L’attractivité des « management packages » dans les LBO écornée

Dans le cas Barrière, la justice estime que l’opération doit être assujettie aux cotisations sociales. Les « packages » sur un modèle similaire pourraient être restructurés.
Virginie Deneuville

Attendue dans le paysage du capital investissement français, la décision rendue en avril par la Cour de cassation sur le cas Lucien Barrière fait grincer des dents les professionnels. L’affaire remonte à 2004, lors de la constitution du groupe de casinos et d’hôtellerie réunissant la famille Barrière Desseigne, Accor et le fonds Colony Capital. Six dirigeants avaient alors pu souscrire des bons de souscription d’actions (BSA) pour 900.000 euros, leur ayant permis de dégager une plus-value de 2,7 millions d’euros à l’occasion de la sortie de Colony Capital en 2009. Alors que l’Urssaf avait estimé que cette opération devait être assujettie aux cotisations sociales, la cour d’appel de Paris lui avait donné raison en 2017. Cette position vient d’être confirmée par la Cour de cassation, qui apporte de nouveaux éléments.

Concrètement, aucune loi ne régit explicitement le traitement des gains réalisés par des dirigeants investissant au capital de leur société. « Sur le plan fiscal, un cadre semble toutefois se dessiner au fil des décisions rendues par les tribunaux », explique Jérôme Commerçon, avocat fiscaliste chez Scotto Partners. Ainsi, le gain retiré d’investissements non risqués, réalisés via des outils acquis gracieusement (comme pour les mécanismes « légaux » d’actions gratuites ou stock-options de plans répondant à des conditions particulières) serait considéré comme du salaire (et soumis à l’impôt sur le revenu à un taux pouvant aller jusqu’à 49 %), tandis que la plus-value issue d’outils payants (BSA, actions), incluant une prise de risque financier, serait perçue comme une plus-value (et imposée entre 30 et 34 %).

Sur le plan social en revanche, les tribunaux ne s’étaient jamais vraiment penchés sur ces sujets avant le cas Barrière. « La décision de la Cour de cassation confirme la position de la cour d’appel sur l’assujettissement de l’opération aux cotisations sociales », explique Jérôme Commerçon. Elle se base sur l’article L242-1 du code de la Sécurité Sociale, qui dispose que tout revenu versé à l’occasion d’une activité, y compris les avantages, est soumis aux versements de ces cotisations. « La Cour de cassation introduit toutefois la notion de ‘conditions préférentielles’ pour que l’investissement soit perçu comme un avantage. Dans le cas Barrière, l’avantage n’a pas été établi sur le prix payé à l’entrée, mais uniquement sur la possibilité donnée à un nombre restreint de salariés d’investir dans la société, excluant au passage la notion de prise de risque financier », souligne Jérôme Commerçon. En filigrane, selon le spécialiste, la conclusion serait que tout investissement réalisé par un salarié dans le cadre d’un LBO se fait de façon préférentielle, ce qui est « très discutable ». « Le juge fiscal s’attache au risque capitalistique pris par le manager en souscrivant les bons, tandis que la cour de cassation n’y fait aucune référence. Cette dichotomie entre fiscal et social perturbe les acteurs du capital-investissement et rend le cadre juridique inintelligible », appuie Mathieu Selva-Roudon, avocat au sein du cabinet LPA-CGR.

Attentisme

Par ailleurs, alors que la cour d’appel se fondait sur la plus-value réalisée, « la Cour de cassation considère désormais le prix de sortie comme l’assiette de calcul du versement des cotisations sociales, sans prendre en compte le montant engagé à l’entrée, ce qui accroît considérablement le montant versé à l’Urssaf et n’apparaît pas cohérent », réagit Jérôme Commerçon.

La partie n’est pas pour autant finie. La cour d’appel devrait de nouveau être saisie, ce qui relancerait le processus de dix-huit à vingt-quatre mois. « Les professionnels du ‘private equity’ sont aujourd’hui attentistes. Le fait que la décision puisse être entérinée semble difficilement tolérable et ternirait l’image du ‘private equity’ français à l’international », avertit Jérôme Commerçon.

« Les ‘packages’ construits sur un modèle similaire au cas Barrière sont à risque maximal, estime pour sa part Mathieu Selva-Roudon. Chacun doit être analysé au cas par cas, et si nécessaire restructuré. » D’autres outils et structures peuvent être mis en place, en créant par exemple une société regroupant les managers associés au capital.

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