Immobilier : l’Espagne sur le qui-vive

L’inflation et la hausse des taux fragilisent les foyers espagnols les plus vulnérables.
Stéphanie Salti, à Madrid
Espagne
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La débâcle immobilière du début de la décennie 2010 en Espagne reste encore dans toutes les mémoires. Or, la persistance d’une inflation élevée et la hausse des taux d’intérêt font ressurgir aujourd’hui le spectre de la crise. Certes, le marché hypothécaire espagnol s’est largement restructuré dans l’intervalle. « La part des contrats à taux fixe a augmenté, ces dernières années, et représente désormais plus de 70 % de la production de nouveaux prêts, explique Ketan Thaker, responsable des titrisations immobilières (RMBS) et des obligations sécurisées européennes à l’agence DBRS Morningstar. L’Espagne fait partie des pays européens, comme l’Autriche, qui ont réduit, ces dernières années, leur exposition aux prêts hypothécaires à taux variable – plus de 90 % des prêts hypothécaires espagnols émis étaient à taux variable au plus fort de la crise financière. » Malgré ces évolutions, les prêts à taux variable représentent encore plus de 70 % du stock de crédits hypothécaires dans ce pays. La plupart de ces contrats sont liés à l’Euribor (Euro Interbank Offered Rate) 12 mois, un taux d’intérêt interbancaire de référence annuelle. Après avoir enregistré sa plus forte hausse en septembre, ce taux a continué à progresser en octobre, mais à un rythme plus lent : la moyenne mensuelle s’est établie à 2,6 %, contre -0,47 % il y a un an. De quoi faire grimper de près de 42 % en moyenne la facture hypothécaire. « Dans le cas d’un prêt hypothécaire standard en Espagne – de 150.000 euros pour vingt-cinq ans avec un différentiel de 1 % sur l’Euribor –, la mensualité passera de 533 euros à 761 euros, soit 228 euros de plus par mois ou 2.736 euros de plus par an pour une famille moyenne », selon des calculs du quotidien économique Cinco Dias. Les modèles mathématiques de la Banque d’Espagne pointent aussi la possibilité d’une dégradation de la situation. Une augmentation de 300 points de base des taux d’intérêt augmenterait de 3,9 points la proportion de ménages – soit 400.000 – consacrant plus de 40 % de leurs revenus au remboursement de leurs dettes, estimait ainsi, début octobre, Pablo Hernandez de Cos, le gouverneur de l’institution. Au total, près de 14 % de la population espagnole serait ainsi à risque.

Pour l’heure, la banque centrale incite néanmoins à garder la tête froide. « Le marché hypothécaire espagnol est dans une bonne situation, avec un cadre réglementaire qui garantit son dynamisme et sa solidité », a martelé Margarita Delgado, sous-gouverneure de la Banque d’Espagne, lors d’une intervention le 8 novembre. « Nous n’observons pas en Espagne les signaux d’alarme dans le secteur immobilier que l’on constate dans d’autres pays voisins », a-t-elle assuré. Pour preuve, l’institution n’a activé jusqu’à présent aucun des outils macroprudentiels dont elle dispose pour prémunir le système bancaire de crises éventuelles : le coussin de capital contracyclique, les limites de concentration sectorielle ou encore des limites imposées dans certaines conditions de prêt.

« Jusqu’à présent, nous n’avons pas constaté de détérioration de la performance des transactions RMBS que nous évaluons, confirme María Turbica Manrique, analyste crédit au sein du groupe Structured Finance chez Moody’s. Seule une fraction des prêts a été réinitialisée aux nouveaux taux d’intérêt, plus élevés. »

Du côté des banques, les bilans restent sains. « Les banques espagnoles ont considérablement réduit leur risque depuis la dernière crise grâce à l’amélioration de l’origination des prêts, tout particulièrement pour ce qui relève du rapport prêt/valeur (‘loan to value’), du ratio d’endettement, et grâce aussi à la cession de créances douteuses, explique Chiara Romano, directrice associée Financial Institutions au sein de Scope Ratings. La couverture des prêts non performants s’est également améliorée de manière significative, les provisions couvrant désormais plus de 70 % de l’encours de ces prêts. En outre, les reprises de provisions réalisées pendant la pandémie ne sont toujours pas utilisées. »

Mesures gouvernementales

Pas de quoi, toutefois, éviter une hausse des créances douteuses (NPL) dans les bilans sur le moyen terme. La question reste de savoir dans quelles proportions : « Un choc de taux d’intérêt s’accompagnera d’une remontée des NPL gérable, explique Pablo Manzano, chez DBRS Morningstar. En revanche, un choc macroéconomique plus puissant ayant un impact fort sur l’emploi pourrait être plus problématique. Actuellement, ce n’est pas le scénario que nous envisageons. » Les analystes font aussi valoir la nature à double tranchant de l’impact de la hausse des taux sur les bilans bancaires. « L’hypothèse d’une augmentation des défauts de paiements pourra être compensée par un surcroît de revenus, poursuit Pablo Manzano. D’ores et déjà, nous constatons une augmentation significative des revenus nets d’intérêt sur les bilans des banques espagnoles au troisième trimestre. »

Dans l’intervalle, Nadia Calviño, la ministre de l’Economie et de la Transformation numérique, travaille avec les associations bancaires espagnoles à l’élaboration d’un paquet de mesures de soutien aux familles les plus vulnérables. Les banques ont proposé une extension jusqu’à cinq ans de la durée des hypothèques variables. Le gouvernement de Pedro Sanchez souhaite aller plus loin.

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