
Le marché français de la réassurance se durcit de manière inédite

Le renouvellement des traités de réassurance en France en 2023 confirme son caractère historique. « Un renouvellement sans précédent à bien des égards », juge par exemple Gallagher Re, pour qui « après une première indication d’un durcissement du marché lors des renouvellements de 2022, 2023 a montré une nette réinitialisation sans précédent à bien des égards. » « La campagne est un peu du jamais vu depuis 1993 et l’ouragan Andrew au Etats-Unis en 1992. »», abonde Pierre Lacoste, directeur réassurance de Groupama.
Confrontés notamment à l’inflation et aux catastrophes naturelles, les réassureurs avaient annoncé leur volonté de hausses tarifaires dès les Rendez-Vous de Septembre, le plus grand rassemblement annuel de la profession en septembre à Monte Carlo, avant de maintenir la pression quelques semaines plus tard à Baden-Baden, pour des rencontres plus confidentielles avec les cédantes, les assureurs qui leur cèdent des risques contre une prime. « Les renouvellements ont été très sportifs. Si les majorations tarifaires demandées par les réassureurs se délitent habituellement entre les rendez-vous de Monte Carlo et les rencontres de Baden Baden, elles se sont, cette année, au contraire renforcées », décrit Benoît Butel, président de LSN Ré Walbaum, filiale de courtage de réassurance de Diot-Siaci.
Des hausses de tarifs de plus de 20%
Les assureurs ont attendu bien plus tard que d’habitude pour placer leurs affaires. « Les renouvellements ont été particulièrement tardifs cette année. Les négociations ont continué entre Noël et le jour de l’an et ont été relativement tendues jusqu’au bout entre assureurs et réassureurs. Ces-derniers ont mis une pression forte pour que les conditions techniques et les structures de réassurance soient revues », admet Nicolas Boudias, délégué général de l’Association des professionnels de la réassurance en France (Apref). « La grande majorité des affaires était toutefois placée au 31 décembre malgré ce durcissement du marché, ce qui est une bonne nouvelle. »
Toutes les branches n’ont pas connu le même sort. « Ce sont les couvertures comportant des expositions climatiques qui ont été les plus revues. Les ajustements techniques précis ne seront connus que dans quelques semaines, mais ils devraient refléter une très mauvaise année 2022 à cause dela grêleet de la sécheresse, notamment », décrit Nicolas Boudias. Selon les premiers retours, les hausses dans le domaine se situent autour des 20% après une année où les sinistres climatiques ont coûté plus de 5 milliards d’euros et la sécheresse plus de 2 milliards d’euros. Gallagher Re estime que la hausse se situe même entre 25% et 60% pour les risques touchés par une catastrophe.
Hausses des rétentions
De quoi marquer un nouveau moment de marché. « Alors que nous étions dans un soft market les années précédentes où les cédantes dictaient leur loi, nous sommes désormais dans un marché qui se durcit où les réassureurs sont faiseurs de prix », analyse Benoît Butel. Outre l’aspect des prix, les rétentions, à savoir le montant des responsabilités qu’une cédante conserve, ont augmenté. « La campagne a été marquée par un triple sujet : budgétaire, avec des hausses de tarifs, de rétention, avec des conservations en événements climatiques qui ont augmenté de 50%, et de périmètre, avec des risques couverts qui se sont restreints », résume Pierre Lacoste, qui place chaque année 2 milliards d’euros de capacités sur ce segment auprès des réassureurs pour Groupama.
Malgré la hausse des prix à laquelle se sont résolus les cédantes, la situation reste complexe : « Certains ont résolu le problème de prix, avec potentiellement des prix différenciés, à quelques couvertures près. Il est par exemple presque impossible de trouver des couvertures dites aggregates (qui agrègent les sinistralités tempêtes, grêle…), qui ont souvent été utilisées en totalité en 2022, ou encore des couvertures concernant la sécheresse sur bâtiment». Face à ces problèmes, des solutions existent. « Les marchés financiers pourraient être une voie alternative dans ce contexte », estime Pierre Lacoste. Groupama a déjà placé des obligations catastrophes entre 2007 et 2015.
Des rétrocessions plus compliquées
Les réassureurs, au contraire, n’ont pas pu compter sur ces marchés financiers pour leur rétrocession, le mécanisme par lequel un réassureur cède lui-même les risques qu’on lui a confiés. « Les réassureurs font face à des conditions de rétrocession plus compliquées. Jusqu’au dernier jour, ils ont rencontré des difficultés à placer des rétrocessions qui se placent normalement dès novembre. Avec la hausse des taux, qui améliore les rendements de produits plus sûrs comme les obligations d’Etat, les investisseurs financiers n’ont plus intérêt à se tourner vers la réassurance », selon Benoît Butel.
Les catastrophes naturelles n’ont pas épuisé les négociations pour autant. « D’autres branches ont également connu, dans une moindre mesure, des évolutions à l’image de la réassurance auto, avec des révisions consécutifs à l’inflation et à la publication de la nouvelle version du barème de capitalisation par la Gazette du Palais fin 2022, ou du cyber où l’effort en faveur des couvertures affirmatives au détriment des couvertures silencieuses continue », rapporte Nicolas Boudias « Les hausses des prix sur la branche des catastrophes naturelles ont pu aussi aider les cédantes à obtenir des conditions plus magnanimes sur les autres lignes d’activités », estime Benoît Butel.
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