. « Nous accompagnerons la croissance de la société de gestion en tant que minoritaire, notamment dans son internationalisation et sa croissance externe. Par ailleurs, nous accueillons, au sein d’IdiCo, l’activité small & lower mid LBO, mezzanine et transformation afin de développer IDI dans la gestion compte de tiers », fait valoir Julien Bentz, managing partner de l’IDI. Une structure qui revient à faire du GP-staking pour la partie Omnes.

Dans le monde, en retenant l’hypothèse que les GP éligibles vendent en moyenne une participation de 20 % de leur capital, Pitchbook évaluait en 2021 à plus de 100 milliards de dollars les possibilités de déploiement immédiates. Puisque l’Europe et la France commencent à peine à s’ouvrir aux GP-stakers, ce chiffre devrait considérablement augmenter dans les prochaines années.

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