FINTECHS - La dynamique va continuer

Après dix ans d’une croissance remarquable, l’écosystème français est bien installé. L’innovation ne s’arrêtera pas là.
Alexandra Oubrier
croissance

La fintech française n’est pas peu fière du chemin parcouru depuis dix ans. Après des débuts difficiles, entravés par l’hostilité des régulateurs, mais aussi des acteurs institutionnels, le manque de capital-risqueurs et la méconnaissance des clients, les fintechs ont réussi leur décollage. Elles sont environ 900 désormais. « En 2015, nous étions une forêt de bonsaïs. Aujourd’hui, nous comptons dix licornes (voir le tableau, NDLR), souligne Alain Clot, président de France Fintech. Et nous sommes le plus important secteur fintech de l’Union européenne. » Outre les levées de fonds qui se sont poursuivies l’année dernière en France, malgré un ralentissement général, un autre élément d’appréciation donne le sourire : la fintech a créé 40.000 emplois. L’emploi était d’ailleurs l’un des premiers objectifs des pôles de compétitivité, concept lancé en 2004 par le gouvernement de l’époque et poursuivi depuis, avec l’innovation. Deux missions à haute valeur ajoutée qui ont contribué à rassembler toutes les bonnes volontés pour constituer ce qu’il est convenu d’appeler un écosystème, autrement dit un environnement mêlant acteurs publics, privés, entreprises de toutes tailles, incubateurs, accélérateurs, start-up studios, financeurs, consultants…

Une voix qui compte

Désormais, les fintechs ont plusieurs organismes de représentation, comme l’Afepame, qui réunit les établissements de paiement et les émetteurs de monnaie électronique, ou France Fintech, l’association professionnelle généraliste, ainsi que plusieurs associations par métiers, comme le crowdfunding avec Financement Participatif France, ou les crypto-actifs avec l’Association pour le développement des actifs numériques. Et elles ont pris du poids dans le dialogue avec les pouvoirs publics. A tel point que les deux principaux régulateurs financiers, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ont créé ensemble le Forum Fintech, lieu de discussion et d’explication. « Les régulateurs ont conduit une révolution culturelle, rappelle Alain Clot, en particulier en acceptant le dialogue ex ante, autrement dit la possibilité de présenter un projet avant de déposer un dossier d’agrément afin d’être sûr qu’on est sur la bonne voie. Mais aussi en validant le principe de proportionnalité dans l’application des règles, notamment sur la lutte contre le blanchiment. »

Pour autant, les fintechs ne font pas la loi, surtout sur le plan économique. De multiples modèles ont été testés, certains ont pivoté plusieurs fois avant d’être validés et, comme dans n’importe quel secteur d’activité, la fintech a aussi connu ses échecs. En 2022, une vingtaine de défaillances sont à déplorer. C’est finalement assez peu comparé à l’économie française en général. La dynamique reste forte, non seulement dans la création mais aussi dans le développement de l’activité, puisque France Fintech note qu’un tiers réalise un chiffre d’affaires de plus d’un million d’euros, 27 % se déclarent rentables et une sur trois est déjà présente à l’international. La rentabilité, pourtant cruciale pour pérenniser une entreprise, s’oppose souvent à la croissance. « C’est un choix de gestion, estime Mikaël Ptachek, président de L’Observatoire de la Fintech qui publie semestriellement un baromètre. Un modèle d’affaires peut être rentable assez rapidement sauf si on surinvestit en marketing et en acquisition de clients. La décision appartient au management, souvent guidé par les investisseurs, qui espèrent que la croissance apportera une meilleure valorisation de la société. »

Le rôle de l’écosystème s’exprime notamment dans la signature de partenariats commerciaux, environ 1.500 recensés, qui donnent aux fintechs un moyen de prouver la pertinence de leur offre et une source de revenus. Les banques, les compagnies d’assurances ont fini par jouer le jeu, après une phase d’incrédulité sur l’avenir de ces petites pousses. Et cette coopération s’est parfois prolongée dans des acquisitions de fintechs par des grands institutionnels. BNP Paribas s’est offert la pépite Nickel en 2017, mais aussi Famoco, Floa (ex-Banque Casino) ou Kantox. La Société Générale a jeté son dévolu sur Shine, Treezor (la « fintech des fintechs »), Skaleet (ex-Tagpay), Lumo ou Fintecture. Le Crédit Agricole a mis la main sur Linxo, la SFPMEI ou société financière du porte-monnaie électronique interbancaire devenue Okali, et pris des participations dans Enerfip ou Miimosa. Le Groupe BPCE s’est créé un pôle fintech des paiements en acquérant Payplug-Dalenys, Le Pot Commun, Depopass, Swile mais aussi Oney et Bridge. La Banque Postale est partie très vite dans le crowdfunding avec KissKissBankBank et WeShareBonds, tandis que le Crédit Mutuel Arkéa a très tôt mené une stratégie volontariste de soutien aux fintechs en prenant des participations chez Leetchi/Mangopay, Younited Credit, Budget Insight – devenu Powens depuis son rachat par PSG Equity. Et on pourrait en citer tant d’autres encore. Ces actions, quand elles sont bien intentionnées, permettent de consolider les fintechs sur leur dimension financière, mais aussi sur leur pratique de la conformité, qui nécessite souvent un renforcement.

Ainsi, le paysage français offre de jolis noms dans tous les secteurs de la finance : Younited Credit dans le crédit à la consommation, seul détenteur d’un agrément bancaire, mais aussi October, Clubfunding ou Anaxago dans le financement, Lyra, Lemonway, Mangopay ou Lydia dans le paiement, Nickel et Qonto parmi les néobanques, Yomoni, Shares ou Cashbee dans l’investissement, Alan, Shift Technology, Descartes Underwriting ou Luko dans l’assurance… Les palmarès sont multiples, comme les méthodologies de leurs classements.

Tendance générationnelle

Une chose est certaine, les fintechs entrent dans le quotidien des Français, soit en tant que consommateurs, soit dans leurs entreprises. « La multibancarisation s’est largement répandue, la digitalisation des services est devenue la norme, y compris dans le traitement des flux de trésorerie des entreprises, où l’automatisation des tâches libère du temps aux collaborateurs, détaille Mikaël Ptachek. L’adoption de fintechs s’accélère et le mouvement va se poursuivre car c’est aussi une question de génération. » Les étudiants ont pris l’habitude de « se faire un Lydia » et entraînent avec eux leurs proches de tous âges. Et les jeunes entrepreneurs vont directement chez Qonto pour créer leur entreprise, déposer leur capital et leurs statuts, et peuvent même désormais y trouver du financement grâce à des partenariats avec October, Defacto, Karmen et Silvr. Les lignes bougent. Et l’innovation va continuer, avec « la montée en puissance des modèles à base de blockchain ou de crypto-actifs – malgré quelques turbulences – mais aussi des modèles fondés sur l’algorithmie et l’intelligence artificielle », estime Alain Clot.

Reste que pour passer au stade de scale-up, l'étage supérieur des start-up à forte croissance, les fintechs auront encore besoin de financement, ce qui sera plus difficile à trouver compte tenu du retournement économique. « Une vague de consolidation est possible dès cette année, suggère François Assada, associé audit, responsable de l’activité fintech chez KPMG. Les fintechs qui ont levé de l’argent fin 2021 et début 2022 ont, pour certaines, des réserves de liquidité leur permettant potentiellement de faire des acquisitions à des prix plus avantageux car, d’une part, les valorisations baissent et, d’autre part, certains investisseurs pourraient vouloir sortir de leurs participations. » Les occasions ne manqueront pas et les innovations non plus.

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