RÉGLEMENTATION - Bruxelles se remet au vert

Après un an et demi de ralentissement législatif lié à la pandémie, l’exécutif européen semble décidé à rattraper le temps perdu en mettant en place son agenda financier à dominante verte.
Clément et Mathieu Solal, et Antonia Przybyslawski, à Bruxelles
Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron le 17 septembre 2021.
Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron le 17 septembre 2021.La présidence française du Conseil de l’Union européenne commencera le 1er janvier 2022.  -  CE

La crise ? Quelle crise ? En cette rentrée, les nouvelles encourageantes sur le front économique et financier pleuvent sur la Commission européenne. Le PIB de l’Union devrait ainsi revenir à son niveau d’avant-pandémie d’ici à la fin de l’année, l’augmentation des prêts non performants, bien que significative, ne devrait pas être la vague un temps crainte. Quant aux banques, elles ont bien résisté au choc, de l’avis même de l’Autorité bancaire européenne.

Bruxelles semble donc décidée à desserrer les dents et à revenir au programme à dominante verte qu’elle avait esquissé avant que le Covid-19 ne fasse son apparition, à commencer par le suivi des initiatives déjà lancées en matière de finance durable.

Le nœud de la taxonomie

Parmi ces dossiers, le plus brûlant est indubitablement la taxonomie des investissements verts. Si le premier acte délégué publié en avril dernier par la Commission européenne semble faire consensus, les questions toujours en suspens de l’inclusion du gaz et du nucléaire continuent de défrayer la chronique. Bruxelles s’était engagée en avril a publier un acte délégué complémentaire « dans le courant de l’année », pour définir leur sort, mais pourrait bien attendre qu’un gouvernement allemand soit constitué avant d’oser trancher une question devenue aussi délicate politiquement.

Côté nucléaire, la France, qui tient au financement des investissements d’EDF en la matière, a multiplié ces derniers mois les demandes pressantes d’inclusion à la taxonomie. Selon les trois rapports d’experts rendus à la Commission lors du premier semestre 2021, il n’y a pas suffisamment de preuves pour établir que les déchets nucléaires causent un dommage « significatif » à l’environnement.

Si Bruxelles doit logiquement accepter d’inclure l’atome, les Etats membres à la majorité qualifiée ou le Parlement à la majorité absolue peuvent toutefois s’opposer à sa décision. Une hypothèse à ne pas écarter vu la forte opposition à cette énergie dans certains pays européens. Le gaz est quant à lui sans doute trop décrié scientifiquement pour que la Commission puisse l’insérer dans sa classification des activités vertes comme elle l’avait envisagé un temps. Le lobbying des nombreux pays qui aimeraient en faire une activité de transition pourrait toutefois faire pencher la balance, mettant en danger la crédibilité de la taxonomie.

Cela affecterait du même coup le standard européen d’obligations vertes volontaire, proposé en juillet par Bruxelles, alors que l’Union européenne se situe actuellement à la tête de ce marché, en ayant émis 50 % des obligations vertes mondiales en 2020. Autre sujet à suivre, sur le plan du reporting environnemental : des négociations autour de l’information non financière (lire ‘La Parole à…’).

UMC verte ?

L’agenda finance durable avance si bien qu’il pourrait même incorporer d’autres projets bien plus délicats tels que ceux de l’Union des marchés de capitaux (UMC), bloquée depuis 2015. C’est du moins la suggestion de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, qui estime que certaines initiatives relancées en 2020 « devraient être accélérées, même si elles ne s’appliquent qu’à la finance durable pour l’instant ».

Si l’exécutif européen ne s’est pas formellement prononcé en faveur de cette idée, il ne privilégie pas moins un projet porteur pour la finance durable, au sein de son plan d’action pour l’UMC publié il y a un an. En l’espèce, la création d’un « point d’accès unique européen ». Cette proposition visant à centraliser les données (financières et non financières) des entreprises doit ainsi être formulée le 27 octobre. L’objectif poursuivi : augmenter la visibilité des sociétés du marché unique, et en particulier des PME, auprès des investisseurs. L’exécutif européen place la barre haut. Cette nouvelle plateforme devra fournir « un accès en continu et dans toute l’UE » à ces données « dans des formats numériques comparables », en s’efforçant dans le même temps ne pas faire peser sur les entreprises de « charge administrative supplémentaire ».

Le périmètre des données couvertes pourrait être assez limité dans un premier temps. Le projet représente néanmoins un important défi technique alors que le plan d’action prévoit de « s’appuyer autant que possible sur les infrastructures de données existantes », dont le niveau de développement est variable en fonction des Etats membres.

Relancer les Eltif

Suivant le même objectif de multiplication des sources de financements, Bruxelles réfléchit à l’introduction d’une obligation pour les banques d’« orienter » les PME dont elles ont refusé la demande de crédit vers des fournisseurs de financement alternatifs. Une piste qui ne convainc pas Josina Kamerling, directrice du CFA Institute : «  Je ne suis pas certaine qu’il soit raisonnable de repousser les demandes que refusent les banques vers d’autres entités qui n’ont peut-être pas le même niveau d’expertise en matière de risque. »

Toujours dans le cadre de l’UMC, la Commission proposera fin octobre une révision du cadre législatif des fonds européens d’investissement à long terme (Eltif) afin de développer l’attractivité du label européen. Lancés en 2015, les Eltif devaient permettre de fournir des financements de long terme à des projets d’infrastructures, des sociétés non cotées et des PME cotées, en s’appuyant notamment sur l’épargne des particuliers, mais sont très loin d’avoir eu le succès escompté. Pour attirer les épargnants, l’Autorité des marchés financiers suggère de supprimer le seuil minimal d’entrée de 10.000 euros, tout en insistant sur le maintien du devoir de conseil préalable à la commercialisation aux investisseurs de détail. Le gendarme français a également formulé un ensemble de propositions pour rendre ces fonds plus attractifs auprès des investisseurs professionnels. « Un autre enjeu est d’orienter les fonds des investisseurs institutionnels, et en particulier des assureurs, vers ce types véhicules de long terme, estime Josina Kamerling. Cela dépendra en grande partie de la révision à venir de Solvabilité 2. »

Dilemmes prudentiels

Les discussions autour du texte qui régule depuis 2016 les fonds propres des compagnies d’assurances et de réassurance devraient aussi rythmer l’actualité financière européenne au cours des prochains mois. La Commission devait soumettre sa proposition officielle de révison de Solvabilité 2 le 22 septembre. Si aucune révolution n’est au programme, la modification du choc de taux dans le calcul du capital de solvabilité requis (SCR) pour tenir compte des taux négatifs, notamment préconisée par l’Autorité européenne des assurances (Eiopa), devrait susciter la controverse, qu’elle figure ou non dans la proposition de Bruxelles.

« Il faut profiter de cette réforme pour libérer les capacités de financement des assureurs, tout en renforçant le cadre actuel qui a des faiblesses, avec notamment une supervision défaillante et un système fragmenté en matière d’assurance », affirme l’eurodéputée Renew (libéral) Stéphanie Yon-Courtin, qui vise notamment « une harmonisation des fonds de garantie d’assurance à terme ».

Au cœur de cette initiative législative, la question environnementale et climatique jouera par ailleurs une nouvelle fois un rôle central. Les expositions des assurances aux combustibles fossiles ne sont en effet pas pour l’heure prises en compte par Solvabilité 2, qui tend plutôt à réduire les exigences en capital pour les « actifs verts » « sans aucune preuve que ces actifs présentent moins de risques financiers que les autres et au risque de créer une bulle d’actifs verts », comme le note Finance Watch.

Bras de fer sur Bâle 3

La problématique est la même pour le secteur bancaire. Bruxelles a d’ores et déjà annoncé que les facteurs ESG (environnement, social, gouvernance) seraient systématiquement inclus dans les systèmes de gestion des risques des banques, dans la proposition de réforme de la directive sur les exigences en capital (CRD) qu’elle présentera le 5 octobre. Ce projet de révision aura par ailleurs principalement pour objectif de transposer en droit européen la finalisation de l’accord Bâle 3, signé en décembre 2017. Si les régulateurs nationaux encouragent une mise en œuvre « complète, rapide et cohérente de tous les aspects de ce cadre », le lobbying des banques, qui craignent une trop grande augmentation des exigences, pourrait compliquer la donne.

Sur ces deux dossiers, la présidence française du Conseil, qui commencera le 1er janvier 2022, sera elle aussi scrutée de près. Début septembre, le ministre français de l’Economie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire a surpris plus d’un eurodéputé, en affirmant devant le groupe parlementaire Renew sa volonté d’œuvrer à des allègements de ces normes, alors que les ministres se murent habituellement dans la réserve, à l’approche d’une présidence tournante. « Il faut s’attendre à un bras de fer, notamment sur Bâle 3, confirme Stéphanie Yon-Courtin. J’entends la position de Bruno Le Maire mais ce n’est pas l’unique sujet. Le Parlement ne doit de toute façon pas être la chambre d’enregistrement du Conseil. Nous devons chercher une solution résolument européenne. » Beau programme en perspective.

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