
La finance mène à tout… à condition d’en sortir

La recherche d’un second souffle, une volonté de créer son entreprise. Ou plus simplement une aspiration à changer de vie : certains financiers finissent par renoncer à leur métier et quittent ce secteur très lucratif. Les traders sont peut-être les premiers concernés. La pression permanente n’est pas tenable sur le long terme, les marchés évoluent plus vite que les compétences et l’« âge d’or » de la salle des marchés est bel et bien révolu. « Le métier de ‘trader’ est trop stressant pour le faire toute sa vie, concède Bertrand Fleurose, qui, après avoir travaillé en salle des marchés chez Barclays et JPMorgan à Londres, est devenu garagiste deux-roues, puis entrepreneur. C’est comme pour le football professionnel, il est très rare de voir des professionnels passer les 35 ans, et encore moins les 40 ans. » Deux options s’offrent alors. Mais, entre la sortie par le haut avec la prise de responsabilités managériales et le « pas de côté », Bertrand Fleurose n’a pas hésité. Après quelques années passées à réparer les deux-roues, il a créé avec succès Cityscoot, une start-up de scooters électriques en libre-service. « Aujourd’hui, je suis fier d’avoir mené à bien mon propre projet et surtout d’employer près de 300 personnes », précise-t-il.
Menottes dorées
La plupart de ceux qui ont tourné la page avaient pourtant le goût de leur métier initial. « J’ai commencé ma carrière en tant que skieuse professionnelle et j’ai retrouvé, en salle des marchés, le rythme, les émotions et les exigences que j’avais connus dans le sport », explique Caroline Attia, 58 ans. Dix-huit années durant, elle a exercé comme trader, d’abord au Crédit Agricole, puis à la Société Générale. Mais avec l’arrivée des plates-formes électroniques, l’accélération de la finance, la réduction des marges entraînant un contrôle plus fin du pricing, etc., les salles des marchés se sont radicalement transformées. « Il n’y avait plus de place pour l’intuition, alors j’ai fini par me lasser, explique-t-elle. Je regrettais aussi de ne plus être en contact direct avec les clients de la banque pour leur trouver des solutions. » Coupée de l’économie réelle, Caroline Attia a décidé de changer de voie. « La transition a été un défi, même si la Société Générale m’a vraiment aidée, notamment en m’accordant une suspension de contrat de travail pendant deux ans, dont six mois avec salaire », explique cette diplômée de l’Université Paris Dauphine et de HEC, qui a passé un nouveau master. Devenu psychologue clinicienne, elle a co-écrit Financiers sur le divan (paru en 2013). « Même s’il est plus difficile de vivre de mon activité actuelle, je suis tout à fait à ma place en travaillant sur la psychologie et le stress au travail. » Elle accompagne encore aujourd’hui des traders ou de grands dirigeants comme le ferait un préparateur mental avec de grands sportifs.
Le plus dur pour ces traders est de se débarrasser de leurs « menottes dorées ». Cette expression consacrée du secteur fait référence aux salaires attractifs de ces postes : ils offrent un bon niveau de vie. Le choix de reconversion touche bien plus que le seul exercice du métier : il faut renoncer à certaines habitudes de consommation, comme des vacances de luxe ou un bel appartement parisien. Mais pour certains, le prix à payer s’ils restent dans la finance est bien plus élevé.
Professionnels en souffrance
Car le secteur compte aussi des professionnels arrivés là un peu par hasard, sentant confusément qu’ils n’étaient pas à leur place. Et pour ceux qui étaient en poste avant 2007 - 2008, la crise financière a été l’occasion ou jamais de changer de vie. Telle Aline Bartoli, 39 ans. Elle travaille d’abord quatre ans chez EY, où elle se dit victime de son perfectionnisme : « Potentiellement, les vérifications de comptes n’ont pas de fin. » Elle parvient cependant à décrocher un poste à la fois moins stressant et plus valorisant à ses yeux : elle coordonne des projets dans l’immobilier pour le service développement d’une foncière privée, et apprécie l’aspect concret et collaboratif de ce travail, jusqu’à ce que la crise des crédits subprime porte un coup d’arrêt à cette activité.
La foncière lui offre alors un autre job : « On m’a proposé le poste de responsable des financements, qui n’était rien moins qu’un tremplin vers un poste de directrice financière. Mais là, je n’ai pas pu. » Elle prend les tableaux Excel en horreur, essaie de s’accrocher pendant un temps… et tombe malade. « Dès mes études, à l’Edhec Nice, je ne m’étais pas sentie à ma place, raconte-t-elle. J’ai mis du temps à envisager une reconversion car je devais remettre en cause toute la structure dans laquelle j’avais été formatée. » Elle change néanmoins de voie, entend ses proches lui dire qu’elle est « courageuse » de se reconvertir, sans vraiment comprendre pourquoi. « Je n’avais pas le choix », explique celle qui est désormais sophrologue. Elle a fondé sa structure, Sophrenzen, et exerce comme psycho-praticienne en thérapies brèves. Son parcours lui est aujourd’hui utile pour accompagner des professionnels en souffrance.
Pour Volkan Tanaci également, la crise a été le déclencheur. Il avait toujours travaillé pour le secteur bancaire. En Turquie, son pays d’origine, il était gestionnaire de fortune, avant de venir en France en 2008, au département crédit habitat du Crédit Agricole. Le flux de demandes s’est soudainement tari, au point que son poste n’était plus nécessaire. « Mon contrat en CDD, pour de l’étude de dossiers immobiliers, n’a pas été renouvelé suite à la crise des ‘subprimes’, explique cet ancien banquier. J’ai compris que c’était pour moi la fin de la finance et, étonnamment, j’ai découvert que j’en étais heureux. J’allais enfin pouvoir travailler dans la nature. » Il prend alors un job d’apiculteur en région parisienne, reste six ans sur place pour se former, puis a une intuition : « Je voulais travailler plus près de chez moi, à Paris, et je me suis dit que la capitale aussi avait besoin d’abeilles. » Il y a trois ans, il monte Citybzz et installe des ruches sur les toits d’entreprises qui souhaitent produire du miel pour leurs clients et collaborateurs. « Ma connaissance de la finance m’aide beaucoup pour développer ma start-up. Aujourd’hui, je suis vraiment heureux. En ville, mais avec mes abeilles. »
Quête personnelle
Ce n’est pas la crise qui a affecté la vie professionnelle de Billy Chevallereau, 37 ans : il a tout simplement saisi une opportunité de se lancer. « J’avais fait une formation d’ingénieur en finance à Paris Dauphine et j’ai naturellement démarré sur la voie royale, en audit chez EY, raconte-t-il. J’en garde un souvenir globalement positif. Ces années-là ont été riches d’enseignements pour apprendre à travailler de manière efficace. Mais, au fond, j’avais toujours voulu créé ma boîte. » Il fait une première tentative, échoue, retourne exercer en gestion de patrimoine, puis cet entrepreneur dans l’âme se lance à nouveau. « C’était, cette fois, un pari un peu fou », sourit-il. « Je ne me plaisais pas dans le rôle de commercial de produits financiers. J’ai rencontré Nadir – mon futur associé –, nous avons parlé d’essais que nous avions fait sur du béton en tant que purs amateurs et, quinze jours plus tard, nous lancions The French Vikings. » Spécialisée dans le design en béton, l’entreprise a aujourd’hui quatre ans, compte cinq collaborateurs, vend du mobilier haut-de-gamme à des entreprises comme Maje (mode féminine), est enfin bénéficiaire et vient de boucler une levée de fonds auprès d’investisseurs. Certes, il travaille plus et gagne moins qu’avant. « Mes collègues en finance ont eu une progression bien plus facile, reconnaît-il. Mais j’ai vraiment le bonheur de me dire que je développe notre projet, et que je crée de l’emploi. »
Faire ce qu’on aime n’a pas de prix. Eric Michel, 56 ans, vit enfin sa vie d’artiste. « J’ai toujours mené deux vies de front, finance et art, explique ce mathématicien. J’ai fait une belle carrière, notamment en montant un bureau financier pour une activité de gestion et de marché au Japon pour le Crédit Agricole, mais j’ai toujours été membre d’un groupe de rock et artiste plasticien. » Il commence à exposer au début des années 2000 au Japon, voit ses œuvres sélectionnées par une galerie… et largue définitivement les amarres en 2003. « Je m’étais toujours dit qu’à l’approche de 40 - 45 ans, je valoriserais l’aspect artistique de ma vie. Cette fois-là, il y a eu un déclic et j’y ai cru, témoigne-t-il. Aujourd’hui, c’est un artiste reconnu qui travaille sur la lumière. « Finalement, je vois vraiment ces deux pans de ma vie comme deux facettes d’une même quête personnelle : l’exploration de la frontière entre le matériel et l’immatériel. »
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Picasso: un portrait inédit de Dora Maar dévoilé à Paris et bientôt aux enchères
Paris - Un portrait «exceptionnel» de Dora Maar portant un chapeau à fleurs coloré, peint par Pablo Picasso en 1943 en pleine Occupation et inconnu du public, a été dévoilé jeudi à Paris à l’Hôtel Drouot. Intitulé «Buste de femme au chapeau à fleurs», ce tableau d’une taille de 80x60 centimètres, peint à l’huile, représente la photographe, égérie des surréalistes, qui fut la compagne de Picasso pendant une dizaine d’années. Il est «estimé autour de huit millions d’euros, une estimation basse, raisonnable, qui peut s’envoler», a expliqué Christophe Lucien, commissaire-priseur chargé de sa vente fixée au 24 octobre par sa maison de vente aux enchères. Signé par Picasso et daté du 11 juillet 1943, le tableau a été acquis en août 1944 par un grand collectionneur français, grand-père des actuels ayants droit qui souhaitent le vendre dans le cadre d’une succession, a-t-il précisé. «Inconnu du public et jamais exposé hormis dans l’atelier de Picasso pour quelques amis, il n’a jamais été vernis ni restauré, est juste encadré de minces baguettes et dans son jus», a précisé Agnès Sevestre-Barbé, spécialiste de Picasso, présente lors du dévoilement de l’oeuvre. Il est «assez exceptionnel et marque un jalon dans l’histoire de l’art et dans celle de Picasso», a estimé M. Lucien. D’inspiration "à la fois naturaliste et cubiste», selon lui, la toile montre Dora Maar en proie à la tristesse mais au visage empreint de douceur, contrairement à d’autres portraits où le maître espagnol l’a représentée avec une expression où la violence et les émotions semblent exacerbées. Elle porte un chapeau à fleurs aux couleurs plutôt vives (rouge, jaune, vert, violet) avec un buste plus sombre, au moment où Picasso la délaisse pour une plus jeune femme, Françoise Gilot. «Les coloris joyeux sont surprenants, on est en 1943, une année difficile avec des oeuvres plutôt sombres dans cette période», dit à l’AFP Olivier Picasso, petit-fils du peintre, en voyant une photo de l’oeuvre qu’il n’a pas encore découverte physiquement. «Très rare» «Une peinture et en plus un portrait de Dora Maar c’est rare. Qu’il soit vendu en France c’est même vraiment très rare comme sur le marché en général d’ailleurs», ajoute-t-il. Plusieurs portraits de Dora Maar ont surtout été vendus aux Etats-Unis par les grandes maisons de vente anglo-saxonnes, rappelle-t-il. En 2006, «Dora Maar au chat» avait été vendu 95 millions de dollars à New York, après «Femme assise dans un jardin» (1938) acquise en 1999 également à New York pour 49 millions de dollars. Authentifié par l’administration Picasso, le portrait dévoilé jeudi n'était connu des spécialistes et passionnés de Picasso qu’en noir et blanc et à travers le catalogue raisonné de ses œuvres (inventaire officiel) le mentionnant, selon Drouot. Des photos de Brassaï, ami de Picasso, prises dans l’atelier du peintre (rue des Grands-Augustins) attestent également de la présence du tableau, installé au sol près de la célèbre " femme au rocking-chair et d’un lapin (momifié), accroché au mur, récupéré par Picasso dans la cour carrée du Louvre», selon M. Lucien. Dora Maar, de son vrai nom Henriette Théodora Markovic (1907-1997), est surtout réputée comme photographe et s’est fait connaître notamment à travers ses innombrables portraits de Picasso. Picasso a réalisé plusieurs portraits d’elle en «Femme qui pleure», sa «nature profonde», prétendra-t-il. Elle lui inspirera aussi un ensemble de toiles sur le thème des «Femmes assises». Dora Maar réalisera de son côté un reportage photographique sur le chef d’oeuvre de Picasso «Guernica» en cours de création en 1937 dans son atelier des Grands-Augustins, aujourd’hui au musée de la Reine Sofia à Madrid. Sandra BIFFOT-LACUT © Agence France-Presse -
Gaza: alors que l'offensive israélienne continue, la crise humanitaire se renforce
Gaza - L’armée israélienne a mené jeudi d’intenses bombardements sur Gaza-ville, où elle mène une offensive terrestre majeure, provoquant de nouveaux déplacements de la population et laissant, selon l’ONU, les hôpitaux au bord de l’effondrement. Fort du soutien américain, Israël a annoncé le début mardi d’une campagne militaire terrestre et aérienne à Gaza-ville pour y anéantir le mouvement islamiste palestinien Hamas, dont l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël a déclenché la guerre dans la bande de Gaza. En riposte, Israël a lancé une offensive dévastatrice dans le petit territoire, qui a fait des dizaines de milliers de morts et provoqué un désastre humanitaire. Depuis, les quelque deux millions de Palestiniens assiégés y ont été maintes fois déplacés. «Il y a des tirs d’artillerie, des frappes aériennes, des tirs de quadricoptères et de drones. Les bombardements ne s’arrêtent jamais», décrit Aya Ahmad, une femme de 32 ans vivant avec 13 membres de sa famille dans le quartier Nasser, dans l’ouest de Gaza-ville. Selon des établissements de santé, répartis dans tout le territoire palestinien, au moins douze personnes, dont trois enfants, ont été tuées jeudi dans les frappes israéliennes. La route côtière longeant la bande de Gaza est saturée de personnes fuyant vers le sud, à pied, en voiture ou sur des charrettes tirées par des ânes, leurs affaires entassées à la hâte, rapportent des journalistes de l’AFP sur place. - «Où allons-nous vivre?» «L’incursion militaire et les ordres d'évacuation dans le nord de Gaza provoquent de nouvelles vagues de déplacements, forçant des familles traumatisées à s’entasser dans une zone toujours plus réduite, incompatible avec la dignité humaine», a déclaré sur X le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. «Le monde ne comprend pas ce qui se passe. Ils (Israël, NDLR) veulent que nous évacuions vers le sud — mais où allons-nous vivre? Il n’y a pas de tentes, pas de transport, pas d’argent», déplore Mme Ahmad. «Il n’y a ni tentes, ni moyens de transport, ni argent», a-t-elle ajouté. Les coûts de transport pour rejoindre le sud du territoire palestinien ont explosé, dépassant parfois les 1.000 dollars, selon des personnes interrogées par l’AFP sur place. L’ONU estimait fin août à environ un million le nombre d’habitants dans la ville de Gaza et ses environs, dans le nord du territoire palestinien. L’armée israélienne a affirmé que «plus de 350.000" personnes avaient fui la zone. «Les hôpitaux, déjà débordés, sont au bord de l’effondrement alors que l’escalade de la violence bloque l’accès et empêche l’OMS de livrer des fournitures vitales», avertit le responsable de l’organisation onusienne. Compte tenu des restrictions imposées aux médias à Gaza et des difficultés d’accès sur le terrain, l’AFP n’est pas en mesure de vérifier de manière indépendante les bilans et affirmations de la Défense civile ou de l’armée israélienne. Jeudi, l’armée a annoncé avoir visé la veille «un dépôt d’armes du Hamas (...) destinés à cibler les troupes israéliennes». Elle a ajouté avoir frappé plus de 150 cibles dans la ville de Gaza depuis le lancement de son assaut terrestre. L’offensive à Gaza-ville a été condamnée à l'étranger, mais aussi en Israël où une grande partie de la population s’inquiète pour les otages retenus dans la bande de Gaza. «Situation indescriptible» L’ONU a déclaré la famine à Gaza, ce que dément Israël. Mardi, une commission d’enquête indépendante mandatée par l’ONU a établi qu’Israël commet un génocide contre les Palestiniens à Gaza. Israël a aussi nié. «La situation est indescriptible, nous récitons la chahada (profession de foi musulmane, NDLR) à chaque explosion», a indiqué Ahmed AbouWafa, 46 ans, qui vit avec sept enfants sous une tente de l’ouest de Gaza-ville. L’attaque du 7-Octobre a entraîné la mort de 1.219 personnes du côté israélien, en majorité des civils, selon un décompte de l’AFP basé sur des données officielles. Sur les 251 personnes enlevées ce jour-là, 47 sont encore retenues à Gaza dont 25 ont été déclarées mortes par l’armée israélienne. Les représailles militaires israéliennes ont coûté la vie à 65.141 personnes, en majorité des civils selon le ministère de la Santé de Gaza, placé sous l’autorité du Hamas, dont les données sont jugées fiables par l’ONU. © Agence France-Presse -
Cuba face à l’explosion du «quimico», la drogue synthétique qui transforme les jeunes Cubains en «zombies»
La Havane - En plein jour, un jeune homme marche dans un parc de La Havane tel un zombie. Erratique, il traîne des pieds, le regard perdu sous l’effet du «quimico», une drogue synthétique qui suscite l’inquiétude à Cuba. Dans un pays habitué à de faibles niveaux de toxicomanie, la consommation de cette drogue très addictive, moins chère et plus puissante que la marijuana, s’est répandue ces dernières années dans la capitale et jusqu’en province. Il y a encore trois mois, Josué Angel Espinosa, 21 ans, était totalement accro: «je ne pouvais pas manger un repas sans en consommer». Il devait fumer jusqu'à 15 cigarettes imprégnées de «quimico» (produit chimique, en français) pour pouvoir s’endormir, raconte-t-il à l’AFP. Il fait partie des cinq Cubains qui suivent une cure de désintoxication dans un centre d’accueil pour toxicomanes fondé il y a un an par le pasteur évangélique Rotyam Castro, 36 ans, dans la périphérie de la capitale. Il n’y a pas de statistiques officielles sur le nombre de consommateurs, mais le prédicateur estime que «la situation est devenue incontrôlable». «J’ai rencontré des jeunes (toxicomanes) dans la rue, dans le milieu interlope», mais aussi «des artistes, des musiciens, des professionnels» accros à cette drogue, énumère-t-il. Pour lui, l’essor récent de cette drogue de synthèse chez les jeunes s’explique autant par la profonde crise économique que traverse l'île communiste de 9,7 millions d’habitants que par son caractère addictif et son faible coût. Une dose peut coûter 100 pesos (environ 25 centimes de dollar), soit trois fois moins que le paquet de cigarettes le moins cher vendu sur l'île. Cette drogue est un cocktail élaboré à partir de «carbamazépine, benzodiazépine, phénobarbital» qui sont des médicaments psychotropes, «des anesthésiques pour animaux et même du formol, du fentanyl», a expliqué à la télévision cubaine Héctor Ernesto Gonzalez, expert militaire dans la lutte antidrogue du ministère de l’Intérieur. Les préparateurs clandestins de cette drogue la diluent et utilisent un spray pour imprégner des herbes aromatiques et un petit bout de papier, qui servent par la suite à confectionner un joint, d’où les noms de «quimico» ou de «papelito» (bout de papier) donnés à cette drogue. «Rigidité musculaire» «Je consommais beaucoup» cette drogue, raconte Gabriel Chéscoles, un plombier de 30 ans, qui est arrivé au centre de désintoxication «détruit», les cheveux longs, mal rasé et malodorant. Désormais plus apaisé, il décrit avec des gestes comment le «quimico» est roulé dans du papier à cigarette et comment le «papelito», également imprégné de substances addictives, est placé à son extrémité pour accentuer l’inhalation de la drogue. L’effet d’une dose est «entre 50 et 100 fois supérieur à celui du tétrahydrocannabinol (THC)», le principal composant psychoactif du cannabis, selon l’expert militaire. Sur des vidéos qui circulent régulièrement sur les réseaux sociaux, de jeunes Cubains sont vus en train d’errer dans les rues, désorientés, parlant tout seuls, le regard perdu. Certains s’effondrent ou convulsent après une overdose. Les symptômes vont de l’euphorie à la somnolence, en passant par les nausées, les convulsions, la tachycardie, l’hypertension, voire des arythmies graves et un manque de coordination dans les mouvements, a détaillé à la presse officielle Elizabeth Céspedes, directrice du Centre de désintoxication des adolescents du ministère de la Santé. «D’où les positions contractées dues à la rigidité musculaire et la démarche de type zombie», explique la spécialiste. Cuisinier, Luis Yankiel Zambrano, 33 ans, était «esclave» de la drogue depuis dix ans lorsque sa famille a fait appel au centre de désintoxication. «Dernièrement, je pleurais et disais à ma mère que je ne pouvais plus continuer comme ça», explique-t-il. Face à cette situation alarmante, les autorités ont durci les sanctions contre les trafiquants et ont lancé en décembre une campagne de prévention dans les quartiers considérés comme à risque. L’AFP a demandé aux autorités un accès à un «barriodebate», une activité de quartier destinée à prévenir le phénomène, mais n’a pas reçu d’autorisation. Dans le centre d’accueil gratuit, le processus de désintoxication se déroule sans médicaments, entre psaumes et prières, cours de comportement et travail collectif. Après trois mois, Josué Angel Espinosa et Luis Yankiel Zambrano rêvent d’ouvrir leur entreprise pour subvenir à leurs besoins et soutenir le centre qui les a sortis de la drogue. Gabriel Chéscoles reconnaît qu’il n’est pas encore prêt, mais se réjouit des progrès accomplis: «Ma mère a changé d’attitude, mon père me soutient. J’ai retrouvé la confiance et l’affection de tous». Rigoberto DIAZ © Agence France-Presse