Les banques appellent l’Europe à préserver leur compétitivité vis-à-vis des Etats-Unis

La Fédération des banques européennes rappelle, étude à l’appui, qu’un cadre réglementaire allégé permettrait de dégager une capacité de financement de 4.000 milliards d’euros.
BCE banque centrale européenne ECB à Francfort. Atrium
Les banques européennes déplorent de subir un cadre réglementaire plus contraignant que les américaines.  -  Atrium de la BCE / Crédit ECB Robert Metsch.

Alors que la transposition des accords de Bâle 3 entre dans sa dernière ligne droite à Bruxelles, la Fédération des banques européennes (FBE) tire à nouveau la sonnette d’alarme sur le poids de la réglementation européenne. S’appuyant sur une étude de référence réalisée par le consultant Oliver Wyman, elle use d’un chiffre choc : une révision des exigences actuelles tant en termes de capital que de processus de surveillance permettrait de libérer l’équivalent de 4.000 à 4.500 milliards d’euros de capacité de prêts en vue de financer l’économie sur le continent.

Le message n’a que peu de chance de toucher la Banque centrale européenne (BCE) dont l’objectif, en cette période d’inflation, est de contrôler l’excès de liquidités. Mais il pourrait parler aux décideurs politiques alors qu’ils cherchent à financer la croissance et notamment la transition verte. « Les banques européennes sont prêtes à déployer davantage de capitaux pour alimenter cette croissance, mais nous devons veiller à ce que notre cadre réglementaire et de surveillance ne crée pas de contraintes qui vont au-delà d’autres régions, y compris les États-Unis », martèle Ana Botin, la présidente de la FBE et présidente exécutive de Santander. « Le message s’adresse plutôt à l’exécutif et au Parlement européen. Les banques européennes sont aujourd’hui en capacité de prêter. Leur véritable objectif est de rappeler à Bruxelles qu’il n’est pas nécessaire d’alourdir le cadre réglementaire », décrypte Thomas Verdin, directeur associé du pôle Banques chez BM&A UK.

Un écart de rentabilité persistant

L’enjeu pour les banques européennes est de ne pas être pénalisées dans la compétition mondiale, alors que leur rentabilité n’a pas encore, contrairement à leurs concurrentes américaines, retrouvé son niveau d’avant-crise. L’étude d’Oliver Wyman rappelle ainsi que le ROE (retour sur fonds propres) des banques européennes s’établit en 2022 à 7,6%, contre 9,9% outre-Atlantique. En 2021, année de reprise post-Covid, il a excédé 14% aux Etats-Unis, retrouvant son niveau de 2008, tandis qu’il flirtait avec les 7% en Europe.

« Les banques européennes ne couvrent pas aujourd’hui le coût de leur capital (8,4% en moyenne en 2022) », souligne Elie Farah, partner en charge des services financiers pour l’Europe chez Oliver Wyman. Avec un ratio de prix sur actif net (price to book) de 0,6x en 2021 contre 1,4x avant-crise, « elles ont une valorisation inférieure à leur valeur comptable, reflétant le désenchantement des investisseursvis-à-vis du secteur bancaire européen», ajoute-t-il. Pire, le rapport avec les Etats-Unis s’est inversé dans l’après-crise : la capitalisation boursière des banques américaines (2.600 milliards) excède désormais celle du Vieux Continent (1.400 milliards).

La faute à un cadre réglementaire plus contraignant ? « Outre les facteurs structurels, tels que la fragmentation du marché et des acteurs, les conditions macroéconomiques ont bien sûr joué un rôle important dans la différence de trajectoire avec les Etats-Unis. L’Europe a connu une autre crise, celle de la dette souveraine en 2011, et les taux pratiqués par la BCE sont restés très bas, et pendant plus longtemps, impactant la marge nette d’intérêt des banques européennes», concède Elie Farah. Mais l’approche de l’Union européenne en termes de réglementation n’y est pas étrangère. « Elle est plus complexe et donne aux superviseurs une plus grande marge de manœuvre », relève Elie Farah. C’est le cas notamment du Srep (processus de surveillance et d'évaluation prudentielle) par lequel la BCE peut déterminer des exigences de fonds propres supplémentaires. Elle a ainsi décidé d’imposer des contraintes additionnelles aux banques exposées aux prêts à effet de levier comme BNP Paribas et Deutsche Bank. La transposition de Bâle 3 en Europe (les directives CRR3 et CRD6) prévoit en outre que les risques climatiques pourront faire l’objet d’exigences supplémentaires en fonds propres si cela est jugé nécessaire.

Des exigences de fonds propres plus élevées qu’aux Etats-Unis

Cette approche conservatrice se traduit aujourd’hui dans un niveau d’exigence globalement supérieur pour les banques de notre côté de l’Atlantique, à 10,6% contre 9,9%. Etant donné le pouvoir de décision laissé aux superviseurs et la difficulté de lever du capital, « les banques européennes ont tendance à mettre davantage de fonds propres en réserve », souligne Elie Farah. Le « management buffer » estimé par Oliver Wyman s’élève ainsi à 4,4%, contre 1,9% seulement pour les banques américaines. Le niveau élevé de fonds propres des banques européennes, qui affichent un ratio CET 1 de 15% en moyenne reste, toutefois, une bonne nouvelle, leur solidité les aidant à faire face aux crises, comme celle du Covid. Il s’agit plutôt de revoir l’équilibre entre la stabilité financière, le financement de l’économie et la compétitivité du secteur bancaire.

L’étude met également en avant une autre problématique structurelle : la grande fragmentation du secteur sur le continent. Tandis que Bruxelles appelle à achever l’Union bancaire, les Vingt-Sept n’ont toujours pas créé les conditions permettant la création de véritables groupes paneuropéens. « Il faudrait œuvrer pour créer un label de ‘banque européenne’ qui dépasse la notion d'établissement systémique (G-SIB). Il serait destiné aux groupes qui financent activement plusieurs économies européennes. Les banques qui accéderaient à ce label pourraient bénéficier d’un traitement réglementaire spécifique qui encouragerait la circulation du capital et de la liquidité afin de mieux contribuer à la croissance européenne et faire face aux enjeux de transition. Aujourd’hui, BNP Paribas, dont le bilan n’est qu’en partie déployé en France, et un nombre réduit d’autres banques européennes peuvent prétendre à ce statut ; il faudrait en encourager d’autres », suggère Elie Farah. Cela reviendrait, pour le régulateur, à accepter un système à deux vitesses, avec des banques locales et régionales d’un côté, et des banques européennes de l’autre. Un chemin politique qui semble encore bien long.

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