Marché de l’électricité : Bruxelles mise sur le long terme

La réforme du marché de l'électricité présentée mardi par la Commission européenne constitue une avancée mais ne modifiera pas le modèle de tarification marginale décrié par la France.
Antonia Przybyslawski, à Bruxelles
Conférence de presse de Kadri Simson, commissaire européenne à l'Energie, sur la révision de la réforme de la conception du marché intérieur de l'électricité de l'UE, le 14 mars 2023.
L’exécutif européen a choisi la voie des «ajustements ciblés» prônée par plusieurs pays tels que l’Allemagne ou les Pays-Bas (Conférence de presse de Kadri Simson, commissaire européenne à l'Energie, le 14 mars 2023)  -  Crédit European Union

La révolution du marché de l’électricité européen ne sera finalement qu’une simple évolution. Alors que certains Etats membres, dont la France, l’Espagne et la Grèce, demandaient au début de la crise énergétique de réformer en profondeur le marché pour déconnecter l’incidence du prix du gaz sur le prix de l’électricité, l’exécutif européen a choisi la voie des «ajustements ciblés» prônée par plusieurs pays du Nord de l’Union européenne, tels que l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Estonie.

Selon la proposition de réforme mise sur la table mardi par la Commission européenne, l’institution veut avant tout réformer le marché à court terme en utilisant des instruments de long terme, pour favoriser la stabilité et la prévisibilité des coûts de l'énergie. «La récente crise de l'énergie a mis en évidence le fait que la focalisation à court terme du marché de l'énergie peut détourner l’attention d’objectifs plus vastes et à plus long terme», peut-on lire dans la proposition bruxelloise.

Il s’agit d’encourager l’utilisation de contrats de long terme afin de «réduire les risques et les coûts du capital tout en évitant les profits exceptionnels en période de prix élevés» et «de fournir des revenus sûrs et stables aux promoteurs d'énergies renouvelables et bas carbone». Une victoire pour la France, qui milite pour institutionnaliser le recours aux contrats d’achat d’électricité de gré à gré (PPA - Power purchase agreements) et notamment aux contrats d’écart compensatoire (CfD - Contracts for difference) pour le nucléaire, afin de le financer plus facilement.

Contrats encadrés

Alors que les PPA sont conclus entre deux opérateurs privés, afin de sécuriser des volumes d'électricité à un prix connu à l’avance sur longue période (entre 10 et 20 ans), les contrats d’écart compensatoire sont garantis par l’Etat, et sont basés sur la différence entre le prix du marché et un prix d’exercice convenu avec un fournisseur d’électricité. Ils sont par ailleurs encadrés dans l’UE par un régime d’aides d’Etat.

Ainsi, les Etats membres souhaitant soutenir de nouveaux investissements dans la production d'énergie solaire, éolienne, géothermique, hydroélectrique et nucléaire, devront passer par un CfD «bidirectionnel». Pour ces contrats, si le prix du marché est supérieur au prix d’exercice convenu, les revenus supplémentaires perçus par le producteur devront être reversés aux consommateurs finaux d'électricité. «Les CfD vont permettre aux consommateurs de payer un prix de l’électricité plus proche du coût de production de l’électricité nationale et non pas forcément un prix proche du prix de gros à court terme qui est celui indexé sur le gaz», réagissait mardi une source de Bercy. Toutefois, aucun encadrement est donné par Bruxelles sur la façon dont doivent être conçus ces contrats, leur durée, ou les volumes qu’ils peuvent couvrir.

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« Les contrats à long terme, tels que les CfD bidirectionnels sont bien adaptés pour protéger les consommateurs contre les fluctuations extrêmes des prix et les investisseurs contre le risque réglementaire, estime Bram Claeys, du groupe de réflexion Regulatory Assistance Project (RAP). Cependant, leur conception est également importante, et j’aurais espéré que la Commission donne davantage d’indications à ce sujet ».

Afin de ne pas rendre les producteurs d’électricité trop dépendants du soutien des Etats, la Commission européenne veut également développer davantage les PPAs. Les Etats membres devraient ainsi encourager les conclusions de ces contrats, en fournissant des garanties de l'État pour réduire les risques financiers liés au défaut de paiement du fournisseur. En outre, les Etats membres seraient tenus de «permettre aux promoteurs de projets d'énergie renouvelable participant à un appel d’offres public de réserver une partie de la production à la vente en contrats PPA».

Obligation de couverture

Selon la proposition, les Etats membres devraient en outre veiller à ce que fournisseurs d’électricité «appliquent des stratégies de couverture appropriées», pour éviter que la volatilité des prix de gros puisse «compromettre la viabilité économique de leurs contrats avec les clients». Ces stratégies de couverture appropriées incluent la possibilité pour les fournisseurs de passer par des PPA pour sécuriser leur offre.

Toutefois, lorsque les marchés de PPA sont suffisamment développés pour permettre une concurrence effective, la Commission prend une approche plus interventionniste. Les Etats membres devront ainsi «exiger qu’une partie du risque d’exposition des fournisseurs aux variations des prix de gros de l'électricité soit couverte par des PPA (…) correspondant à la durée de leur exposition au risque du côté des consommateurs». Une mesure qui risque de créer une levée de boucliers de la part des fournisseurs.

Enfin, pour réduire l’exposition à la volatilité des prix des factures d'électricité, Bruxelles veut obliger les fournisseurs à proposer des contrats à prix fixe. Ce qui, selon les régulateurs européens, «protège les consommateurs des prix volatils», mais pas des prix élevés.

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