
La densification urbaine génère des investissements »

En venant à L’Agefi, vous avez pu voir le tribunal de grande instance dominer la ZAC Clichy-Batignolles de 160 mètres de haut.
Outre les projets de tours, il y a des regroupements de communes avec le Grand Paris. A quoi ressemblera la ville de demain ?
Franck Cazenave - Il y a un phénomène de densification, mais aussi d’étalement urbain. Il se fait au détriment de terres arables, ce qui pose le problème de sa soutenabilité. La ville existe et attire parce qu’il y a des opportunités d’emploi, culturelles, de formation, etc. Mais il y a aussi des désagréments. L’association Megacities Institute, cofondée par Allianz, Bosch et Gipa, a réalisé une étude en France qui montre la pollution de l’air, le bruit, les embouteillages, le manque de parkings et d’espaces verts.
Éric Groven - En 2050, 75 % de la population mondiale vivra dans les villes. On va devoir densifier les espaces urbains, et on le fera en hauteur. De plus, le code génétique des immeubles va changer. Les bureaux des années 1970 sont obsolètes, mais toujours debout. Demain, on sera capable de transformer des immeubles de bureaux en logements parce qu’on les aura conçus pour leur offrir une deuxième voire une troisième vie. C’est ce que l’on appelle la réversibilité « by design ».
Guillaume Pasquier - La ville de demain, c’est là où les emplois, l’économie et la connaissance se développent. A propos de la densité, on peut y répondre sans forcément multiplier les immeubles de très grande hauteur : comme cela a été le cas à Paris il y a bien longtemps, avec des immeubles de six à huit étages.
Jean-Pascal Bus - C’est un peu l’îlot haussmannien : un découpage de parcelles que l’on regroupe. A l’époque d’Haussmann, chaque parcelle est perpendiculaire à la rue, qui permet de retrouver les bâtiments les uns par rapport aux autres. L’îlot est la terminologie que l’on utilise aussi dans les ZAC comme Clichy-Batignolles. Quant à l’étalement urbain, c’est une évidence en France : le pays perd un territoire grand comme un département tous les sept ans.
Haussmann a bâti Paris avec le soutien de banquiers, comme les Péreire ou les Rothschild. Qui sont les investisseurs aujourd’hui ?
François Nédey - Les assureurs ont un rôle clé ! Historiquement, l’immobilier était dit « de rapport », mais investir dans les infrastructures fait partie du métier de l’assureur. Dans les actifs, une part importante est liée à la fois à l’immobilier et aux infrastructures. Nous savons que la densification va générer des besoins d’investissement très importants.
Guillaume Pasquier - Il y a d’autres investisseurs institutionnels ! La Française est un gestionnaire d’actifs dans l’immobilier du Grand Paris depuis quarante ans.
Ces actifs représentent 7 milliards d’euros. Aujourd’hui, La Française cherche à se positionner plus en amont de la chaîne de production de l’immobilier. On l’a fait récemment avec le concours « Inventons la métropole ». Nous sommes dans les groupements lauréats sur trois sites. On s’attache à créer de la valeur pour nos clients en leur constituant le portefeuille immobilier de demain. Nous ne sommes pas propriétaires d’un quartier tout entier, mais nous contribuons au fait que ce quartier soit au meilleur niveau, car c’est ce qui va donner de la valeur aux actifs. Avec ce nouveau positionnement, nous sommes sur le secteur d’Orly-Rungis, dans un quartier résidentiel en développement, à Saint-Denis-Pleyel, au cœur des futurs sites olympiques, et à Vitry-sur-Seine. Nous regardons une petite dizaine d’autres quartiers.
Éric Groven - On aura encore plus besoin des investisseurs institutionnels dans la ville de demain. Ce seront toujours des banquiers, assureurs et fonds d’asset management. Ce qui pourrait changer, c’est le rapport des particuliers à la propriété. Si on en vient
à des formules où l’usage prime, les gens n’auront plus envie d’acheter leur logement mais le loueront à des investisseurs qui géreront des parcs importants.
Guillaume Pasquier - Le basculement de la propriété vers l’usage ouvre des portes pour retrouver – au-delà du seul logement social – la diversité dans les quartiers. Tout cela ne fonctionne que si les gens peuvent s’y loger. Vous pouvez faire les plus beaux équipements publics, si vous n’avez pas une masse critique de gens qui habitent sur place, il n’y aura pas de vie de quartier. Le défi est double. D’une part, il est de créer des quartiers les plus mixtes possible, à l’opposé de l’ultra-spécialisation des villes-dortoirs. D’autre part, il faut un système de transports puissant.
Franck Cazenave - Le commerce va changer aussi. Les magasins vont devenir des showrooms où les gens iront expérimenter un équipement, un vêtement, etc. avant de se les faire livrer en deux heures. Cela apporte du lien. Le commerce de demain sera « expérienciel » : les consommateurs y partageront des expériences entre eux, dans un lieu d’échange. Le prescripteur ne sera plus le vendeur, mais l’utilisateur lui-même.
Éric Groven - Pour nous accorder les permis de construire, on nous demande de plus en plus régulièrement de prévoir des commerces en pied d’immeuble. A l’entrée de Clichy, on a aménagé un ensemble où on a construit 2.000 mètres carrés de bureaux, des commerces, une crèche, des espaces verts, du logement social et des parkings.
FranÇois Nédey - Le commerce de demain sera, soit adossé à de grandes chaînes, soit un commerce de niche. Quel est l’avenir du magasin « de proximité » ?
Éric Groven - Depuis que le groupe Société Générale met en vente certaines de ses agences, je n’ai jamais eu autant de grands de la distribution prêts à acheter des surfaces entre 150 et 400 mètres carrés.
Franck Cazenave - La ville doit créer les conditions du lien social, sinon elle sera un échec. L’an dernier, une étude de la Fondation de France a révélé que 6 % des 18-30 ans n’ont aucun lien avec d’autres personnes là où ils logent, et 12 % un seul lien (famille, voisinage, travail). Deux millions de jeunes Français sont donc « en risque » dans leur avenir social.
Éric Groven - La ville d’aujourd’hui est conçue comme une juxtaposition d’objets à usage unique : bureaux, logements, commerces, etc. Pour recréer du lien, la ville de demain devra surtout assembler des services centrés sur l’habitant. C’est une mutation. On va passer d’une culture de produits immobiliers à une culture de services urbains. La ville sera intelligente et connectée en s’appuyant sur des technologies qui vont permettre d’exploiter des flux extrêmement nombreux issus de différentes sources : moyens de transport, gestion de l’énergie, des déchets et, surtout, de l’ensemble des data qui vont être collectées au travers de tous les capteurs disposés dans la ville.
Comment protéger, assurer, ces données ?
Éric Groven - Les banques sont considérées par les clients comme des tiers de confiance légitimes pour stocker les données en toute sécurité. Dans la ville de demain émergera comme tiers de confiance celui qui garantira une valeur absolue – la transparence. De quelles données disposez-vous sur moi ? Pour telle action, quel type de données est créé ? Quel usage allez-vous en faire ? Tant que vous ne répondez pas à ces trois questions des citoyens, vous ne serez jamais considéré comme un tiers de confiance acceptable.
Franck Cazenave - Je suis complètement d’accord. La politique de Bosch est d’utiliser les données qu’il collecte uniquement pour l’usage que le consommateur nous demande de faire avec nos produits. Il y a maintenant le RGPD [Règlement général de protection des données], mais la législation allemande va au-delà. Et nous nous y conformons partout. Cette distinction va être au cœur du débat dans les prochaines années sur la ville de demain.
François Nédey - Il y a un enjeu majeur : la cybersécurité. La maîtrise du risque lié à la sécurité des données et des systèmes n’est pas résolue – loin de là. La multiplication des systèmes qui produisent et utilisent des données, parfois pour prendre des décisions d’intérêt général, pose implicitement la question de l’acceptabilité du cyber-risque par la société civile. Ce dernier me semble sous-estimé, sauf par les experts. L’assurance ne sera une réponse qu’à la condition que les acteurs (entreprises et citoyens) acceptent de payer le prix de la couverture adaptée.
Franck Cazenave - Concernant les tiers de confiance, deux situations existent. Si on est dans une mégapole comme Paris, il y aura des investisseurs privés qui voudront jouer ce rôle. Si on est dans une ville de 50.000 habitants, il faudra la force publique. A Paris, il y aura plusieurs tiers de confiance en compétition : les opérateurs de transport, comme Keolis, la RATP ou Transdev ; des assureurs ; des banquiers ; des constructeurs automobiles ; mais aussi des acteurs de l’économie nouvelle, dont les opérateurs de mobilité : Google, Tesla ou Uber. Si on passe demain dans une économie « servicielle », le constructeur automobile n’aura plus de rapports directs avec le client final : le tiers de confiance sera celui qui va « opérer » les flottes de véhicules. Chacun veut prendre le leadership, car c’est un marché formidable.
Quelle est la position de la France sur le véhicule autonome ?
Jean-Pascal Bus - Il n’y a pas de cadre réglementaire en France. La loi de 1985, sur la responsabilité en matière automobile et la notion d’implication du véhicule, ne peut pas, pour l’instant, être dupliquée. Le législateur est toujours en retrait par rapport à l’évolution de la société.
Franck Cazenave - Aux Etats-Unis, premier marché mondial de l’automobile, la législation est telle que l’Arizona a déjà autorisé des tests sans conducteurs.
François Nédey - Les structures des routes n’ont rien à voir avec l’Europe, particulièrement dans les villes : leur structure facilite la circulation des véhicules autonomes. De plus, la culture du risque n’est pas la même : en Europe, la mise en œuvre du véhicule autonome à grande échelle ne se fera qu’après une adaptation de la réglementation et avec un niveau élevé de sécurité. Enfin, on oublie l’utilisateur : son rapport à sa liberté, à sa vie privée. Après un siècle et demi de civilisation automobile, y a-t-il aujourd’hui une attente pour le véhicule autonome partagé ?
Guillaume Pasquier - Le véhicule autonome est à la fois un gadget et une révolution. Remplacer sa voiture que l’on conduit par une autre que l’on ne conduit pas mais qui est toujours notre propriété exclusive, c’est un gadget. La révolution commence le jour où on passe à l’autopartage, mais cela suppose des changements d’attitude autrement plus profonds !
Franck Cazenave - Une voiture particulière est garée 90 % du temps. Un véhicule qui se conduit tout seul aura différents usages. Dès lors, le parking public, qui prend 5 % à 10 % de la surface d’une ville, pourra aussi être réutilisé par les aménageurs publics et privés. Si vous vous projetez dans quinze ou vingt ans, en considérant que la voiture autonome va arriver aux alentours de 2020, plus tôt aux Etats-Unis parce que notre cadre réglementaire pose un certain nombre de problèmes, cela va redonner aux villes la possibilité de libérer du foncier et d’agir sur des quartiers parfois anciens, où on manque d’espaces verts et d’opportunités foncières pour recréer du lien social.
Éric Groven - On en a un exemple avec l’émergence des systèmes collaboratifs d’autopartage et l’usage des parkings, qu’il s’agisse d’entreposage ou de maintenance locale lorsqu’ils sont vides.
Jean-Pascal Bus - Il y a en effet à Paris des sociétés de logistique urbaine qui utilisent déjà des parkings pour de l’entreposage. La congestion des villes est liée notamment au développement de l’e-commerce : près d’un million de colis sont livrés chaque jour dans la capitale par exemple. Il est ressorti des « assises de la mobilité » la nécessité de véhicules propres et d’une circulation douce, avec une ville aimable pour le piéton et pour le cycliste. On brûle peut-être des étapes en parlant de véhicules autonomes dans Paris, il faut créer des infrastructures comme des bornes électriques. J’insiste sur la pollution. Plus la ville est étalée, plus il y a de la pollution ; plus elle est dense, moins il y en a. On voit des éco-quartiers qui naissent, à Paris ou à Melun comme hors de France... tout cela participe d’un mieux vivre dans la ville, une ville forcément électrique. L’électricité est l’enjeu du XXIe siècle.
François Nédey - Oui, il faut favoriser les infrastructures de recharge dans les immeubles collectifs comme dans la rue, et mettre en face la fourniture adaptée de la puissance électrique.
Franck Cazenave - En France, il y a deux pics de consommation d’énergie : entre 6 et 8 heures du matin et le soir de 17 heures à 19 heures. Toutes les capacités de production, comme dans tous les pays développés, servent à passer ces deux pics. Donc, on a déjà les infrastructures pour les véhicules électriques. Grâce à une gestion intelligente, les énergéticiens pourraient vendre leur électricité à un coût marginal en dehors des pics. Pour la livrer à beaucoup de véhicules, il faut des capacités de stockage intermédiaire dans un quartier. Bosch a des solutions à déployer. Il y a tout un travail à faire avec le réseau, avec Enedis par exemple.
Guillaume Pasquier - En matière environnementale, il ne faut pas tomber dans l’illusion technologique et négliger les fondamentaux. Bien sûr, nous n’étudions plus d’investissement dans des actifs qui ne sont pas au meilleur niveau environnemental. Mais l’immeuble sera d’autant plus vertueux que le quartier le sera aussi. Je pense que l’euro marginal investi dans l’espace public fait plus de bien que celui investi dans l’immeuble. Il vaut mieux dépenser pour faire un beau parc que pour végétaliser une façade. Idem pour les questions de mobilité. Pour le Grand Paris, à un moment, il faut creuser un tunnel, comme nos ancêtres au début du XXe siècle. J’ai récemment lu un article disant que le métro du Grand Paris serait obsolète avant sa livraison, du fait des véhicules autonomes. Pour moi, ce n’est pas sérieux.
Propos recueillis par Sylvie Guyony le 11 avril 2018
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Moule de mer Noire: alors que le climat change, la filière bulgare s’adapte et cherche à tirer son épingle du jeu
Kaliakra - Ensemencement décalé, filets plus profonds. En mer Noire, le Bulgare Nayden Stanev adapte son élevage de moules en espérant tirer son épingle du jeu car ici, le réchauffement est moins intense qu’en Méditerranée et l’eau donc plus clémente pour le petit mollusque à coque noire. «Cette année, on s’en tire bien», dit à l’AFP le mytiliculteur de 56 ans à bord de son vieux bateau diesel, évoquant les 20% de coquillages qui n’ont pas survécu à la canicule marine, qui décime les élevages d’Europe. Car ce coquillage est menacé, au grand désespoir des principaux pays producteurs que sont l’Espagne et l’Italie, où la production baisse inexorablement ces dernières années. Bien sûr, avec son millier de tonnes produits par an contre plus de 54.500 rien que pour la France en 2023, la Bulgarie est encore loin de jouer dans la cour des grands. Mais elle est déjà le premier producteur en Europe de l’Est. Pleine saison Avec les eaux de la Grèce voisine qui tendent à se «tropicaliser», de nouvelles opportunités s’offrent à Nayden Stanev qui compte bien en profiter et fait tout pour adapter sa ferme marine. Car la Méditerranée est l’une des mers qui change le plus vite. Avec une température moyenne en surface de 26,79°C, elle a connu cette année son mois de juillet le plus chaud jamais enregistré, selon Mercator Océan International, opérateur du service Copernicus Marine de l’Union européenne. Si ces hausses de température ne sont pas nouvelles, le changement climatique les rend de plus en plus fréquentes, de plus en plus longues, de plus en plus extrêmes. Avec ses 25,46°C degrés sur la même période, la mer Noire laisse plus de temps aux professionnels pour s’adapter et la baie du cap Kaliakra (nord-est), protégée des courants, demeure privilégiée. En compagnie de ses six employés, Nayden Stanev est sur le pont dès l’aube pour récolter et livrer sa production alors que la saison bat son plein en cette fin du mois d’août. Gestes ancestraux Le téléphone de cet ancien commando de marine sonne sans interruption tandis qu’il prend les commandes sur un petit carnet. Ce jour-là, ce ne sont pas moins de dix tonnes de moules qu’il devra livrer. Des centaines de restaurants et les marchands locaux sont très demandeurs, mais aussi la Roumanie voisine. Après une courte traversée, l'équipage atteint les 200 hectares de champs de moules. A la surface flottent des bouées sombres auxquelles sont suspendus de longs filets sur lesquels elles croissent. Sans échanger un mot, les hommes travaillent avec des gestes ancestraux: l’un fait émerger les précieuses coquilles, l’autre les nettoie, un troisième les trie. Les sacs de 800 kilos s’empilent, des cormorans guettent les restes avant que le bateau ne revienne à quai en début d’après-midi, attendu par plusieurs camions frigorifiques. Quelques habitants patientent aussi, munis de seaux pour le dîner en famille. Malgré la bonne récolte, les experts invitent à la prudence. Ici non plus «la mer n’a pas le temps de refroidir, quand le réchauffement est prolongé», déplore Radoslava Bekova, de l’institut d’océanologie à l’académie bulgare des sciences. «Fragilisée, la moule est vulnérable aux maladies» et l’année dernière, les pertes avaient été très lourdes, rappelle-t-elle. Chute de la production La production de moules dans l’UE est en baisse depuis 2018 tandis que la production mondiale a continué de croître, selon les données de l’Observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l’aquaculture (EUMOFA). En 2023, le volume récolté dans l’UE était inférieur d’environ 21% à celui de 2018. «Le passage durable des eaux à 26°C et plus — seuil de mortalité massive des moules — pendant les pics de demande perturbe la chaîne d’approvisionnement», constate John A. Theodorou, professeur associé au département des pêches et de l’aquaculture de l’Université de Patras, en Grèce. «Le changement climatique frappe déjà à la porte des producteurs européens». Dans ce tableau noir, les conchyliculteurs bulgares ont des raisons d’espérer. L'écart de températures «ouvre des débouchés à la moule de la mer Noire, moins exposée aux pressions environnementales», estime M. Theodorou. Quelque 356.500 tonnes de moules ont été récoltées dans l’UE en 2023, pour une valeur d’environ 463 millions d’euros, d’après les données d’EUMOFA. L’Espagne arrivait en tête avec 155.700 tonnes, suivie de l’Italie (57.279) et de la Grèce (18.000). La Bulgarie représentait, elle, près de 1.100 tonnes. Rossen BOSSEV © Agence France-Presse -
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