
Entreprise en difficulté : la perfusion des années Covid est terminée

Après des années de taux bas qui ont soutenu la demande de crédit, le choc de la guerre en Ukraine est venu secouer la santé des entreprises en France, déjà fragilisée par la crise liée au Covid. L’Etat a désormais fermé les vannes et les entreprises craignent l’arrivée du mur des faillites.
Alors que dans les circonstances habituelles, on compte environ 55.000 procédures collectives par an, représentant environ 200.000 emplois directs, l’année 2022 s’est achevée avec 40.304 procédures ouvertes, soit 120.000 emplois directs affectés et en hausse de 46% par rapport à 2021, observe le conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ).
Dans le détail, les sauvegardes, procédures ouvertes pour les entreprises en difficultés qui ne sont pas encore en état de cessation de paiement, sont en augmentation de 55,5% par rapport à 2021. Avec 10.514 ouvertures, le nombre de procédures de redressements judiciaires a également augmenté de 58,3% en 2022 par rapport à 2021 et représente environ 26,5% de l’ensemble des procédures collectives ouvertes.
Au contexte économique conjoncturel s’ajoutent d’autres causes de défaillances, plus structurelles, souligne le CNAJMJ. Les mutations économiques liées à la digitalisation, le changement des modes consommation avec l’essor du e-commerce et les innovations de rupture créent chez les entreprises des difficultés opérationnelles.
«Pour la plupart des opérations de restructuration qui arrivent à Bercy, les difficultés sont autant d’ordre opérationnel que financier», observe Pierre-Olivier Chotard, secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), cellule du ministère de l’Economie qui accompagne les entreprises encore in bonis qui rencontrent des difficultés.
Les procédures amiables : un «je t’aime, moi non plus»
«Si historiquement, nous avions eu le sentiment d’être insuffisamment sollicités, la situation est en train de se normaliser», note le secrétaire général du Ciri. «Les procédures amiables sont clairement en hausse», acquiesce Jean-Dominique Daudier de Cassini, avocat associé en charge du département restructuration chez Weil Gotshal, qui accompagne les débiteurs en difficulté depuis plus de 25 ans. En 2022, 7.259 procédures de prévention ont été ouvertes (dont 4.809 mandats ad hoc et 2.450 conciliations), soit une hausse de 28% par rapport à 2021 et le nombre le plus élevé jamais enregistré en la matière.
Le problème ne réside pas réellement dans la popularité des procédures amiables (mandat ad hoc et conciliation), largement simplifiées par le législateur français, ni dans les frais importants d’engagement de la procédure qui y sont souvent associés. Selon Jean-Dominique Daudier de Cassini, toute la complexité réside dans l'évaluation de la véritable situation de l’entreprise. «Le défi consiste à amener le dirigeant à accepter la réalité de la situation afin de lui offrir l’accompagnement adéquat. Les procédures amiables demeurent, par nature, des procédures limitées étant donné leur caractère préventif et non coercitif », commente-t-il.
La bombe à retardement du prêt garanti par l’Etat
Avec la fin du «quoi qu’il en coûte», les entreprises doivent désormais faire face au remboursement des prêts garantis par l’Etat (PGE). La plupart de ces prêts, qui ont été accordés massivement pendant la période de crise sanitaire - 143 milliards d’euros répartis entre 800.000 prêts – sont devenus exigibles au 30 juin 2022. Si Bercy entrouvre la porte de l’abandon du PGE pour certaines entreprises, les conditions demeurent néanmoins strictes. «Nous sommes ouverts au réaménagement des PGE quand l’ensemble des lignes de crédit doit être restructuré, nous n’opérons pas de restructuration de confort pour le PGE uniquement», souligne Pierre-Olivier Chotard.
«En pratique, le réaménagement du PGE peut passer par un abandon partiel de la dette assorti de clauses de retour à meilleure fortune ou par une conversion de la dette en titres de capital, beaucoup moins courant et plutôt réservé aux sociétés cotées», constate Jean-Dominique Daudier de Cassini.
Plusieurs secteurs en transformation
La faillite de Camaïeu annoncée en septembre dernier, n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le souffle de la déflagration s’est fait sentir sur tout le secteur. Après deux années marquées par des arrêts liés à la crise sanitaire, le commerce de détail se trouve confronté à une hausse des prix de l'énergie et des loyers.
L’accélération de la révolution numérique a, de surcroit, fait basculer tout le secteur. Avec celui de la construction, il est un des secteurs les plus touchés par les restructurations. Mais d’autres subissent des changements de fond qui viennent ébranler leur modèle économique.
L’automobile a été bouleversée par les défis technologiques et environnementaux liés à la décarbonation et l’automatisation des véhicules. L’ombre de l’interdiction des ventes de véhicules thermiques dans l’Union européenne en 2035 plane sur le secteur, qui doit désormais accélérer sa transition sous les pressions du régulateur.
«Le défi majeur reste le rapatriement de l’ensemble de la filière en France : un véhicule électrique sur deux dans le monde est aujourd’hui vendu en Chine, et donc principalement produit en Chine», souligne Guillaume Baril, associé en charge des restructurations chez Kearney. Mais «nous observons de plus en plus de rapatriement de la filière automobile avec la crise de la supply chain accentuée par la crise du Covid», nuance Philip Szlang, managing director de Mutares, fonds spécialisé en restructurations opérationnelles. Plusieurs constructeurs se tournent vers des sous-traitants locaux, encouragé par l’arsenal des dispositifs et aides mis en place par l’Etat.
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