Alain Godard : « Un élan européen pour le secteur du numérique »

Alain Godard, PDG du Fonds européen pour la souveraineté numérique, la « European Tech Champions », dévoile à L’Agefi les contours de cette initiative au lancement imminent.
Virginie Deneuville
Alain Godard : « Un élan européen pour le secteur du numérique »
Alain Godard, PDG du Fonds européen pour la souveraineté numérique, la « European Tech Champions »  - 

Après trois ans à la tête du Fonds européen d’investissement (FEI), vous êtes, depuis le début de l’année, aux commandes du projet de création d’un fonds européen pour la souveraineté numérique, l’initiative « European Tech Champions » (ETCI). Où en est-elle ?

Souhaité par Emmanuel Macron et annoncé officiellement il y a un an pendant la présidence française de l’Union européenne, le projet, que je porte depuis trois ans, avance et se trouve désormais dans sa phase finale. Le chancelier Scholz et le président Macron l’ont confirmé dans leur déclaration commune du 22 janvier dernier. Les ministres des Finances et de l’Economie européens, notamment allemands et français, communiqueront en temps voulu. Phénomène assez rare pour être souligné, nous avons réussi à convaincre 22 pays européens d’y participer. C’est une belle initiative collective, qui témoigne d’un élan européen pour le secteur stratégique du numérique.

Pouvez-vous nous détailler ce projet ?

Il part d’un constat simple : en Europe, trois quarts des scale-up [start-up à forte croissance ayant le potentiel d’atteindre le statut de licornes, soit plus d’un milliard d’euros de valorisation] sont refinancées par des fonds américains et asiatiques, leurs homologues européens ne disposant pas de l’envergure suffisante. Outre-Atlantique, on dénombre une quarantaine de véhicules d’une taille avoisinant les 2 milliards d’euros, contre seulement trois atteignant le milliard d’euros sur le Vieux Continent. C’est ainsi que la start-up BioNTech (vaccin Moderna), financée initialement par des fonds européens, s’est tournée vers les Etats-Unis pour poursuivre sa croissance et a produit ses vaccins principalement hors d’Europe, avec les conséquences qui en ont découlé en pleine période de Covid. L’objectif est donc de pouvoir intervenir sur l’ensemble des chaînons de financement de nos sociétés à fort potentiel, et de conserver leurs atouts stratégiques.

Comment fonctionnera le véhicule ?

Il s’agit d’un fonds de fonds. Il engagera des tickets pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros en equity dans le but de faire émerger 15 à 20 véhicules investissant dans le growth [financement des start-up les plus matures]. C’est sur ce segment plus particulier que les sociétés manquent de capitaux européens pour poursuivre leur croissance et s’internationaliser. Exécutée par le FEI, l’initiative s’intéressera à tous les secteurs technologiques, avec un accent particulier sur les priorités stratégiques européennes de la deep tech, l’énergie, la santé, l’environnement ou encore l’espace. Le moment est idéal. Les valorisations, qui avaient atteint des sommets, s’ajustent en effet à la baisse, permettant de faire émerger de belles opportunités d’investissement. En outre, les investisseurs américains, qui réalisaient la majorité des investissements dans le growth en Europe ces dernières années se montrent plus frileux depuis l’an passé et se replient aujourd’hui sur leur marché domestique. L’investissement européen est plus que jamais nécessaire.

Avez-vous identifié les fonds qui bénéficieront du projet ?

Nous connaissons des acteurs du capital-risque en Europe à même de créer des véhicules qui pourraient atteindre, voire dépasser, le milliard d’euros avec notre programme ETCI. A court terme, c’est en France et en Allemagne que le nombre de fonds éligibles est le plus important. Au fil de notre période d’investissement, les acteurs ayant levé des montants au moins compris entre 500 millions et 700 millions d’euros ces dernières années pourront rentrer dans la cible et ainsi revoir leur objectif à la hausse.

Quelle sera la taille du véhicule ?

Il a vocation à atteindre 10 milliards d’euros. Cela se fera en deux temps. La première période de souscription concerne uniquement la sphère publique et apportera la moitié des capitaux. Cette contribution atteint déjà plusieurs milliards d’euros, dont un milliard d’euros annoncé par la France, auquel s’ajoutent 500 millions d’euros venant de Bpifrance, et un milliard d’euros annoncé par l’Allemagne. D’autres pays confirmeront prochainement leur contribution avant la fin de la période de souscription. Ces capitaux publics seront déployés à partir de cette année.

D’où viendront les autres capitaux ?

La déclaration commune du 8 février 2022 définit ETCI comme une initiative public-privé. Les Etats décideront donc, dans un deuxième temps, de solliciter la sphère privée. Des institutionnels investiront par ailleurs directement dans les véhicules éligibles en complément du FEI. Mais je souhaiterais, à terme, que l’épargne des particuliers soit également fléchée vers ces activités innovantes. La création de cette poche de financement de 10 milliards d’euros constitue la première étape d’un projet plus large.

A long terme, l’objectif est de créer les conditions d’un marché européen du financement de nos start-up et scale-up, à l’image de ce qui existe aux Etats-Unis. Cela passe tout d’abord par plus de transparence, en combinant toutes les données de marché disponibles en matière de rendements, valorisations, risques ou sorties, afin d’attirer davantage de capitaux privés et de la liquidité. Il faut également stimuler la constitution de fonds crossover, capables d’investir dans une société avant son introduction en Bourse (IPO) et de rester comme actionnaire de référence après IPO. Ces conditions nous permettront par ailleurs de retenir nos talents, dont beaucoup partent après avoir été formés en Europe faute d’écosystème suffisant. Au sein des Gafa, 30 % à 40 % des effectifs sont en effet européens. L’ambition est grande et le projet se fera progressivement, l’un des principaux freins étant l’absence d’harmonisation entre les pays dans des domaines tels que les faillites – là où les Etats-Unis ont le Chapter 11 – et la fiscalité. Sans forcément attendre la finalisation d’une union des marchés de capitaux, qui tarde depuis des années, certaines décisions en matière d’harmonisation pourraient par exemple être promues pour favoriser le développement de nos entreprises sur un marché unique en Europe.

Propos recueillis par Virginie Deneuville

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