
Face au protectionnisme vert des Etats-Unis, l’Union européenne hésite
Pour Bruno Le Maire, la coupe est pleine. « Notre industrie subit déjà un déficit de compétitivité lié aux différences de prix de l'énergie entre les Etats-Unis et l’Europe. Les subventions massives prévues par le Inflation Reduction Act (IRA) américain et la concurrence chinoise, également fortement subventionnée, risquent de creuser davantage cet écart, a alerté lundi le ministre des Finances français. Nous devons donc réagir vite. J’appelle à une réponse coordonnée, unie et forte de l’Union européenne vis-à-vis de nos alliés américains. Seule la fermeté nous permettra d’obtenir des résultats ».
Comme souvent, Paris monte ainsi au créneau pour pourfendre Washington. Adopté au mois d’août, l’IRA américain a en effet de quoi irriter ses partenaires commerciaux, en ce qu’il prévoit 370 milliards de dollars de crédits sur les dix prochaines années dans le but de décarboner l’économie américaine, et surtout des dispositions jugées discriminatoires.
« Le problème est moins le caractère massif des subventions déployées que les exigences de contenu local attachées à ces subventions, détaille Elvire Fabry, chercheuse senior de l’Institut Jacques Delors. Les crédits d’impôts octroyés pour l’achat de véhicules électriques sont par exemple conditionnés à ce que ces derniers soient assemblés en Amérique du Nord et composés d’au moins 40% de minerais stratégiques extraits aux Etats-Unis. Le Canada et le Mexique sont en partie épargnés, mais pas les Européens ni les Japonais ou les Coréens, ce qui apparaît nettement comme une distorsion de concurrence alors même que le secteur est en effervescence du fait de la transition vers l’électrique ».
Dimension environnementale
Bruno Le Maire, mais aussi le commissaire français au Marché intérieur Thierry Breton ou le président de la République Emmanuel Macron, tous trois remontés contre l’IRA, n’hésitent toutefois pas à faire l’amalgame entre le volume des subventions américaines et leur caractère discriminatoire, sans faire la part des choses entre ce qui les irrite d’un point de vue économique, et ce qui peut être considéré comme contraire aux règles de l’OMC.
Emmanuel Macron semble d’ailleurs lui aussi tenté de suivre le chemin tracé par les Etats-Unis, décrédibilisent d’autant l’argument juridique de l’UE. « Les Américains achètent américain et mènent une stratégie très offensive d’aide d’Etat. Les Chinois ferment leur marché, expliquait-il ainsi un entretien accordé aux Echos il y a quelques semaines. On ne peut pas être le seul espace, le plus vertueux sur le plan climatique, qui considère qu’il n’y a pas de préférence européenne. Je défends fortement une préférence européenne sur ce volet et un soutien fort à la filière automobile. Il faut l’assumer et cela doit advenir le plus vite possible ».
Pour Aurore Lalucq, économiste et eurodéputée Place Publique, le positionnement de la France vis à vis de l’IRA est ainsi « hors-sujet ». « Il ne faut pas oublier que ce texte a une forte dimension environnementale, explique-t-elle. Il peut permettre aux Etats-Unis de réduire leurs émissions de 50% d’ici à 2030, et nous devrions avant tout nous en réjouir. Mais Bruno Le Maire préfère faire la leçon aux Américains, en plein coup d’envoi de la COP 27, alors même que la France distribue elle aussi des aides massives, mais mal ciblées, qui rémunèrent principalement les détenteurs de capitaux ».
Contre-mesures
Paris est toutefois loin d’être la seule capitale à se préoccuper des conséquences de l’IRA. Séoul et Tokyo ont immédiatement réagi et envisagent des contre-mesures, quand les pays du sud craignent une course aux subventions et d’un protectionnisme qui se feraient à leur détriment. « Si les Américains ne sont pas en conformité avec les règles de l’OMC, nous serons dans notre bon droit et nous aurons le devoir d’imposer des mesures de rétorsion, affirme l’eurodéputée MoDem Marie-Pierre Vedrenne. C’est un enjeu de crédibilité pour l’UE, qui doit agir avec les Etats-Unis comme avec n’importe quel autre partenaire ».
Pas sûr, toutefois, que l’UE se décide de sitôt à réagir. Pour l’heure, la Commission a privilégié la voie diplomatique, mettant en place une task force transatlantique destinée à trouver un terrain d’entente. Déjà alourdie par la guerre en Ukraine et la crise énergétique, l’UE se passerait bien d’un conflit avec les Etats-Unis, dont elle dépend sur ces deux fronts prioritaires. Les pays du nord semblent ainsi pour l’heure vouloir temporiser et laisser ses chances à la voie diplomatique, malgré l’absence de progrès réalisés jusqu’ici.
Position difficile de l’Allemagne
D’un autre côté, les élections de mi-mandat qui doivent se tenir aux Etats-Unis ce mardi, si elles débouchent sur des majorités républicaines au Congrès, pourraient changer la donne, condamnant définitivement toute réouverture de l’IRA et remettant en question le soutien apporté par les Etats-Unis sur le continent européen depuis le début de la guerre.
Dans cette situation incertaine, la position de l’Allemagne, principalement visée par l’IRA, paraît néanmoins difficile à saisir, entre voyage en solo d’Olaf Scholz à Pékin et déclarations tièdes du ministre de l’Economie Robert Habeck vis à vis des Etats-Unis. « L’Allemagne est déboussolé, analyse Elvire Fabry. Elle s’est réengagée dans un rapprochement transatlantique, est désormais très dépendante de l’énergie américaine, et semble rechercher un positionnement stratégique complexe ».
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