L’assurance-crédit revoit sa partition

Une mission parlementaire et un rapport de l’Inspection générale des finances souhaitent tirer les leçons de la crise.
Benoit Menou
Assemblée Nationale, Palais Bourbon
Les députés pourraient faire des propositions législatives concernant l’assurance-crédit début 2022.  -  Bloomberg

La pandémie aura, non sans remous, mis en lumière l’assurance-crédit. Il a fallu déployer des mécanismes de soutien public pour ramener la confiance dans ce secteur. Aujourd’hui, les pouvoirs publics prennent du recul pour tirer les leçons de cette histoire. Par le biais d’une mission d’information de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). Le plus grand secret entoure encore ce dernier, récemment remis à Bruno Le Maire et Alain Griset, ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance et ministre délégué aux Petites et moyennes entreprises. L’angle d’attaque devrait être comparable à celui de la mission, à savoir l’examen des relations entre assureurs et assurés, frappées d’un « déséquilibre contractuel » aux dépens de ces derniers, selon la rapporteure Dominique David. La mission a été installée à la rentrée de septembre, avec un premier tour d’auditions de nombreux acteurs « n’ayant pas permis de répondre à toutes nos interrogations, voire en ayant soulevé de nouvelles », selon la députée de la Gironde. « De nouvelles auditions seront organisées en novembre, et nous visons toujours la présentation en fin d’année d’un rapport à la commission des Finances de l’Assemblée et à Bercy », précise-t-elle. Avant, « si nous l’estimons nécessaire, des propositions législatives qui pourraient être votées jusqu’à fin février et la fin de la législature ». Le temps est compté. Quelles sont les pistes qui pourraient être explorées ?

Retour au printemps 2020. Voyant poindre une vague gigantesque de déroutes d’entreprises, les assureurs-crédit dans leur grande prudence abaissent et annulent des garanties de couverture. Trop vite, trop fort aux yeux de certains se désolant d’un sauve-qui-peut. La convention de juin 2013 signée par les assureurs, le ministre de l’Economie et des Finances et le médiateur du crédit a bien proscrit tout repli massif et brutal, instaurant un délai d’un mois avant la coupe. « Nous nous sommes toujours attachés à respecter cet accord, plaide un dirigeant d’un des principaux assureurs, particulièrement depuis mars 2020 sans baisse par pays ou par secteur mais, certes, ligne à ligne par acheteur (le client de l’assuré, NDLR). » Il tacle au passage la pertinence d’une offre de limites non résiliables, peu usitée en Europe, et d’ailleurs pas en France par les trois maîtres du marché que sont Atradius, Coface et Euler Hermes : « Ces polices sont à manier avec précaution, leur franchise est extrêmement élevée, elles peuvent convenir ponctuellement pour des groupes disposant d’expertise interne de risque et pour les risques majeurs, dits de pointe. » Surtout, poursuit l’assureur, « notre rôle est souvent mal compris. Avant d’être assureur, notre mission est de faire de la prévention, nous aidons les assurés à diriger leurs efforts vers des débiteurs sains, pour une relation commerciale durable. » De fait, « les attentes sont diverses parmi les assurés : certains attendent de la prévention des risques, là où d’autres achètent de la garantie à tout crin », observe Philippe Puigventos, président du courtier Diot Crédit. « L’assuré sous-traite à l’assureur une partie de la connaissance financière de ses clients permise par l’information dont ils disposent. La prévention est incontournable quand on considère qu’aujourd’hui, les assureurs-crédit dans le monde portent 3.000 milliards d’euros de risque pour 10 milliards de fonds propres, même si la réassurance en ajoute un deuxième rideau », abonde Louis Bollaert, directeur crédit, risques politiques et solutions M&A chez Aon. Qui pointe qu’il faut désormais aller au-delà de la convention de 2013 en pensant à de nouveaux « mécanismes d’amortissement » pour rendre plus compréhensible la réduction des couvertures. Peut-être en allongeant encore le délai de prise d’effet des réductions ou résiliations de garanties. Une piste parmi d’autres pour amortir le choc.

Taux de primes

Parallèlement aux fluctuations des niveaux de garanties, le débat porte aussi sur le taux de primes de l’assurance. Louis Bollaert évoque la renonciation au principe des primes absolues plancher, quel que soit le volume effectivement couvert. « Il faut s’assurer que le client paie un prix en rapport avec le risque réellement transféré », note le courtier. Dénonçant des cas de relèvements excessifs de taux décidés l’an dernier pour 2021, Maud Duchet, présidente de la commission BFR et optimisation du cash de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE), par ailleurs credit manager d’Interparfums, envisage ainsi un « calcul de la prime non pas en fonction du chiffre d’affaires total de l’assuré mais de celui effectivement garanti, ce qui serait plus juste ».

La durée du contrat d’assurance soulève aussi des interrogations. Maud Duchet appelle à « un assouplissement des engagements, l’assuré devrait être plus libre de sortir, d’autant plus pour les contrats pluriannuels ». « La volonté des parties doit clairement s’exprimer. Nombre de nos clients préfèrent s’engager sur plusieurs années, cela peut les rassurer. C’est au courtier de mettre en place des mécanismes de sortie », nuance Philippe Puigventos.

L’assuré subissant une fluctuation de couverture restera-t-il le bec dans l’eau ? La possibilité de solliciter un autre assureur, en cas de garantie partielle, existe mais « est bien loin d’être accessible au plus grand nombre », regrette Maud Duchet. Si le principe du métier veut que l’assuré présente à l’assureur la totalité de son chiffre d’affaires, « rien ne lui interdit, clame l’assureur sus-cité, d’aller voir ailleurs en cas de refus total de couverture pour un acheteur ». Si, toutefois, l’assureur consent, ce qu’il fait le plus souvent selon Philippe Puigventos, à effacer la clause d’exclusivité inscrite au contrat standard. Ce ne serait pas une difficulté d’ordre juridique ou contractuelle, mais économique. Car un acheteur considéré comme dangereux par un assureur a peu de chances de trouver grâce aux yeux d’un autre. En cas de refus partiel d’une couverture, l’assureur peut aujourd’hui être à la barre pour nouer avec d’autres un accord de coassurance par acheteur. « Une pratique historique de top-up si courante que certains assureurs en ont fait une spécialité. Nous ne la pratiquons pas tout de même entre concurrents directs. Et le principe de base reste toujours que nous sommes capables de tout faire seul », indique le dirigeant d’un des trois mastodontes. Il n’empêche, « le marché de la syndication pourrait être davantage ouvert, sans forcément modifier les fondements de l’assurance », avance Louis Bollaert. D’ailleurs, ajoute-t-il, « certains courtiers pratiquent déjà ce partage du risque entre assureurs. Mais cela nécessite pour eux comme pour les assurés d’être costauds face aux assureurs ». « Cela peut essentiellement fonctionner pour les grands assurés », abonde Philippe Puigventos. Et « cela relève du contractuel, je ne suis pas certain que cela puisse se régler par la loi ». Le président de Diot Crédit évoque l’idée à creuser d’une « plateforme mutualisant les efforts d’assurance secondaire, qui pourrait faciliter la vie des petits assurés, en volumes comme en coûts ».

Les pouvoirs publics soucieux de relations saines s’interrogent en outre naturellement sur le caractère oligopolistique du marché. Les trois grands s’arrogent 70 % du marché mondial (voir le graphique). Cette part est encore plus marquée sur le marché français, où Coface prend la place de dauphin devant Atradius et toujours derrière Euler Hermes. Oligopole « n’est pas un gros mot en soi, clame l’un d’eux, il faut en juger les effets ». Et à ses yeux, la concurrence reste acharnée entre les acteurs, passant par une division par près de trois des taux de prime au cours des deux dernières décennies. La concentration est selon lui naturelle du fait des barrières à l’entrée, quant aux fonds propres réglementaires ou d’expertise à acquérir pour l’enrichissement de données sur des millions de débiteurs dans le monde. « Des barrières qui sont autant d’éléments de sécurité pour l’assuré », souligne l’assureur. Pour Philippe Puigventos, « toute législation sur l’oligopole sera périlleuse, ce serait faire entrer le loup étranger dans la bergerie : deux des géants mondiaux sont français, bien que contrôlés par des capitaux étrangers ». Euler Hermes, propriété d’Allianz, et Coface, contrôlé par l’assureur bermudien Arch Capital Group. Quand le néerlandais Atradius est détenu par l’espagnol Catalana Occidente.

Fin des « cap »

Quant aux dispositifs de soutien public mis en œuvre pendant la crise, la série des « Cap », les pouvoirs publics ont à cœur désormais de définir les contours d’un mécanisme prêt à l’usage… au cas où. Afin d’éviter les négociations observées au printemps 2020 dans l’urgence. Selon Louis Bollaert, « ces pare-feu pourraient exister dans le temps, c’est souhaitable, afin de recueillir le risque que le secteur privé ne peut accueillir. Cette arme pourrait être mise, pour les plus grands risques, entre les mains du Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle, NDLR). Sans que cela consiste à nationaliser les pertes pour privatiser les profits ». Pour l’heure, l’extinction des « Cap » est prévue fin 2021, les assureurs affirmant leur capacité à reprendre les garanties à leur compte. Sans doute pas à des conditions aussi avantageuses pour l’assuré que ce que permet le dispositif public, craint Philippe Puigventos.

Quelle est l’ambiance au sein de l’orchestre de l’assurance-crédit réuni par les pouvoirs publics ? Tout le monde salue la convocation. Elle permet, comme le note Maud Duchet pour l’AFTE, de « mettre un effet loupe » sur le métier. « Le rapport de force doit évoluer, pointe-t-elle, mais cela peut passer autant par le jeu de l’innovation du secteur que par la loi. » Pourtant, glisse un fin connaisseur du secteur, « les assureurs n’ont pas intérêt à faire bouger les lignes, ils cherchent à discréditer l’action publique ». L’un d’eux met en garde : « L’objectif est d’améliorer la sérénité, la relation de confiance à long terme. Les réflexions en cours doivent aller dans ce sens. Sinon, le risque est de renforcer la nervosité, la volatilité du secteur, ce qui n’est dans l’intérêt de personne. » Chaque musicien est venu avec sa propre partition. Reste à la puissance publique à faire jouer tout le monde ensemble.

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