La réforme de la gouvernance du Crédit Agricole fait des étincelles

La non-réélection de Jean-Marie Sander à la vice-présidence de la FNCA révèle les tensions qui agitent le groupe autour du transfert de l’organe central.
Alexandre Garabedian

Relancé l’an dernier, le projet de réforme de la gouvernance du Crédit Agricole laisse quelques victimes en chemin. Jean-Marie Sander, le président de Crédit Agricole SA, véhicule coté de la banque, a été évincé le 4 décembre de la vice-présidence de la Fédération nationale du Crédit Agricole (FNCA), organe des caisses régionales. Il a perdu en même temps sa position de membre du bureau de la SAS La Boétie, la holding qui porte la participation majoritaire des caisses dans CASA comme l’a révélé vendredi Le Monde.

D’un point de vue juridique, Jean-Marie Sander reste président de Crédit Agricole SA, mandat qu’il tient du conseil de la banque, lui-même élu par l’assemblée générale des actionnaires. Sur le plan politique en revanche, sa position devient délicate dans un groupe coopératif où la légitimité vient des urnes. Ironie de l’histoire, Jean-Marie Sander est l’un des six membres du comité des nominations de CASA, présidé par Monica Mondardini, où il côtoie Dominique Lefebvre et Philippe Brassac, tous deux réélus jeudi président et secrétaire général de la Fédération nationale à l’unanimité des suffrages exprimés.

De sources proches du dossier, Jean-Marie Sander paierait ses manœuvres à l’occasion de ces échéances électorales internes à la Fédération. Le bureau de la FNCA, composé de 20 membres, dont 10 présidents et 10 directeurs généraux, est renouvelé par tiers tous les ans. Cette élection, où votent les présidents et DG des 39 caisses régionales, a eu lieu mi-novembre. Puis les 20 membres du bureau élisent à leur tour un «bureau du bureau», composé de 8 membres – c’était le scrutin de jeudi dernier. Daniel Epron, le président de la caisse de Normandie, réputé proche de Dominique Lefebvre et Philippe Brassac, y briguait un poste vacant de vice-président. Mais à la veille du scrutin, Jean-Marie Sander, l’autre vice-président, aurait poussé «son» candidat, Jean-Louis Delorme, président de la caisse de Franche-Comté et membre du comité des nominations de CASA. Résultat des courses: arrivés avec un score supérieur à celui de Jean-Marie Sander, Jean-Louis Delorme et Daniel Epron ont été élus vice-présidents.

Ce coup de théâtre est le révélateur des tensions qui agitent le groupe et ses deux pôles, CASA et FNCA, à l’approche de la succession à la tête du véhicule coté et dans le cadre du projet de réorganisation de l’organe central (ROC). Ce vaste chantier, poussé par les deux dirigeants de la FNCA, vise à transférer ces fonctions de CASA vers une structure contrôlée à 100% par les caisses régionales. Le groupe y gagnerait en lisibilité à l’extérieur, notamment auprès de la communauté des investisseurs: c’est le nouvel organe central qui leur offrirait une vision consolidée en termes comptables et réglementaires. Il permettrait aussi aux caisses régionales de mieux contrôler un véhicule coté dont les appétits de croissance, avant la crise financière de 2007, en Grèce ou dans les produits dérivés, ont fini par leur coûter des milliards d’euros.

Le projet ROC a cependant pris du retard. Devenue superviseur du groupe cet automne, la Banque centrale européenne l’aurait accueilli avec prudence. «Il y a des itérations avec le superviseur, comme dans tout projet de ce type», nuance un proche du dossier. Les détracteurs de la réforme en pointent aussi les complications juridiques et fiscales, forcément coûteuses. Ils ont même lancé le chiffre de 5 milliards d’euros, une estimation jugée totalement fantaisiste par les partisans de la réforme. Enfin, ils mettent en avant, au sein des caisses régionales, l’absence de consensus sur les modalités du projet. Le fait que Marc Pouzet, le président de la caisse Alpes Provence, considéré lui aussi comme un soutien de Dominique Lefebvre et Philippe Brassac, n’ait pas été réélu mi-novembre au bureau de la FNCA après 14 ans de présence, en constituerait à leurs yeux la preuve.

Enfin, tout en soutenant publiquement le projet, certains dirigeants de CASA se montrent en privé plus dubitatifs. Et le calendrier de la réforme se télescope avec le prochain départ de Jean-Paul Chifflet, directeur général de CASA, dont le mandat s’achèvera à l’assemblée générale de mai 2015. Le règlement de sa succession apparaît aujourd’hui prioritaire par rapport au projet ROC. La logique des institutions au sein de la banque verte voudrait que le secrétaire général de la FNCA, Philippe Brassac, lui succède, mais celui-ci laisse encore planer le doute sur ses intentions. Jean-Paul Chifflet avait été adoubé comme directeur général de CASA environ trois mois avant sa nomination effective en mars 2010.

Une fois tranché le sujet de la succession au sein du véhicule coté, la réforme de l’organe central pourrait ensuite repartir de l’avant. «Il n’y a pas d’urgence réglementaire ou financière à mener ce projet, et il vaut mieux prendre le temps de le faire bien. Mais il n’y a aucune raison valable de l’abandonner», explique un partisan de la réforme. Le Crédit Agricole, coutumier de ces batailles entre Fédération et organe central, n’en est pas à son coup d’essai. Les travaux préalables à sa cotation, en 2001, avaient duré deux ans et donné lieu à des débats musclés en interne.

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