MARCHÉS ACTIONS - La liquidité attire la liquidité

Bruxelles veut relancer l’Union des marchés. Les réformes passées ont déjà transformé la liquidité et la formation des prix.
Corentin Chappron
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Elusive liquidité : renforcer la facilité avec laquelle il est possible de vendre un actif sur les marchés actions a été, depuis la crise financière, l’un des grands soucis du régulateur. Le paysage mouvant de ces dernières années a peut-être rendu difficile une conclusion assurée : si la liquidité semble préservée, elle se répartit très différemment. Preuve en est, la dernière proposition de Bruxelles, le 25 novembre, pour renforcer l’Union des marchés de capitaux

La liquidité, mesurée à travers le prisme des coûts de transaction, ne semble pas avoir baissé ; les coûts seraient même en baisse tendancielle sur le long terme (voir le graphique). Il est vrai que, malgré leurs inquiétudes, les marchés ont traversé sans trop de turbulences les réglementations européennes MIF et MIF 2 ; l’ouverture à la concurrence entre places boursières traditionnelles et alternatives, qui avait d’abord conduit à une forme d’éclatement de la liquidité, a finalement eu un effet diversificateur et concurrentiel positif, avec le développement d’acteurs comme les internalisateurs systématiques, par exemple, qui exécutent les ordres d’un client hors des plateformes réglementées en s’en portant contrepartie. A la régulation sont aussi liées les avancées en matière de trading de blocs électroniques, qui permettent de passer des ordres volumineux avec un impact minimal sur le marché. Et l’obligation de prendre en compte les coûts liés à la liquidité a poussé les acteurs à rechercher celle-ci, l’approfondissant là où elle se trouvait. Preuve du fonctionnement efficace du marché, les spreads d’une même action, l’une des autres mesures de la liquidité, sur différentes plateformes sont identiques.

Plusieurs éléments viennent toutefois tempérer ces constats : la liquidité, si elle n’a pas disparu, est répartie différemment. D’une part, le marché est marqué par le développement de nouveaux acteurs algorithmiques : market makers, qui prennent la place des banques d’investissement contraintes par leur bilan dans la liquidité qu’elles peuvent apporter au marché, et traders haute fréquence (THF), qui parient sur d’infimes variations de marché en passant de très nombreux ordres. « Le débat n’est pas tranché. Certes, les acteurs systématiques et quantitatifs pourraient exacerber les pics, mais le marché profite aussi de ces différentes typologies d’acteurs, qui font sa liquidité. Par ailleurs, les market makers peuvent apporter une liquidité contrariante », pointe David Angel, directeur général Europe, en charge du développement de Virtu Financial. Les décisions de gestion ne sont prises que sur les flux entrants ou sortants ; la Banque centrale européenne (BCE) souligne que cela contribue à une découverte des prix efficace en corrigeant rapidement les prix aberrants. Le mode de fonctionnement des algorithmes peut cependant conduire à des boucles de rétroaction. Le risque est mesuré notamment en fonction de la liquidité du sous-jacent : moins celui-ci est liquide, moins leurs positions seront importantes et plus les mouvements qu’elles s’autoriseront à réaliser seront faibles, asséchant davantage la liquidité.

Décalage

Sans compter que les ordres sont de plus en plus fréquemment passés lors de la clôture : en France, près de 50 % des opérations sont concernées. L’une des principales raisons de cette migration tient précisément à l’intervention des THF, qui jouent contre les ordres passés en cours de séance. « Sur la journée, les intervenants sont confrontés aux interventions des THF. Traiter en fin de journée permet de s’assurer de pouvoir passer des ordres sans être pollués par ces acteurs. A ce titre, je ne suis pas sûr qu’ils apportent une réelle liquidité, car ces acteurs doivent avoir une position nulle chaque soir », pointe Christophe Kieffer, directeur général d’Amundi Intermédiation. Le spread moyen, pour les titres de l’EuroStoxx 600, est de 3,9 points de base (pb) au cours de clôture, 0,6 point plus bas qu’en milieu de journée. « Le déplacement des ordres en fin de journée est lié au développement de la gestion passive, rappelle David Angel, puisque, en traitant en dehors du cours de clôture, ces gérants s’exposent au risque de délivrer une performance inférieure au cours de cloture. Et cela pousse aussi d’autres typologies de gestion à traiter en fin de séance. » D’autant que la liquidité attire la liquidité : plus elle est élevée et moins les coûts implicites de transaction, qui y sont liés, sont importants. L’utilisation d’algorithmes d’exécution par la majorité des intervenants, qui adaptent leurs volumes d’exécution à celui du marché, renforce enfin cette tendance. Plutôt que de traiter en fin de journée, il est bien sûr possible de recourir aux marchés opaques (dark pools), des plateformes d’échanges de bloc d’actions où les transactions n’ont pas à être annoncées et se font de manière anonyme. Les ordres d’une certaine taille peuvent donc y être passés sans que leur annonce ait un impact sur les cours et sans qu’ils puissent être anticipés. « Les marchés opaques sont un outil intéressant pour trouver de la liquidité. Toutefois, certains acteurs qui y vendent un ordre le rachètent ailleurs, sur les marchés centralisés ; la liquidité qu’ils y apportent est donc, en un sens, factice », tempère Christophe Kieffer.

Concentration

Le passage d’ordre sur des titres plus petits est aussi devenu plus compliqué. « Sur les petits tickets, inférieurs à un million d’euros, et surtout s’il ne s’agit pas de grandes capitalisations, la liquidité peut être difficile à trouver », confirme Charles Monot, fondateur de Monocle AM. Avec le dégroupage entre recherche et exécution mis en place par MIF 2, les petites capitalisations déjà peu traitées le sont moins fréquemment encore. La commission prise sur l’exécution d’ordres sur les petites et moyennes capitalisations est systématiquement supérieure en Europe à celle prise sur les ordres touchant aux grandes capitalisations, jusqu’à un point de base, selon Virtu Financial. Les volumes traités, au troisième trimestre 2021, ont été dix fois moindres (32 milliards contre 345 milliards de dollars de volumes). En parallèle, la liquidité se concentre autour des plus grands titres : aux Etats-Unis, les volumes d’option traités sur les titres du S&P 500 en novembre, hors Tesla, sont en baisse de 20 % d’un trimestre sur l’autre – mais en hausse de 50 % une fois le constructeur automobile inclus. De façon peut-être plus anecdotique, le chercheur Ulf Niellson constate aussi que la consolidation des Bourses européenne a conduit à une amélioration de la liquidité des actions des plus grandes entreprises, mais pas des autres.

Cette concentration de la liquidité signifie qu’elle s’approfondit sur ces périodes ou ces titres précis. Le risque, relevé par l’Autorité des marchés financiers (AMF), est justement qu’un dysfonctionnement ou un incident affectant l’une des parties prenantes entraînera des répercussions d’autant plus vastes. L’impact sur le processus de découverte des prix n’est pas non plus nul : en fin de journée, 40 % des ordres s’apparient à un ordre au même prix, ne participant pas à ce processus. « Seuls le solde des ordres au marché et les ordres à cours limité participent directement au processus de formation du prix de fixing », rappelle le régulateur.

Enfin, la régulation s’est attachée à harmoniser les données reportées pre et post-trade par les infrastructures de marché. L’Association européenne des marchés financiers (AFME) fait valoir qu’une part importante des données transmises par les internalisateurs systématiques et les plateformes de gré à gré, qui concentrent 47 % des volumes échangés selon l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma), concerne des transactions techniques, comme les transferts de collateral. Celles-ci n’ont pas d’impact sur les prix. Seules 40 % et 15 %, respectivement, des transactions signalées par ces plateformes seraient pertinentes pour les marchés.

Ces questions de concentration se posent avec d’autant plus d’acuité que les marchés financiers sont soumis à des chocs de volatilité de plus en plus fréquents : entre janvier 1994 et janvier 2008, la variation intra-journalière de l’indice VIX n’a dépassé 5, trois écarts types, qu’à cinq reprises. Entre janvier 2010 et aujourd’hui, une telle situation s’est présentée 27 fois (voir le graphique). Or prime de liquidité et volatilité sont liées : plus les marchés s’inquiètent, plus la liquidité est difficile à trouver, et plus elle est chère. Une raison de plus, pour les régulateurs, de garder un œil sur la liquidité.

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