
Les Spac font un dur retour sur Terre
Après l’engouement des marchés pour les Spac (special purpose acquisition companies) de début 2020 à fin 2021, le soufflé est bel et bien retombé. Aux Etats-Unis, 850 de ces sociétés chèque en blanc avaient été introduites en Bourse sur la période, contre à peine 70 sur les cinq premiers mois de l’année, preuve que la capacité d’absorption du marché a atteint ses limites. Si l’idée de confier de l’argent à des promoteurs de Spac à l’expertise sectorielle éprouvée pour acquérir une pépite apparaît séduisante, le résultat est globalement décevant, maintenant que des dizaines de « despacking » (fusion avec la cible qui devient cotée à la place du Spac) ont eu lieu.
Outre-Atlantique, le De-spac Index, qui recense les Spac ayant acquis une cible, s’est effondré de plus de 60 % depuis le début de l’année, soit bien davantage que le S&P 500. « La quantité nuit à la qualité des projets, estime Pierre Troussel, coresponsable equity capital market pour la France, la Belgique et le Luxembourg à la Société Générale. Pour que le marché soit efficient, il faut moins de projets, avec une base actionnariale plus solide et moins de concurrence à l’achat des cibles. »
Evolution de la pratique
En Europe, où les volumes de Spac sont sans commune mesure avec le marché américain, avec 61 véhicules cotés depuis 2020, les premiers despacking ont eu lieu ces derniers mois, dont deux de la part de sponsors français en ce mois de juillet. Le Spac Pegasus, de Tikehau et Financière Agache, a fusionné avec FL Entertainment, qui regroupe les sociétés Betclic et Banijay, à la Bourse d’Amsterdam. Quelques jours après, c’est Deezer qui est entré sur Euronext Paris en s’alliant avec l2PO, lancé par Matthieu Pigasse et Artemis. Les résultats boursiers se révèlent pour l’instant très différents. FL Entertainment cote entre 9 % et 10 % au-dessus de son cours de première cotation à 10 euros, tandis que Deezer a vu son action passer sous les 5 euros, contre 10 euros initialement. Difficile, donc, de tirer des conclusions sur la pertinence des Spac au regard de ces deux cas. « Il est encore tôt pour faire le bilan des despacking en Europe, notamment pour Deezer qui a enregistré très peu de volumes d’échange », note Maud Bakouche, associée chez Racine.
Les plus sceptiques estiment que la structure des Spac pousse intrinsèquement les sponsors à trouver une cible coûte que coûte, notamment via le système de promote, qui consiste à accorder leurs 20 % du capital levé une fois l’IBC (initial business combination) réalisée. Ces craintes ont donné lieu à une évolution de la pratique puisque les sponsors perçoivent désormais une partie du promote à l’IBC, le solde étant conditionné aux performances boursières futures du nouvel ensemble. « Ce ‘staggered promote’ permet d’aligner encore mieux les intérêts des fondateurs et des investisseurs. Avec la possibilité de demander le rachat des actions au moment de l’annonce de l’IBC, la mise sous séquestre des fonds levés par le Spac dès son introduction en Bourse, et les systèmes de lock-up après le despacking, il y a de nombreux mécanismes de protection pour les investisseurs », rappelle Maud Bakouche.
Ceux qui ont cru en Deezer devront donc se montrer patients pour espérer retour à meilleure fortune. Au-delà des qualités ou défauts de l’entreprise, le spécialiste du streaming musical a aussi joué de malchance. Le marché de la tech a connu une lourde correction les mois précédant sa fusion avec le Spac, et son principal comparable Spotify a vu son action passer de 300 à 100 dollars depuis novembre.
Si le marché européen suit la tendance américaine, avec de nombreux titres post-despacking qui cotent largement sous les 10 dollars, les sociétés nouvellement cotées pourraient devenir des cibles. En novembre 2021, la société Metromile, qui cotait à peine au-dessus d’un dollar, a été acquise par son concurrent Lemonade et vaut désormais 31 millions de dollars, loin des 2,2 milliards au moment de son IBC. En avril dernier, valant 3 dollars l’action, SOC Telemed a fait l’objet d’une offre de Patient Square Capital, faisant disparaître 300 millions de dollars de valeur pour ses actionnaires. « Avec les taux de remboursement moyens aussi élevés en Europe qu’aux Etats-Unis, les sociétés se retrouvent avec un flottant assez faible, ce qui pourra faciliter les opérations de retrait de cote par les fonds qui pourront racheter davantage de blocs de contrôle », anticipe Pierre Troussel.

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