Agirc-Arrco: «Evitons une réforme des retraites par le bas»

François-Xavier Selleret revient sur la menace que fait peser le recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arrco par l’Urssaf. Le directeur général expose les risques encourus en cas de transfert.
Valérie Riochet
francois-xavier-selleret-sophie-belliot-agirc-arrco.jpg

Une bataille politique s’est engagée autour de la gestion du recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arrco par l’Urssaf. La mobilisation des partenaires sociaux a-t-elle une chance de succès ? François-Xavier Selleret -L’unanimité des partenaires sociaux a donné au sujet de transfert du recouvrement des cotisations de l’Agirc-Arrco vers l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales), un caractère transpartisan. Les députés s’apprêtaient à confirmer, en séance publique, l’abrogation du transfert du recouvrement adopté par la commission des affaires sociales mais l’actionnement du 49.3 a empêché le débat d’avoir lieu. Dans la nuit du 7 au 8 novembre, le Sénat a annulé par 302 voix contre 28 le projet de texte, une opposition massive au projet de loi du gouvernement tel que modifié après le 49.3 qui proposait le report du transfert à 2024. Les textes n’ayant pas été adoptés en termes identiques par les deux chambres, un texte a été transmis à la commission mixte paritaire de l’Assemblée nationale qui n’a pu aboutir faute de consensus sur l’ensemble du projet de loi de financementde la Sécurité sociale (PLFSS). L’Assemblée nationale va donc examiner en nouvelle lecture le projet de texte tel qu’issu du Sénat qui prévoit l’abrogation du transfert. Le gouvernement devrait vraisemblablement actionner à nouveau l’article 49.3. Combatifs, les partenaires sociaux sont déterminés à se faire entendre. Le projet d’un recouvrement unique par l’Urssaf a pourtant été voté dès 2019... Le recouvrement unique des cotisations retraite décidé au détour du vote du PLFSS pour 2020était relié à l’époque au projet de réforme systémique de la retraite, qui prévoyait la création d’une Caisse nationale de retraite universelle (CNRU), relevant d’une gouvernance publique. Orle projet d’une réforme systémique a été abandonné. Cet été, les partenaires sociaux des organisations patronales et syndicats des salariésont écrit au gouvernement pour indiquer qu’ils souhaitaient l’abandon du transfert du recouvrement. Leur argument est simple : ils ont la responsabilité du pilotage du régime et de son équilibre financier sur le long terme. S’ils sont capables de revaloriser les retraites complémentaires en maintenant l’équilibre sur le long terme, c’est parce qu’ils ont l’entière maîtrise des ressources du régime Agirc-Arrco. Les arguments du gouvernement pour davantage de simplicité ne sont-ilspas audibles ? L’argument de simplicité avec l’émergence d’un guichet unique est fortement à discuter depuis la mise en place en 2017 de la déclaration sociale nominative (DSN). La DSN simplifie déjà les démarches des employeurs qui s’acquittent en une seule fois de leur déclarations sociales (Sécurité sociale, régime Agirc-Arrco, complémentaire santé, prévoyance...). L’autre argument avancé par l’Etat est celui de l’économie. Ornous avons mis en place un plan massif de réduction de nos frais généraux : une économie de 650 millions d’euros sur notre gestion administrative a été dégagée ainsi que 100 millions au titre des commissions acquittées aux sociétés de gestion délégataires. Et la réduction de nos frais généraux va se poursuivre. Par comparaison, dans le système Urssaf, la facture est proportionnelle aux cotisations prélevées. Dans un contexte d’augmentation de masse salariale, la facture augmentera de fait. Par ailleurs, dès lors que la sphère publique aura mis la main sur les flux des cotisations Agirc-Arrco, le risque c’est qu’elles ne nous soient plus reversées dans leur globalité. D’autant qu’on nous explique que la réforme des retraites a vocation à financer d’autres priorités de politiques publiques... Peut-on y voir la phase 1 de la réforme des retraites portée par ce gouvernement ? Pour les partenaires sociaux, cette mesure peut être perçue comme une réforme des retraites par le bas, en mettant la main sur le financement. Le sujet n’est pas technique, mais politique. Ce qui se joue, c’est la capacité des corps intermédiaires à continuer à porter une part du bien commun du pays. Le fait que le régime Agirc-Arrco soit globalement à l’équilibre dans une vision pluriannuelle et qu’il détienne des réserves financières le préservant des aléas économiques et démographiques démontre la solidité du pilotage exercé par les partenaires sociaux. Il incarne la promesse d’une retraite par répartition entre les générations. Quelles seraient les conséquences d’un transfert de recouvrement pour les entreprises ? Tout d’abord, leur trésorerie serait affectée. Les appels de cotisations ont lieu le 25 de chaque mois permettant le versement des retraites le 1er du mois suivant. Les organismes de Sécurité sociale (Acoss), en charge du recouvrement des cotisations sociales, appellent pour leur part leurs cotisations le 5 du mois, soit 20 jours avant. Concrètement, ce décalage supposerait un effort de trésorerie global pour les entreprises de 5 à 6 milliards d’euros pendant deux à trois semaines. Soit un coût économique certain, notamment dans un contexte de remontée des taux d’intérêt et de possible récession. Cela suppose, en outre, de devoir reprogrammer les logiciels de paie de toutes les entreprises. Autre élément, on prend le risque d’avoir un interlocuteur supplémentaire entre les entreprises et l’Agirc-Arrco. Orl’accompagnement de nos équipes permet, au fil de l’eau, de s’assurer de l’exactitude des déclarations et de leur correction le cas échéant. Surtout, il garantit le lien « cotisation-droit », autrement dit le consentement à la cotisation. L’Agirc-Arrco est un régime contributif où un euro cotisé donne droit à un euro versé, tandis que la Sécurité sociale est un régime de solidarité. Chaque mois, nous recalculons la paie de 25 millions de salariés afin qu’ils soient certains que les cotisations déclarées par leurs employeurs correspondent aux cotisations dues. En cas d’anomalie, nous revenons vers l’employeur pour l’amener à comprendre d’où vient l’écart et le corriger. Le spectre d’une récession pourrait-il mettre à mal le régime, à l’image de 2020 ? Le régime est robuste, équilibré sur 20 ans avec un excédent technique en 2021 de 2 milliards d’euros qui, d’après nos projections, pourrait atteindre cette année 4,5 milliards d’euros. Le montant de nos réserves à fin 2021 était de 68 milliards en valeur de marché. Au vu de ces fondamentaux robustes, les partenaires sociaux ont décidé, le 6 octobre dernier, une revalorisation des pensions de retraite de 5,12 % appliquée dès le 1er novembre. Ce qui représente un effort pour le régime de 4,5 milliards en année pleine. Une augmentation soutenable sur la base des projections à 15 ans, même si à court terme, la question de l’élasticité entre la croissance et la masse salariale demeure. Quels ajustements sur votre gestion d’actifs au vu du contexte économique ? Le conseil d’administration a revu l’allocation stratégique de nos actifs (68 milliards d’euros au 31 décembre 2021) et le budget de risque pour une prise d’effet au 1er janvier 2023. Il a décidé un allégement des contraintes sur la poche obligataire portant les limites en émissions notées BBB de 10 % à 20 % du portefeuille global. Parallèlement, la duration moyenne sera plus longue en accompagnement de la hausse des taux sur les marchés. Cette décision est mise en œuvre de façon tactique sur la base des avis exprimés par des experts lors d’ateliers Taux réunissant l’ensemble de nos gestionnaires délégués et les sociétés de gestion internes des différentes caisses du régime. En croisant les points de vue lors d’une première réunion, un consensus a été dégagé pour établir un scénario de remontée de duration par paliers. Comme nous sommes dans une période d’incertitude, il nous faut être manœuvrant. Ces réunions seront organisées selon les besoins. Sur la poche actions, la pondération internationale se trouve renforcée, avec un poids cible qui passe de 5 % à 10 % pour les titres situés hors zone euro (limités à l’OCDE). Concernant nos investissements dans le non-coté, faibles jusqu’à présent, une cible de 3 milliards d’euros (5 % de notre allocation d’actifs) est fixée au terme d’un déploiement progressif de plusieurs années. Une première poche de 500 millions qui sera constituée en 2023 portera sur l’infrastructure et le private equity en Europe. Concernant spécifiquement l’immobilier, les partenaires sociaux qui gèrent la Foncière Logement ont transféré au régime en 2017 la nue-propriété de 30.000 logements. La pleine propriété sera acquise en 2047, soit une valeur de patrimoine de 5 milliards (valorisation en 2017) qui s’ajoutera ainsi à notre portefeuille. La performance annuelle délivrée atteint 3,9 % sur les dixdernières années. Nous optimisons le triptyque «performance, gestion du risque et coût de gestion». Pour citer Jean-Pierre Chevènement, « la retraite c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Nous continuons donc ainsi de défendre le patrimoine des Français.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Retraite

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...