
La désunion européenne

La nouvelle proposition de Pacte de stabilité et de croissance (PSC) présentée par la Commission européenne le 26 avril a été largement discutée au cours de la réunion mensuelle des ministres des Finances de la zone euro le 28 avril. L’Union bancaire était également au menu des discussions. Les sorts des deux dossiers sont étonnamment liés. Et force est de constater que les lignes de fracture entre les Etats membres de la zone euro persistent.
Depuis la présentation de la première mouture de la réforme en novembre dernier, la Commission a eu des discussions approfondies avec les Etats membres qui lui ont permis de dégager un consensus sur certains éléments essentiels.
Un Pacte réformé
Rappelons à grands traits la proposition de réforme. Cette dernière a en définitive peu évolué depuis novembre. Les valeurs de référence de 3 % du PIB pour le déficit et de 60 % du PIB pour la dette publique restent inchangées, mais l’esprit des règles évolue : il ne s’agit plus seulement d’assurer la soutenabilité de la dette publique mais aussi de promouvoir une croissance durable et inclusive grâce à des réformes structurelles et des investissements. Les règles proposées sont plus simples et plus transparentes, avec des trajectoires d’ajustement budgétaire formulées, pour chaque Etat, en termes d’objectifs de dépenses pluriannuels. La surveillance budgétaire se concentrera d’ailleurs désormais sur ce seul indicateur. Les Etats disposeront d’une plus grande marge de manœuvre pour définir leur trajectoire d’ajustement budgétaire, ce qui les autorisera à connaître des rythmes de désendettement différenciés.
Un compromis entre des positions diamétralement opposées, qui ne satisfait pas réellement les parties prenantes
Le ratio de la dette publique au PIB devra être plus faible à la fin de la période couverte par le plan qu'à son début et un ajustement budgétaire minimum de 0,5 % du PIB par an devra être mis en œuvre tant que le déficit restera supérieur à 3 % du PIB. Les Etats membres devraient également s’engager en matière de réforme et d’investissement public pour stimuler la croissance potentielle et réduire les niveaux d’endettement.
Il s’agit à l’évidence d’un compromis entre des positions diamétralement opposées, qui ne satisfait pas réellement les parties prenantes.
Ainsi, le ministre de l’Economie allemand, Christian Lindner, clame haut et fort son opposition à la nouvelle proposition de la Commission, vraisemblablement pour des raisons de politique interne, son parti, le FDP, étant en perte de vitesse. Christian Lindner souhaitait un engagement plus contraignant de réduction annuelle de la dette de 1 point de pourcentage du PIB pour les Etats dont la dette excède 60 % du PIB. La Commission ne lui a accordé que 0,5 point de pourcentage par an.
Christian Lindner critique également le caractère bilatéral des négociations entre chaque Etat et la Commission pour définir la trajectoire de désendettement, qui laisse la porte ouverte, selon lui, à de nouvelles dérives budgétaires. D’autres pays du nord de la zone euro sont également sur cette longueur d’onde. La France, à l’opposé, se plaint de certains aspects jugés trop rigides. Enfin, l’Italie a déclaré que le plan proposé faisait trop peu de place aux investissements dans la croissance et la transition verte.
Voilà près de deux ans et demi que la réforme du Mécanisme européen de stabilité bute sur la seule ratification du Parlement italien
Il est vrai qu’on lit sur le site de la Commission que « les propositions n’introduisent pas de traitement spécial pour un type particulier d’investissement ». Cela signifie implicitement que la charge de l’ajustement reposera sur les autres dépenses et cela mécontente l’Italie qui se demande si cette absence de « traitement spécial » est compatible avec les objectifs de la transition énergétique, tant les besoins en la matière sont grands…
Maintenant que les propositions législatives sont sur la table, il reste au Conseil de l’UE et au Parlement européen à parvenir à un accord « le plus rapidement possible ». Le temps presse compte tenu des élections européennes au printemps prochain.
Recherche Union bancaire désespérément
L’Eurogroupe a parallèlement dressé un tableau rassurant de la situation des banques européennes qui sont résistantes et disposent de capitaux et de liquidités solides. Mais après la faillite de plusieurs banques régionales aux Etats-Unis et de Credit Suisse, les gouvernements veulent rendre le système plus résilient. Or voilà près de deux ans et demi que la réforme du Mécanisme européen de stabilité (MES), entérinée par les gouvernements de la zone euro, bute sur la seule ratification du Parlement italien !
Rappelons que cette réforme du MES porte notamment sur la mise en place d’un filet de sécurité financier (« backstop ») pour le Fonds de résolution unique (FRU) dans le cadre du système de gestion des crises bancaires. Avec cette réforme, le MES serait en effet en mesure de soutenir les banques au bord de la faillite en cas d’épuisement des ressources du FRU, ce qui contribuerait à endiguer les risques de contagion en cas de crise bancaire d’importance systémique.
Les banques italiennes, qui détiennent environ 60 milliards d’euros de créances douteuses, sont parmi les plus exposées aux chocs financiers et bénéficieraient largement du nouveau MES en cas d’insolvabilité. Mais cette question reste sensible sur le plan politique en Italie. Car toute aide en la matière serait conditionnée par une trajectoire d’ajustement budgétaire stricte. La coalition au pouvoir craint que les finances publiques ne se retrouvent ainsi sous tutelle et qu’une intervention du MES (en cas de crise) ne soit même le prélude à une restructuration de sa dette souveraine. Ces craintes sont pourtant infondées : la réforme ne prévoit pas de mécanisme de restructuration de la dette souveraine et ne confie aucune tâche de surveillance macroéconomique au MES. Il est probable que la coalition au pouvoir en Italie cherche en réalité à monnayer son approbation par l’obtention d’une plus grande marge de manœuvre budgétaire dans la réforme du Pacte de stabilité et de croissance…
En résumé, le chemin s’annonce encore long et difficile. Il n’est pas dit que les Européens parviendront à s’entendre sur les règles budgétaires avant la fin de l’année. Et côté union bancaire, une chose est sûre, le système européen d’assurance des dépôts n’est pas près de voir le jour.
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