
Conformité - les regtech font leur nid

Voici un heureux mariage de circonstance. Réglementation et technologie se sont unies et ont beaucoup d’enfants, naturellement prénommés « regtech » : 242 selon le panorama européen dressé fin 2019 par KPMG. Tous nés ces dernières années de la convergence donc entre alourdissement du cadre réglementaire auquel doivent se soumettre les établissements financiers et innovations des nouvelles technologies pouvant aider à y faire face. Sur des terrains de jeu variés tels la connaissance du client (KYC), la veille ou le reporting réglementaires (voir l’illustration). De quoi imposer aux banques une nouvelle forme de collaboration.
Car si l’argument de nouveaux outils pour se soumettre plus efficacement et à moindres coûts aux règles va de soi, le dialogue entre jeunes pousses et groupes bancaires, entre solutions « agiles » – le mot magique – et anciens systèmes en place, nécessite l’apprentissage d’un langage commun. La conformité « est possible avec les technologies traditionnelles, mais cela demande beaucoup de moyens humains, techniques, financiers, et il reste forcément des trous dans la raquette », selon Miroslav Petrov, cofondateur et directeur de l’innovation de Fortia, regtech du contrôle dépositaire, devant assurer le respect des règles d’investissement, qui peuvent être aussi contractuelles, auxquelles sont soumises les fonds communs. Fortia entend comme ses consœurs aider les banques à repenser leurs process et amener l’innovation au cœur de leurs préoccupations. Innovation qui « implique d’accepter l’échec, et les acteurs établis ont davantage de mal à valoriser un projet qui échoue », relève Fabrice Odent, associé KPMG France responsable des activités bancaires.
Eviter la boîte noire
En pratique, le langage commun peut s’acquérir sur la base d’un partenariat stratégique. Actionnaire à hauteur de 15 % de Fortia (le solde est détenu par les cofondateurs), BNP Paribas « nous a permis de sortir en 2015 du ‘mode garage’, nous a donné de l’élan pour industrialiser un produit qui fonctionnait sur le principe », indique Miroslav Petrov, qui assure que la présence du Goliath au capital « est plutôt rassurante » pour les autres clients à venir, « cela montre qu’un acteur de référence croit en la validité et la pérennité de notre solution Innova ». BP2S, le dépositaire de BNP Paribas, la déploie actuellement, elle devrait l’être bientôt chez d’autres, notamment dans six pays européens pour un géant américain des services titres. Même élan de parrainage chez RegMind : président non exécutif de la regtech dédiée à la veille réglementaire et directeur juridique de Natixis, Christian Le Hir y vit un « projet d’intrapreneuriat. Avec mon associé, conjuguant expertises bancaire et technologique, nous détenons la société hors la part minoritaire de Natixis ». La banque « nous a aidés à éprouver notre solution, qui est aujourd’hui en phase de commercialisation dans un certain nombre d’institutions financières », se félicite le dirigeant. Des banques tenteront de faire éclore à grande échelle ce lien de proximité. Dans un objectif de « trouver des idées de rupture, en interne et en externe », comme le souligne Emilie Piasecki, responsable de l’innovation au sein de la direction de la conformité de Crédit Agricole SA, la banque a lancé mi-2019 le laboratoire d’innovation Compliance Valley, impliquant 45 personnes des diverses entités du groupe, experts de la conformité ou des métiers d’application. « Toute idée est soumise au comité de sélection, qui valide le cas d’usage et la faisabilité du projet », précise Emilie Piasecki. Et pour animer le flux, la Compliance Valley a lancé à l’automne le concours Start-up 100 % Compliance auquel ont répondu 144 jeunes pousses.
Mais la proximité des entités ne vaut pas garantie de succès. Elle précède celle des équipes. La regtech aura de fait de nombreux interlocuteurs chez son client. En amont les équipes conformité, risques, juridique, ou celle chargée de l’infrastructure technologique. Et avec cette dernière, selon Sylvie Miet, associée KPMG France responsable du département réglementation bancaire, « la maîtrise d’ouvrage associée, qui est l’interface naturelle entre l’IT et le métier ». Utilisateurs au quotidien de la solution Innova de Fortia, les analystes conformité d’un dépositaire, qui y gagnent en valeur ajoutée, sont ainsi alertés en cas de souci détecté à l’occasion de la lecture automatisée des prospectus par l’outil d’intelligence artificielle.
Et encore, si les équipes se parlent, reste l’enjeu majeur de la qualité de la donnée, qui ne souffre pas l’approximation concernant le respect de la réglementation. Le sujet est à ce point essentiel qu’après Innova, Fortia travaille actuellement, selon son directeur de l’innovation, sur « le traitement intelligent de la donnée, qui est bien souvent le maillon faible, pour le respect de la réglementation comme plus généralement ». La banque a donc à y gagner au-delà de sa relation avec la regtech. « Notre solution doit s’intégrer parfaitement aux systèmes existants des dépositaires, dont les données sont souvent bien protégées, poursuit Miroslav Petrov. Tout est fait pour un bon dialogue entre systèmes, mais surtout nous devons assurer la traçabilité de la donnée. C’est à la ‘regtech’ de s’adapter, ne serait-ce que pour pouvoir expliquer la pertinence du contrôle. Nous devons ne pas installer une boîte noire. » De la qualité de la donnée dépend celle des connexions, la regtech devant avoir pour exigence de base l’aspiration de données harmonisées. Exigence qui sera souvent source d’allongement de durée des projets.
Le respect de la réglementation peut certes ne pas impliquer de piocher dans un labyrinthe de systèmes. Comme avec la veille réglementaire de RegMind. L’utilisateur – « juriste mais pas seulement, car de fait beaucoup de services se préoccupent de réglementation au quotidien », souligne Christian Le Hir – accède à l’information via un site internet dédié actualisé chaque jour. La solution offre un accès très granulaire à l’information sans effectuer le contrôle de conformité, elle se veut bibliothèque intelligente. A sa source, les textes bruts des régulateurs tant européens que nationaux, la jurisprudence, mais aussi des textes de droit non contraignants ou soft-law, notamment les avis émis par des cabinets d’avocats partenaires, et diverses revues spécialisées en droit ou en finance.
Mutualisation
La collaboration peut même s’installer entre banques. Puisque peu ou prou les mêmes règles s’imposent à tous, les regtech peuvent pragmatiquement inspirer une mutualisation des efforts… et des bénéfices. Par exemple sur le casse-tête du KYC, la procédure à suivre pour un client pourrait servir à tous ses prestataires plutôt que d’être reproduite sans valeur ajoutée. C’est ce qu’a compris la plate-forme de collecte collaborative Conformitee, projet notamment porté au sein de la Compliance Valley de Crédit Agricole SA par une caisse régionale pour les clients entreprises. De même, Christian Le Hir plaide que RegMind « pourrait être un outil de place ». « Sur le principe, tout le monde est d’accord sur les bienfaits de la mutualisation, mais dans les faits, cela n’avance que très progressivement en France, très en retard des pratiques en Scandinavie ou en Asie du Sud-Est », regrette un expert des fintech.
Et si visiblement la prise de conscience du secteur bancaire est avérée, les besoins sont encore loin d’être satisfaits pour optimiser la gestion de la conformité, il reste entre autres beaucoup de reportings manuels et papier. « Pire, pointe un fin connaisseur de la technologie bancaire, on accumule encore plus vite les réglementations qu’on ne trouve de solutions. Donc l’écart ne se resserre pas, au contraire. » « Le big bang de l’évolution réglementaire est passé, on a un socle mais qui reste en cours de stabilisation et qui va continuer à vivre, par exemple avec Bâle 4 », admet Sylvie Miet chez KPMG. De fait, « l’écosystème des ‘regtech’ est récent et encore fragile, certaines vont naître, d’autres disparaître ou s’adosser à un acteur traditionnel, quand ce n’est pas déjà fait », prédit Fabrice Odent, qui mise sur « une accélération des développements et des initiatives au cours des prochaines années ». Les regtech n’ont pas fini de faire leur nid au cœur du secteur bancaire.

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