Le débat sur les AG à distance et en direct mérite d’être relancé

En l’absence de problèmes techniques, la Chancellerie et Bercy devraient proposer la sécurisation juridique demandée par les différents acteurs.
Bruno de Roulhac
vote pour contre choix option abstention
La sécurisation des votes, sur les plans juridiques et opérationnels, est nécessaire afin qu’un dysfonctionnement technique ne soit pas un motif d’annulation de l’AG.  -  Crédit Fotolia.

Depuis la publication du rapport duHaut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP)en mai dernier, le sujet du vote en direct et à distance en assemblée générale (AG) est au point mort. «Le guide du vote en AG en temps réel, sur lequel nous travaillons depuis 2018 en partenariat avec l’Afep, à la demande de l’Autorité des marchés financiers (AMF), est enterré pour l’instant, mais ne nécessite pas d’être retraité en urgence, confie Stéphanie Saint-Pé, déléguée générale de France Post-Marché (anciennement Afti). Cette évolution du vote bloque du côté de l’Association française des entreprises privées (Afep) pour des raisons juridiques, mais elle fonctionne techniquement, comme l’a montré Amundi en 2021.» Le rapport du HCJP a repris les principales recommandations de l’Afep et de l’Afti, «notamment la nécessité de sécuriser les votes sur les plans juridiques et opérationnels, afin qu’un dysfonctionnement technique ne soit pas un motif d’annulation de l’AG, sauf si l’actionnaire empêché techniquement de voter détient une part significative du capital ou des droits de vote», se félicite Richard Roger, référent AG au sein de France Post-Marché et directeur de la ligne métiers services aux émetteurs, chez Société Générale Securities Services (SGSS).

«Si des avancées ont été faites sur des sujets techniques, nous ne disposons pas encore d’une carte d’admission virtuelle pour tous les actionnaires – particuliers ou institutionnels – à véhiculer sur toute la chaîne de vote, qui permettra de les identifier et de vérifier leur position en droits de vote de manière sécurisée», explique Odile de Brosses, directrice juridique de l’Afep. Votaccess fonctionne bien, mais «il n’est pas utilisé par les investisseurs institutionnels, qui pourraient solliciter de façon marginale une carte d’admission virtuelle. Nous devons travailler au niveau européen sur une procédure standardisée et automatique de demande de carte virtuelle afin de faciliter pour tous types d’actionnaires le vote à distance et en direct, ajoute Richard Roger. Face aux attaques cyber, la sécurisation de l’authentification des actionnaires doit progresser». Avec les AG à huis-clos, Votaccess a trouvé sa vitesse de croisière, utilisé en 2022 par 105 sociétés du SBF 120, dont 36 du CAC 40, et au total par 324 sociétés, contre seulement 86 en 2019, se félicite Stéphanie Saint-Pé.

Reculer la «record date» à J-7

Toutefois, «pour améliorer la sécurité des votes et traiter les corrections sereinement, nous avons besoin de reculer larecord dateà J-7, un délai qui resterait inférieur à celui pratiqué dans les autres pays européens, poursuit Stéphanie Saint-Pé. En outre, en cas de problème, la responsabilité des mandataires doit être précisée, et partagée avec les actionnaires et les émetteurs». Par ailleurs, sur les incidents de séance, comme la révocation des administrateurs, «il faudrait une évolution de la législation, poursuit Odile de Brosses. Ce n’est pas la même chose de demander la révocation du président en séance, ou caché derrière son écran. Les risques de déstabilisation des entreprises sont plus grands». Plus largement, la réelle crainte cachée des émetteurs est de ne pas connaître le résultat des votes avant l’AG, comme aujourd’hui, si le vote est en direct. En attendant, la balle est dans le camp de la Chancellerie et de Bercy pour acter les changements réglementaires demandés, mais aussi du futur président de l’AMF pour continuer à porter le sujet.

Pas de demandes des gérants

Qui demande ce droit de vote en direct et à distance ? L’AMF avec force depuis plusieurs années. Toutefois, «nous ne constatons pas de demande particulière des gérants pour un vote en direct et à distance, confie Valentine Bonnet, directrice gouvernement d’entreprise et conformité à l’AFG. Les gérants votent avant les AG, sauf pour celles à enjeu où ils privilégient la présence physique et votent en séance».

En 2021, «nous avons réalisé la première AG totalement virtuelle avec Amundi, en plein confinement, rappelle Lionel Barthelemy, directeur général délégué de Caceis Corporate Trust et animateur du groupe de travail Emetteurs de France Post-Marché. Avec la fin du huis-clos, Amundi n’a pas souhaité réitérer l’expérience en raison du peu de votants en ligne et du retour en présentiel en 2022 des actionnaires. Toutefois, le 28 juillet 2022, nous avons organisé la première AG hybride (possibilité de voter en présentiel et à distance) pour une société cotée, Wavestone, avec DMI-MMA comme prestataire».

Faire évoluer les AG

«Nous avons les outils pour monter en puissance sur le vote par internet en direct, poursuit Richard Roger. Nous étudions même la possibilité de raccorder Votaccess aux plateformes de vote en temps réel par internet. Plus largement, les émetteurs doivent repenser et réinventer les AG en Europe, avec une présentation plus rapide et moins dépendante du protocole juridique qui réponde aux attentes des nouvelles générations. On peut aussi réfléchir à prendre moins de temps pour dérouler les votes.» Les entreprises doivent aussi mieux s’organiser. «Nous souhaitons depuis des années que le calendrier des AG soit mieux géré à Paris, confie Valentine Bonnet. Il faudrait que les émetteurs s’organisent, par exemple, en ayant un site, non public, pour enregistrer leur date d’assemblée afin de ne pas choisir le même jour, en particulier au sein du SBF 120.»

Pour 2023, «nous avons des demandes de renseignements d’AG hybrides de la part d’émetteurs de toutes tailles qui sont souvent des sociétés ayant une appétence technologique ou digitale, poursuit Lionel Barthelemy. Ces émetteurs sont tiraillés. Le vote fonctionne techniquement, mais ils veulent un encadrement juridique plus strict, alors qu’il existe depuis la loi NRE de 2001. Les considérations économiques jouent aussi. Le projet de rapprochement en cours de nos activités aux émetteurs avec celles de BP2S nous permettra d’accélérer sur les AG hybrides».

En partenariat avec DMI-MMA, BNP Paribas Securities Services propose désormais à ses clients émetteurs la solution BYOD (Bring Your Own Device), permettant aux actionnaires de voter à partir de leur smartphone pendant les assemblées générales physiques. Cette solution «s’adresse plutôt aux sociétés de taille moyenne, avec peu de flottant, pour des AG de moins de 100 actionnaires, qui votaient auparavant à mains levées. Elle permet de dématérialiser tout le parcours de vote, explique Anthony Martin, responsable de l’activité Corporate Trust Equity de BNP Paribas Securities Services. Un service moins cher que l’utilisation des boîtiers électroniques en salle». Pour la saison 2022, ce service a été utilisé par GTT, SMCP, Exclusive Networks et Genfit. «Nous avons initié cette offre en France qui existe déjà à l’étranger, notamment en Suisse, poursuit Anthony Martin. Nous avons déjà des marques d’intérêts pour la saison 2023».

Si BNP Paribas Securities Services n’a pas encore reçu de demandes d’AG hybrides, bien que la technologie fonctionne, en raison des manques de clarifications juridiques, «le surcoût, limité, ne devrait pas être un frein, ajoute Anthony Martin. Certaines sociétés commencent par tester le système en prenant juste le module de questions-réponses à distance, avec authentification forte de la qualité d’actionnaire».

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