
L’assurance des catastrophes naturelles à l’épreuve de la sécheresse

La sécheresse qui frappe la France réchauffe aussi les nécessaires évolutions du régime assurantiel face au dérèglement climatique. Alors qu’une loi a été promulguée en décembre 2021 portant sur une réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, le partenariat public-privé dans lequel la Caisse centrale de Réassurance (CCR) prend en charge les dommages matériels directs non assurables provoqués par une catastrophe naturelle, les différentes parties prenantes reconnaissent qu’il faut aller plus loin. «La réforme ne résout pas tous les problèmes. Elle n’assure pas la soutenabilité du système pour les 50 prochaines année», a déclaré Martin Landais, sous-directeur des assurances à la direction générale du Trésor, lors de la 13e journée CCR CAT, en juin dernier. «Le premier des deux grands sujets auxquels nous allons devoir répondre est celui de la sécheresse qui compte pour presque la moitié du régime bien qu’on voit se cristalliser sur le terrain une insatisfaction sur sa prise en charge», explique-t-il.
Un régime en péril
En cause, le retrait-gonflement des sols argileux (RGA) : des successions de mouvements, du fait de variations de la teneur des sols en eau, provoquent des dégâts significatifs sur les habitations. Entre 1982 et 2020, la sinistralité au titre du RGA représente 40% du montant total de la sinistralité au titre du régime «cat nat» (41,4 milliards d’euros), soit 15,5 milliards d’euros pour plus de 800.000 sinistres indemnisés et un coût moyen annuel de 485 millions d’euros. Sur les 20 sinistres majeurs sur cette période qui ont coûté plus d’un milliard d’euros, le RGA en compte 11 à lui seul. Et les choses ne sont pas près de s’améliorer. Selon France Assureurs, la facture cumulée des sinistres liés à la sécheresse devrait tripler d’ici 2050 à 43 milliards d’euros. La note sera d’autant plus salée que sur les 19,2 millions de maisons individuelles en France métropolitaine, 10,4 millions, soit 54,2%, sont en zones d’exposition moyenne ou forte à ce risque, selon la Commission générale au développement durable (CGDD).
Le régime, financé par un prélèvement «cat nat» fixé par l’Etat à 12% sur les assurances de dommages aux biens des particuliers et des professionnels (assurances habitation) et 6% des primes vol et incendies pour les véhicules terrestres à moteur, et réassuré par l’Etat via la CCR, est en péril.
Outre la dimension financière, les critiques à l’encontre du parcours d’indemnisation sont nombreuses. Car si la France peut se targuer d’avoir 98% des ménages et entreprises couverts contre les effets des catastrophes naturelles grâce à une extension de contrat obligatoire sur les contrats d’assurance «dommages», contre moins de 5% des habitants en Italie et 30% en Allemagne, l’indemnisation reste soumise à plusieurs conditions, comme la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Or, sur les neuf dernières années, 50% en moyenne des demandes communales de reconnaissance «cat nat» au titre du RGA n’ont pas abouti, rapporte la Cour des comptes. «Les procédures d’indemnisation sont parfois longues et peuvent générer des déceptions», résume le Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Réflexion interministérielle
L’équation financière reste le problème le plus préoccupant. «Pour rétablir un équilibre pérenne dans le cadre du partenariat public-privé, il faudrait envisager une augmentation du prélèvement ‘cat nat’ à hauteur de 19% sur la multirisque habitation», estime Emmanuel Dubreuil, directeur des cessions de réassurance chez Covéa. Cela représenterait une hausse de deux euros par an sur les vingt prochaines années pour les assurés. La prime «cat nat» est de 26 euros en moyenne pour une habitation, selon une étude de la Fondapol. Plus souvent réclamée autour de 18% par les assureurs, qui partagent presque tous cette position, la hausse est censée éviter une éviction du RGA du régime. Auditionné par la sénatrice Christine Lavarde, rapporteure de la mission «Écologie, développement et mobilités durables» du projet de loi de finances, Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, a d’ailleurs réitéré cette position.
Au contraire, la Cour des comptes a jeté un pavé dans la marre en début d’année. Dans un rapport, les sages de la rue Cambon estiment que le RGA n’est pas assimilable à une catastrophe naturelle du fait que le phénomène tend à devenir universel sur la France métropolitaine et que sa survenance peut être anticipée. «Si on considère que le RGA n’est pas une catastrophe naturelle caractérisée par son caractère imprévisible et irrésistible, une sortie du régime peut être envisagée», concluent-ils. Un avis que partage le CESE pour qui il faudrait créer un régime sécheresse distinct du régime «cat nat» ouvert aux réassureurs privés.
Alors que les assureurs plaident pour une plus grande prévention et un aménagement du périmètre de la couverture du risque RGA, comme la fin de la prise en charge des sinistres esthétiques, le problème mobilise l’exécutif. «Nous avons engagé une réflexion interministérielle sur le sujet et ouvrirons un groupe de travail lorsqu’il sera suffisamment structuré», explique Martin Landais. Dans le cadre de la loi 3DS - pour différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification, promulguée le 21 février 2022-, un amendement a habilité durant un an le gouvernement à réformer par ordonnance le sujet afin d’améliorer la prise en charge «des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti et sur les conditions matérielles d’existence des assurés», notamment «en adaptant éventuellement le financement de la garantie contre les catastrophes naturelles». «Hâte-toi lentement», dit l’adage latin.
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