L’initiation de paiement, une solution encore en rodage

Grâce à l’« open banking », le paiement de compte à compte devrait faciliter certains types de transactions mais les technologies manquent encore de fiabilité.
Alexandra Oubrier
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essor du e-commerce  -  AdobeStock

« Payer par virement ». L’option commence à apparaître sur les sites web marchands : l’initiation de paiement émerge tout doucement. Le client clique sur le bouton, sélectionne sa banque, s’identifie comme lorsqu’il se connecte à sa banque en ligne. L’initiateur du paiement envoie à l’établissement bancaire les données de la transaction (montant, coordonnées du commerçant, références de l’achat), le client valide le paiement avec authentification forte, la confirmation est immédiate, le marchand peut expédier la commande. Il est également possible d’initier un virement instantané, mais certaines banques le facturent ou le plafonnent, ce qui ralentit l’adoption. Néanmoins, cette possibilité encadrée par la deuxième directive sur les Services de paiement offre un réel potentiel.

« L’initiation de virement est bien adaptée aux transactions de montants élevés, aux paiements inter-entreprises, aux commerçants qui disposent ainsi d’un moyen de paiement complémentaire à ceux existants…, expose Joan Burkovic, directeur général de Bankin’ et de Bridge powered by Bankin’. Nous constatons une adoption importante de la part des commerçants qui se faisaient déjà payer par virement, et une attente forte chez ceux qui utilisent la carte bancaire sans alternative si les plafonds sont atteints. Nous avons déjà traité un milliard d’euros de paiements initiés par virement. Plusieurs dizaines de nos clients sont en test, d’autres sont en cours d’intégration. Les services de comptabilité en ligne, par exemple, souhaitent l’utiliser pour la gestion de trésorerie. » Parmi les clients de Bridge, Payfit, spécialiste de la gestion des ressources humaines, a intégré l’offre pour payer les salaires (virements groupés) et Pennylane, un expert-comptable en ligne, s’en sert pour régler les fournisseurs.

Expansion

La start-up Fintecture a intégré son offre d’initiation de virement aux plates-formes d’e-commerce comme Magento, Prestashop, Woocommerce qui hébergent les sites web de petits et moyens commerçants. Elle a déjà traité des milliers de transactions et accueille entre 60 et 100 nouveaux marchands par mois. « L’initiation de virement fonctionne très bien dans les paiements interentreprises, note Reda Charai, cofondateur et directeur commercial, car cela évite les paiements par carte business très coûteux pour les commerçants. Certains sites ont même déconnecté l’acceptation des cartes bancaires. C’est également bien adapté aux ventes de mobilier ou d’automobiles en ligne en raison des paniers importants. Nous travaillons aussi les parcours de rattrapage en cas d’échec de paiement par carte, et sur les paiements ‘app to app’ qui font communiquer automatiquement l’application marchand avec l’application bancaire : le client n’a qu’à valider la transaction avec son empreinte digitale ou la reconnaissance faciale, c’est très fluide. » Mais cela reste à développer. Budget Insight, de son côté, teste actuellement avec Arkéa un parcours d’initiation de virement spécifiquement adapté aux professionnels.

D’autres construisent des offres étoffées autour de l’initiation de paiement, en complément d’autres services. Score & Secure Payment (SSP), par exemple, est un spin-off de Worldline spécialisé dans la garantie de paiement. Cette fintech a obtenu un agrément d’établissement de paiement fin 2019 (confirmé en 2020) afin de pratiquer notamment l’initiation de virement. L’offre est opérationnelle depuis le début de l’année, par exemple sur des sites de vente de matériaux de construction, comme celui de Saint-Gobain. Elle le sera bientôt sur le site de Ford et sur ceux d’un grand constructeur automobile français. « Nous avons gagné cet appel d’offres face à Stripe et à Adyen, souligne Eddy Combier, directeur général de Score & Secure Payment, parce que nous proposons un service complet intégrant l’acceptation des divers moyens de paiement, l’acquisition des flux, leur sécurisation et la garantie de paiement, le tout 100 % digital. Notre plate-forme est omnicanal et omnimodale au sens où elle permet les paiements comptant, différés, fractionnés, récurrents… » Elle est en cours d’intégration chez Ikea, en particulier pour le paiement des cuisines dont les montants dépassent les plafonds des cartes bancaires, ou au ClubMed dont le panier moyen s’élève à 8.200 euros. SSP a également été sélectionnée par les hôpitaux pour le paiement du reste à charge qui représente une perte de 600 millions d’euros par an faute de procédure de relance ou de recouvrement adéquate : en offrant plusieurs moyens de paiement selon divers scénarios, la plate-forme devrait faciliter les rentrées d’argent. La société acquiert également des clients dans le domaine des services à la personne (crèches, ménage…) et aux entreprises.

Autre exemple, CentralPay est un émetteur de monnaie électronique qui propose une API (interface de programmation) unique pour centraliser les processus de règlement (CB, SCT, SCT Inst, SDD) en s’adaptant à chaque contexte, automatise la réconciliation des transactions et réduit ainsi les coûts d’exploitation. Il a ouvert 3.500 comptes en un an et demi et accueille parmi ses clients des centrales de réservation d’hôtels, des places de marché… « Nous allons développer une API pour l’initiation de virement qui est un outil essentiel pour générer de la valeur, annonce Guillaume Ponsard, directeur général de CentralPay, à condition de s’insérer dans les processus métier pour créer des services répondant aux besoins des clients. » L’initiation de virement constitue donc une véritable opportunité de développer toutes sortes de processus de règlement dans des contextes multiples.

Toutefois, elle reste encore très modeste en volume par rapport aux autres moyens de paiement. En cause, la mise à disposition des API bancaires a pris beaucoup de temps. Si pratiquement toutes les banques ont exposé leurs API d’initiation de paiement, toutes ne sont pas encore réellement fonctionnelles et les fintech qui voudraient les utiliser pour développer leurs offres soulignent la lenteur des banques à se mettre à niveau, la qualité très hétérogène des interfaces et l’absence de solution pour procéder à des virements groupés, fractionnés, récurrents…

Ecueils

Clément Coeurdeuil, directeur général de Budget Insight, dresse un constat en demi-teinte : « Nous croyons beaucoup à l’initiation de paiement, c’est réellement le début d’un grand champ d’innovation, mais cela prendra du temps. Actuellement, les API bancaires ne permettent pas le développement industriel de l’initiation de virement car les infrastructures ne sont pas suffisamment fiables pour pouvoir offrir des services sûrs qui attirent les utilisateurs. Nous avons raccordé 19 banques, soit 80 % du marché, mais on est encore en phase de rodage. Nous passons beaucoup de temps à résoudre des anomalies techniques, les parcours utilisateurs restent compliqués, si bien que la majorité des initiations de virement s’opèrent encore par ‘scraping’ (hors API, NDLR). » Des banques, comme le Crédit Agricole, la Société Générale ou le Crédit Mutuel CIC ont travaillé sur certains parcours clients ainsi rendus clairs et rassurants, notamment en « web to app » (validation de la transaction dans l’application bancaire). Mais c’est loin d’être suffisant.

Pour s’attaquer au problème, Bridge s’est allié avec Fime, un expert des technologies et de la sécurité, pour mettre à la disposition des banques une plate-forme permettant d’automatiser les tests de leurs API d’open banking dans un environnement opérationnel afin d’assurer leur conformité avec la réglementation et les standards Stet et Berlin Group. Fime propose même un rapport de conformité à remettre aux autorités nationales dans le but d’obtenir l’exemption du mécanisme de repli (accès direct ou « web scraping »). De quoi stimuler le rythme des développements dans les banques.

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