
SVB oblige à réévaluer l’effet des hausses de taux sur l'économie

Des déposants qui fuient leur banque, des régulateurs et des chefs d’Etat qui suent sang et eau jusqu’au petit matin pour éviter un lundi noir, une Réserve fédérale contrainte de rouvrir les vannes des liquidités… En l’espace de trois jours, Silicon Valley Bank (SVB), ce spécialiste californien du financement des start-up dont le monde entier ignorait l’existence jusqu’à la semaine dernière, a ressuscité le spectre de Lehman Brothers ou du britannique Northern Rock.
Sur le papier pourtant, SVB n’a rien de systémique. Si sa chute provoque une telle nervosité chez les investisseurs, c’est qu’elle traduit la violence du changement de régime de taux opéré par les banques centrales depuis fin 2021. Un choc qui affecte un établissement de crédit traditionnel et non plus des fonds de pension britanniques, comme à l’automne dernier, ou des acteurs intimement liés aux excès de la cryptosphère tels que Silvergate ou Signature, deux autres banques américaines en faillite.
Un cas très particulier
Les analystes s’accordent sur un point : Silicon Valley Bank constitue un cas unique dans le paysage bancaire américain. Entre 2019 et 2022, les dépôts de sa clientèle de start-up avaient plus que triplé, à 186 milliards de dollars, grâce aux flots de cash qui inondaient la tech américaine. Un profil de croissance très inhabituel pour le secteur. L’action SVB avait suivi le même chemin en Bourse, devenant une valeur spéculative, ce qui n’est jamais bon signe pour une banque. Alors qu’elle traitait autour de 250 dollars en 2019 et 2020, elle avait vu son prix tripler, avant de replonger à partir de l’an dernier, certains hedge funds l’utilisant comme un moyen facile de parier sur les heurs et malheurs de la tech.
Pour réinvestir ces dépôts, «SVB détenait à son actif une proportion inhabituellement élevée de titres à taux fixe par rapport aux prêts», rappelle Neil Shearing, chef économiste de Capital Economics. La banque s’abstenait de couvrir le risque de taux attaché à ces obligations d’Etat. Au moment où la Fed a commencé à engager l’un des resserrements monétaires les plus rapides et amples de son histoire, SVB constituait donc un candidat idéal à l’accident industriel. L’établissement était doublement exposé à la hausse des taux : au passif, puisque celle-ci mettait ses clients en difficulté et les obligeait à puiser dans leur trésorerie, et à l’actif, avec la baisse de la valeur de marché de son portefeuille de Treasuries, qui occasionnerait des pertes si ces titres devaient être cédés. La myopie des superviseurs américains, aux pouvoirs dilués entre Washington et San Francisco, a rendu possible ce cocktail délétère.
Le cas SVB, décrit comme «idiosyncratique» dans le jargon des financiers, ne peut donc être transposé à l’ensemble du système, et notamment aux plus grandes banques. Les géants de Wall Street ont un modèle économique beaucoup plus diversifié. Ils sont aussi soumis à une supervision plus stricte que les banques régionales, dont le lobbying efficace sous l’administration Trump avait permis d’alléger les contraintes… L’Europe semble encore mieux lotie. La croissance des dépôts bancaires n’y a pas été aussi forte qu’aux Etats-Unis, ni le resserrement monétaire aussi marqué, «de sorte que le risque d’un retournement brutal est plus faible», note Jérôme Legras, responsable de la recherche chez Axiom AI. Quant au risque de taux, «les banques de l’Union européenne recourent beaucoup aux opérations de couverture, ce qui rend les pertes non réalisées sur les obligations moins importantes», ajoute l’expert.
Si elles ont manqué de vigilance en amont, les autorités ont aussi su réagir vite. Côté Fed et Trésor, la mesure la plus spectaculaire consiste en une ligne d’urgence de 25 milliards de dollars. Les banques pourront se refinancer à ce guichet en apportant en garantie des titres tels que des Treasuries. La banque centrale valorisera ces effets à 100% du pair, soit à des conditions exceptionnellement favorables. A Londres, le Premier ministre Rishi Sunak a renfilé ce week-end ses habits d’ex-banquier d’affaires et gérant de hedge fund afin de vendre à HSBC la branche britannique de Silicon Valley Bank pour une livre symbolique.
A lire aussi: Les banques régionales américaines profitent de l’allégement de Dodd-Frank
Des bilans passés au crible
La réaction du monde de la finance à l’électrochoc SVB n’en est pas moins épidermique, et ce pour trois raisons. D’abord, l’impact direct de la chute du prêteur pour l’économie réelle. Des milliers d’entreprises de la tech, dont 3.300 clients de SVB au Royaume-Uni, se sont trouvées subitement confrontées au risque de ne plus pouvoir accéder à leur cash. Ensuite, la contagion de la défiance à d’autres établissements de crédit exposés à l’écosystème de la Silicon Valley. First Republic Bank, une banque de San Francisco affichant 212 milliards de dollars d’actifs, a vu le prix de ses actions s’effondrer de 70% lundi avant leur suspension. Des acteurs ayant pignon sur rue, comme Bank of Hawaii ou Charles Schwab, se retrouvent également pris dans la tourmente boursière. «Il y a aura un avant et un après SVB pour le business model de certaines banques régionales américaines», confie à L’Agefi le dirigeant d’une banque américaine en Europe.
Enfin, les investisseurs vont forcément passer au crible les bilans des prêteurs américains et européens et leur sensibilité à la hausse des taux. «Même si nous ne sommes pas en territoire systémique, nous réapprenons progressivement que les taux d’intérêt ne peuvent monter sans provoquer de douleur, relève Gilles Moëc, chef économiste d’Axa. Bien qu’isolée, la situation chez SVB doit nous rappeler que les canaux macro-financiers devraient être les premiers à être vérifiés – ils sont susceptibles d'être le signe avant-coureur de difficultés plus importantes dans l'économie réelle.» «Nos clients, entreprises et fonds d’investissement, n’ont pas encore totalement intégré que nous avons changé de régime de taux. Il est temps d’ouvrir les yeux», abonde le banquier. Malheur aux maillons faibles.
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