
La réassurance esquisse son avenir, entre cyber et partage des risques

Réunis à Monaco pour leur plus grand rassemblement annuel, les réassureurs ont pris de la hauteur sur le Rocher pour imaginer le futur de leur industrie. Si l’inflation et les multiples sinistres climatiques ont monopolisé une bonne partie des discussions en réassurance dommages, les différents acteurs n’ont pas manqué de se projeter au-delà des renouvellements du 1er janvier 2023.
Modélisation du risque
Presque unanimement désigné en tête de la cartographie des risques des assureurs et des réassureurs, le risque cyber est sur toutes les lèvres. Alors que les primes d’assurance cyber ne dépassent pas les 10 milliards de dollars début 2022, la profession s’accorde pour dire que la croissance du segment s’annonce dynamique avec des primes qui dépasseront les 20 milliards de dollars d’ici à 2025. «Certains acteurs pensent même qu’il ne s’agira bientôt plus du marché P&C (pour « property and casualty », en gros les dommages) mais P&C&C (property, casualty and cyber) pour refléter l’importance prise par le cyber», souffle une analyste. «D’ici à 2040, les primes d’assurance cyber pourraient être aussi importantes que celles d’assurances aux biens», abonde Thierry Léger, directeur des souscriptions chez le groupe de réassurance Swiss Re.
Dans un monde de plus en plus numérisé, comment expliquer alors que le marché ne représente «que» 10 milliards de dollars en 2022 ? «La principale raison pour le manque de développement de l’assurance cyber tient dans les carences d’outil et de compréhension du risque», explique Laurent Rousseau, directeur général de Scor. «Il y aura des pertes importantes qui nous permettront d’apprendre grâce aux données et de faire de meilleures modélisations, comme ce que nous avons fait avec les catastrophes naturelles», abonde Thierry Léger. Outre l’aspect modélisation, le manque de clarté des contrats cyber refroidit les assureurs. «Au Royaume-Uni, le Lloyd’s a de l’avance et sa politique de clarification doit être un exemple. La France par exemple est à la traîne, même si la publication du rapport du Trésor va dans le bon sens», décrypte un courtier en réassurance.
Première transaction en 2023
Face aux hausses des tarifs dans le segment, certains acteurs envisagent alors de se tourner vers les marchés financiers pour porter une partie du risque cyber, à l’image de ce qui s’est fait dans les années 1990 face à la pénurie de capacité de réassurance pour les catastrophes naturelles. «J’aimerais bien y croire, mais cela me paraît trop compliqué pour le moment. Il faut déjà que la réassurance traditionnelle soit capable d’évoluer», juge un autre courtier en réassurance. La première transaction sur les marchés financiers devrait toutefois bien avoir lieu en 2023, prédit Aon.
Plus globalement, le marché de la réassurance alternative, avec les titres issus de la titrisation des risques d’assurance (ILS ou investment linked securities), stagne. D’une valeur de 100 milliards de dollars, le marché des ILS représente environ 15% des capitaux fournis au secteur mondial de la réassurance au total, soit un montant stable depuis 2018. Or, sur la période, les capitaux provenant de sources traditionnelles ont augmenté de 12% à 579 milliards de dollars fin 2021, selon Aon PLC. «Certains envisageaient que la réassurance alternative remplacerait la réassurance traditionnelle. On voit bien qu’elle joue un rôle important mais qu’elle n’a aucune vocation à la remplacer», commente Marc-Philippe Juilliard, directeur chez S&P Global Ratings.
Environnement de taux et catastrophes naturelles
Pour autant, le marché des capitaux alternatifs est prêt à reprendre sa croissance. «Bien que les faibles rendements de ces cinq dernières années aient freiné la croissance du capital alternatif, nous pensons que la dynamique positive continue de la tarification de la réassurance contribuera à relancer la croissance de cette source clé de capacité de transfert de risque», estiment les analystes de Moody’s. Outre la hausse attendue des tarifs de la réassurance, qui fait monter les rendements attendus des ILS, «la composante à taux d’intérêt variable des cat bonds est attrayante dans un environnement de taux d’intérêt en hausse. Des taux d’intérêt à court terme plus élevés stimuleront les rendements attendus pour les sidecars et les réassureurs collatéralisés qui détiennent principalement des titres à revenus fixes de haute qualité et de courte durée», expliquent les analystes. La réassurance collatéralisée représente environ 50% du marché de la réassurance alternative, les cat bonds 40%, le reste étant notamment des sidecars.
De plus, le capital alternatif permet aux réassureurs de diminuer leur exposition à certains risques, notamment aux catastrophes naturelles, ce qui va dans le sens de la stratégie de certains acteurs, comme Axa XL ou Scor. Depuis juin 2021, les réassureurs ont obtenu plus de 2,8 milliards de dollars de capacité de rétrocession par le biais de 15 transactions d’obligations catastrophes, rappelle Moody’s, alors que Scor a augmenté, début 2022, à 400 millions de dollars le capital géré dans le cadre de sa plateforme de réassurance collatéralisée (sidecar).
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