L’Esma n’encourage pas les contrats de liquidité «à la française»

Le régulateur européen a rendu un avis négatif non contraignant sur une pratique acceptée par l’AMF.
Fabrice Anselmi

L’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a rendu lundi un avis négatif sur la pratique de marché acceptée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) concernant les contrats de liquidité en France. Le régulateur européen considère que la nouvelle pratique envisagée à compter du 1er juillet 2021 en remplacement de l’actuelle (en oeuvre depuis 2019) n’est pas compatible avec le règlement sur les abus de marché (MAR) et diverge également de ses «points de convergence» indiqués en 2017.

Un contrat de liquidité consiste pour un prestataire de services d’investissement (PSI) à agir pour le compte d’un émetteur en vue d’assurer un certain niveau de liquidité à ses titres, en se proposant comme contrepartie à la vente ou à l’achat – en France uniquement sur Euronext Paris - afin d’éviter des décalages de cours non justifiés par la tendance du marché. D’autres mécanismes visant à améliorer la liquidité existent sur les marchés européens, notamment la tenue de marché ou la fourniture de liquidité dans le cadre d’un contrat avec la plateforme de négociation. Mais la principale différence porte dans un contrat de liquidité sur le fait que l’émetteur et le PSI déterminent l’intervention, son périmètre (calendrier et durée) et les ressources (en espèces et actions) consacrées. L’Esma considère dès lors des risques de mauvaises pratiques et de conflits d’intérêts : interventions commandées en périodes sensibles pour l’émetteur, ou déséquilibrées en faveur des achats, distorsion des prix, manque de transparence, etc.

Ecarts de calcul ?

Dans son évaluation, le régulateur européen reconnaît le respect des obligations de transparence et de contrôle dans le système français au niveau de l’AMF, des plateformes et des PSI. En revanche, il regrette que l’AMF ne suive pas ses consignes de 2017 concernant les exigences sur le prix des ordres de façon à limiter autant que possible l’impact de ces interventions dans la formation des prix, en particulier lors de phases d’enchères. L’Esma dénonce aussi que l’AMF ne respecte pas précisément ses limites en termes de volumes exécutés et de ressources consacrées à ces contrats, avec une référence particulière aux actions illiquides.

Sur ces deux points, le régulateur français avait instauré dans sa pratique de 2018 un double niveau de limites, avec une limite 1 recommandée (celle de l’Esma) et une limite 2 imposée au-delà de laquelle le PSI ne bénéficie plus de la dérogation automatique dite «safe harbour» (présomption de non-manipulation définie par l’article 13 de MAR). «Mais en discutant avec l’industrie, l’AMF avait estimé que, ne disposant pas d’assez de données pour aller plus loin, il était nécessaire de diligenter des études précises, avant de choisir un seul niveau de limite au vu de ses conclusions», rappelle Bertrand de Saint Mars, directeur général de l’Association française des marchés financiers (Amafi). A des niveaux moins-disants apparemment pas si éloignés de ceux du régulateur européen, qui évoque cependant des «écarts significatifs» liés à des méthodes de calcul différentes.

Un dispositif français développé depuis 2001

«En estimant que la pratique AMF ‘menace potentiellement la confiance dans les marchés financiers’, l’Esma ignore de façon incompréhensible les analyses extrêmement documentées de l’AMF ainsi que l’attention historiquement portée par cette dernière à la prévention et la répression des abus de marché», poursuit Bertrand de Saint Mars, en rappelant que le régulateur européen n’a, a priori, pas eu recours aux mêmes études, et se réfère à des pratiques étrangères moins développées : les quelque 440 contrats de liquidités français représentent plus de 90% des contrats conclus européens – d’autres pays semblent avoir mis en œuvre d’autres techniques aboutissant à des résultats similaires sans être soumis au contrôle de l’Esma…

L’AMF avait constaté dans son analyse statistique publiée en avril une amélioration des spreads affichés et de l’impact prix des transactions pour l’ensemble des titres, et plus particulièrement pour les titres non liquides, sans trop de changement sur la profondeur de marché, avec de relativement faibles dépassements des limites, même si elle reconnaissait des voies pour calibrer «plus finement» les ressources allouées.

L’Amafi déplore cet avis négatif sur un dispositif français développé depuis 2001 «au bénéfice des entreprises cotées et des investisseurs (…), y compris des investisseurs particuliers», à l’heure où l’Union des marchés de capitaux (UMC) doit donner aux marchés et aux autorités de supervision européennes un rôle plus central dans le financement de l’économie.

L’AMF va désormais étudier l’avis non contraignant émis par l’Esma, auquel elle a obligation de répondre, puis l’option de revoir ou non sa pratique : si elle décide d’établir sa pratique telle quelle, elle devra expliquer sur son site internet les raisons pour lesquelles elle ne l’estime pas menaçante pour la confiance des marchés.

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