Enjeux environnementaux et intérêt social : deux faces d’une même pièce

L’avis d’expert de... Armand W. Grumberg, avocat associé, responsable M&A Europe, et François Barrière, avocat counsel, professeur à l’université Lumière-Lyon 2 – Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP
Enjeux environnementaux et intérêt social : deux faces d’une même pièce
Armand W. Grumberg (h.), avocat associé, responsable M&A Europe, et François Barrière (b.), avocat counsel, professeur à l’université Lumière-Lyon 2 – Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP  -  Benjamin Boccas

Armand W. Grumberg, avocat associé, responsable M&A Europe, et

François Barrière, avocat counsel, professeur à l’université Lumière-Lyon 2 – Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP

Ces dernières années, la prise en considération des enjeux extra-financiers dans le cadre de la gouvernance des entreprises s’est développée. Dans la continuité de ce mouvement, la loi Pacte du 22 mai 2019 a consacré la notion d’intérêt social et la mise en parallèle avec celle d’enjeux sociaux et environnementaux. La société doit-elle désormais agir, aux yeux du droit, au-delà de son intérêt propre ?

L’une des ambitions avouées de cette loi était de repenser la place des entreprises dans la société. Elle a ainsi ajouté, à l’article 1833 du Code civil (C. civ.), un alinéa aux termes duquel « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cette prise en compte des enjeux extra-financiers est même devenue, par modification des articles L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce, applicable aux délibérations des organes de gouvernance. En outre, la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 impose désormais aux sociétés anonymes de tenir compte des enjeux culturels et sportifs. Signe que la société ne peut plus simplement ignorer ce qui est « extérieur » à son objet social.

Le droit a été témoin de l’émergence des considérations environnementales et sociétales dans de nombreux aspects de l’activité des entreprises. Dès 2016 apparaît la notion de « préjudice écologique », par le biais de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères responsabilise, quant à elle, les grands groupes sur le potentiel impact social et environnemental que leurs activités engendrent. La violation d’une de ces normes législatives est de nature à entraîner la responsabilité de la société si un lien de causalité et un préjudice sont également démontrés. Du point de vue du droit des sociétés, le réel déclencheur de ce processus est probablement le rapport Notat-Senard de 2019, intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif ». Il appelait à prendre en compte une notion élargie de l’intérêt social comprenant les enjeux sociétaux et environnementaux.

Par ailleurs, dans une logique de reporting externe, le législateur avait imposé aux sociétés commerciales dépassant certains seuils, par le biais de la loi NRE du 15 mai 2001, d’insérer dans leur rapport de gestion une déclaration de performance extra-financière, qui s’est étoffée depuis. Cette déclaration doit comporter des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité. Toutefois, la loi Pacte va plus loin, en imposant aux sociétés une nouvelle norme comportementale. S’opère ainsi un changement de paradigme vers un droit des sociétés plus sociétal. Au niveau européen, le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité se développe, avec une réglementation plus exigeante. Il conviendrait de prévenir, de faire cesser ou d’atténuer les incidences négatives des activités sur les droits de l’homme et sur l’environnement selon les vœux de la Commission européenne. Les entreprises concernées, dans une logique de bonne gouvernance et de gestion du risque réputationnel, devraient envisager de prendre des mesures appropriées, en fonction de la gravité et de la probabilité des différentes incidences.

Si la notion d’intérêt social était inconnue du Code civil, qui se contentait d’évoquer « l’intérêt commun des associés », le législateur et la jurisprudence s’étaient depuis longtemps appliqués à faire émerger puis évoluer cette notion. Ainsi, la définition de l’abus de biens sociaux, introduit en France par un décret-loi du 8 août 1935, reposait déjà sur la notion d’intérêt social. L’ajout du terme « intérêt social » à la lettre de l’article 1833 C. civ. ne constitue donc pas une création, mais une consécration : celle d’une évolution jurisprudentielle fondée sur la conception d’une société dotée d’un intérêt propre, distinct de celui des associés qui la composent.

La loi Pacte a même opéré une véritable élévation de la notion en exigeant que la société poursuive son intérêt social « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Le législateur veut renforcer et affermir l’intérêt social en contraignant les dirigeants à mesurer les conséquences sociales et environnementales de leurs décisions. C’est un moyen de limiter les risques, notamment environnementaux, résultant de l’exercice de l’activité économique. Ainsi, une mauvaise gouvernance, ne prenant pas en compte ces exigences, sera de nature à entraîner la responsabilité des dirigeants sociaux.

Les considérations sociales et environnementales sortent progressivement de l’ombre des aspects financiers et commerciaux aux yeux du droit des sociétés. La loi Pacte a renforcé l’image d’une entreprise sans œillères : capable de servir ses actionnaires, sans ignorer les conséquences de son activité.

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