BUDGET EUROPÉEN - Le billard à trois bandes

Menées tambour battant, les négociations sur le cadre budgétaire 2021-2027 et le fonds de relance doivent encore apporter des réponses à un grand nombre de questions délicates.
Mathieu Solal, à Bruxelles
Ursula von der Leyen, présidente de la  Commission européenne.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.  -  CE-Service audiovisuel-Jennifer Jacquemart

Affirmer coûte que coûte le pouvoir du Parlement européen (PE) quitte à créer une crise institutionnelle dont il serait tenu responsable ou accepter un compromis au rabais qui pourrait être rejeté par leurs collègues : tel est le dilemme auquel sont confrontés six négociateurs du Parlement dans les tractations avec la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne (UE) sur le fonds de relance et le cadre budgétaire 2021-2027. Une véritable course contre la montre, les deux institutions devant s’accorder sur une quarantaine de texte en un temps record, pour que le budget et le fonds de relance soient prêts au 1er janvier 2021. « Le Parlement est toujours dans une situation délicate dans les négociations budgétaires », analyse Andreas Eisl, chercheur autrichien de l’Institut Jacques Delors. « Sur le papier, il a autant de pouvoir que le Conseil, mais en pratique, il est loin d’avoir la même marge de manœuvre. Cette fois s’ajoute le plan de relance, auquel le PE est largement favorable et qu’il ne voudra en aucun cas remettre en question en adoptant une position trop dure », éclaire ce spécialiste du budget européen. « Le Parlement ne bloquera pas le plan de relance », pose Valérie Hayer, membre de l’équipe de négociation des eurodéputés. « Nous voulons simplement négocier un budget plus ambitieux, en renforçant ce qui a été conclu au niveau du Conseil européen. Si la conséquence est de donner plus de pouvoir au Parlement tant mieux, mais ce n’est pas l’objectif de ces négociations », explique l’eurodéputée française du groupe Renew (libéral). Le PE cible ainsi la revalorisation de 15 programmes différents tels qu’Erasmus, le programme pour la santé ou celui sur la recherche dans lesquels les Vingt-Sept ont pratiqué d’importantes coupes budgétaires. Des demandes pour l’instant rejetées par la présidence allemande du Conseil, qui craint de bouleverser le fragile équilibre trouvé par les chefs d’Etat et de gouvernement en juillet. Pour Andreas Eisl, Berlin parviendra tout de même à convaincre les Etats membres d’augmenter les dotations de certains programmes. « On se dirige vers un compromis assez faible. Le Conseil acceptera certainement de donner quelques ‘miettes’ sur quelques lignes budgétaires, mais ce ne sera rien de substantiel », estime-t-il. Cette hypothèse est rendue encore plus vraisemblable par l’attitude de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Dans son premier discours annuel sur l’état de l’Union le 16 septembre, l’Allemande s’est montrée bien silencieuse sur les négociations en cours, insistant seulement sur la nécessité de renflouer le programme de santé de l’UE, quasiment réduit à néant dans l’accord du Conseil européen. Dissensions Ursula von der Leyen espère plutôt pouvoir orienter vers ses priorités climatique et digitale les fonds qui seront distribués au mieux à partir d’avril 2021 aux Etats. « Plutôt que de se mêler des discussions entre le Parlement et le Conseil, la Commission, qui aura charge de valider les plans de relance nationaux, essaiera de fixer des critères clairs tout en laissant de la flexibilité aux Etats pour organiser leur relance. Là aussi, ce sera un équilibre difficile à trouver », analyse Andreas Eisl. Pour convaincre leurs homologues parlementaires, les négociateurs du PE peuvent toutefois jouer sur d’autres leviers. Valérie Hayer essaie par exemple d’obtenir des engagements contraignants des Etats membres sur l’établissement de nouvelles ressources propres du budget européen. Le Parlement et le Conseil devraient ainsi agréer une feuille de route pour la mise en place de ces nouvelles taxes européennes. Une victoire plus sur la forme que sur le fond, selon Andreas Eisl. Il estime que rien n’engagera formellement les Etats membres à s’accorder sur les différents projets qui font l’objet de nombreuses dissensions entre eux (taxe carbone aux frontières, taxe sur les transactions financières, etc.). Enfin, les négociateurs tentent d’obtenir la mise sur pied d’un système efficace de limitation du financement européen en cas d’atteinte à l’Etat de droit dans un Etat membre. Ce mécanisme imaginé par la Commission est battu en brèche par les Etats d’Europe centrale qui feront tout pour le réduire à néant. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a même menacé de faire dérailler le processus de ratification de fait du fonds de relance par son Parlement si un tel mécanisme était mis en place. Ce processus de ratification qui débutera bientôt sera la dernière inconnue de l’équation hors norme du budget et du fonds de relance. Concrètement, les parlements des Etats membres devront valider la décision d’augmentation du plafond des ressources annuelles permettant à la Commission d’emprunter l’argent qui alimentera le fonds de relance. Outre la Hongrie, les regards seront tournés vers les Pays-Bas, le Danemark et la Suède. Ces trois Etats du groupe des « frugaux » sont en effet à la fois philosophiquement opposés à l’endettement commun et dirigés par des gouvernements de coalition minoritaires. L’échec de la ratification dans un seul parlement des Etats membres créerait un cataclysme politique et ralentirait encore la mise en place du fonds de relance.

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