
ASSURTECH - Une intégration verticale

Moins d’une semaine après le lancement de son assurance automobile, Lemonade met la main sur son homologue MetroMile, spécialiste des couvertures « Pay as you drive » (avec des tarifs dégressifs pour les conducteurs les plus prudents), pour 500 millions de dollars. Un symbole fort. Malgré une part de marché limitée face aux géants américains, les jeunes pousses de l’assurance gagnent en maturité. Fin 2020, leur capitalisation boursière totale a dépassé les 22 milliards de dollars (19,5 milliards d’euros). Les investissements sont en plein boom avec 10,5 milliards de dollars de fonds levés depuis le début de l’année, contre 7,1 milliards en 2020. Arrivées depuis peu sur le marché américain, les assurtechs affichent en toute logique des taux de croissance à deux chiffres : au deuxième trimestre 2021, Spinnaker a vu ses polices augmenter de 67,9 % en un an, et Lemonade de 62,3 % contre 6,2 % pour le reste de l’industrie.
Le marché mondial des assurtechs devrait atteindre 550 milliards de dollars d’ici à 2025 et représenter 8 % du total des primes, selon Juniper. Une montée en puissance qui modifie le profil de l’industrie. Il faut toutefois distinguer les facilitateurs des compétiteurs. Alors que les premiers fournissent de nouvelles capacités au processus d’assurance, comme des solutions logicielles, que les assureurs cherchent à dupliquer ou intégrer par des acquisitions ou des partenariats, les seconds ambitionnent de proposer un modèle d’assurance alternatif. Pour Jim Auden, managing director chez Fitch, seul un petit segment des assurtechs veut réellement être des souscripteurs d’assurance. Parmi ces concurrents, des sociétés comme Lemonade, Hippo, Root ou MetroMile apportent, selon Tom Super, directeur de J.D. Power’s Insurance Practice, une bonne dose d’innovation sur leur niche. Pour lui, « même si leurs capacités de souscription sont loin de celles des assureurs traditionnels, elles ont des avantages stratégiques sur le marché et ces nouveaux entrants peuvent avoir du succès auprès de leur cible et innover ».
Leur secret ? L’amélioration de l’expérience client grâce à la numérisation, l’intelligence artificielle (IA), l’internet des objets (IoT) ou l’exploitation des masses de données (big data). Avec un avantage pour les assurés : des tarifs concurrentiels, les nouveaux acteurs s’appuyant sur l’innovation pour évaluer les risques et diminuer leurs coûts de fonctionnement.
Virtuel
Contrairement aux assureurs traditionnels, les nouveaux entrants offrent une expérience utilisateur 100 % en ligne ou mobile via leur application permettant une souscription quasiment immédiate, un traitement rapide des réclamations et des interactions avec l’assureur essentiellement en ligne.
Par ailleurs, les assurtechs présentent un modèle qui leur permet de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur de la souscription : gamme de produits, logiciels et plateforme de distribution elle-même. « Notre offre est en grande partie rendue possible par notre intégration verticale, explique Daniel Schreiber, directeur général de Lemonade. Nous possédons nos licences, développons nos logiciels et sommes entièrement gérés par des professionnels internes », ce qui peut être un atout en cas d’internationalisation. Pour Hippo, néo-assurance d’habitation basée à Palo Alto (Californie), cette intégration verticale est aussi un moyen de construire une plate-forme de protection de la maison inclusive et de créer un écosystème pour le client via de nouveaux services ou partenariats. Selon son dirigeant, Asaaf Wand, Hippo « essaie de faire passer l’assurance d’un produit réactif à une compagnie d’assurances proactive » grâce à sa souscription continue, aux appareils intelligents pour la maison et à la maintenance.
En termes de rémunération et de risque, les jeunes pousses innovent également. Après l’acquisition de Spinnaker en 2020, Hippo – qui n’était qu’une place de marché – présente un modèle hybride entre plateforme de gestion, courtier d’assurance et assureur. Mais la start-up ne conserve que 10 % du risque associé aux polices d’assurance habitation, le reste étant cédé aux réassureurs, dont la société japonaise Mitsui, qui a investi 350 millions de dollars dans Hippo. Ce modèle lui permet de rester peu gourmand en capital pendant la phase de croissance de l’entreprise. Le modèle le plus original est sans doute celui de Lemonade en raison de son impact social. Certifiée B-corp, Lemonade veut décourager les fraudes à l’assurance en reversant les fonds non dépensés des primes (représentant 1,1 million de dollars en 2020 et 2,3 millions en juin 2021) à des organisations caritatives via son programme Giveback. Pour Tim Zawacki, analyste à S&P Global Market Intelligence, « Lemonade est intéressante car c’est une société d’utilité publique ».
Autre cas intéressant, un modèle comme Tesla représente une menace à long terme très viable pour les assureurs. Le constructeur de véhicules électriques a fait une entrée remarquée sur l’assurance en 2019. Après avoir lancé son propre contrat auto en Californie, il a étendu son offre au Texas. « Tesla, en particulier, fournit un ensemble unique de capacités qui le placent en position de créer des défis à long terme au sein de l’industrie, prévient Tom Super. La société a intégré verticalement l’expérience très fragmentée de l’assurance automobile. » Elle essaie de regrouper tous ses services – dont l’assurance – sous une marque-parapluie avec l’idée de rendre le processus plus efficace. Or « Tesla a un point d’entrée unique du fait du prix élevé de l’assurance pour les propriétaires » de ses véhicules, ajoute Tom Mason, analyste chez S&P Market Intelligence. Dans la lignée de l’assurance d’utilisation (usage based insurance ou UBI), historiquement initiée par des assureurs comme Progressive, Tesla offre un modèle de tarification basé sur les scores de sécurité du conducteur et les données du véhicule. La plupart des coûts et des risques sous-jacents sont liés au profil individuel, la prochaine étape étant de passer le profil de risque au véhicule.
Viabilité
Reste à savoir si ces modèles sont viables à terme. Aucune des compagnies n’est encore profitable et leurs ratios de pertes restent élevés. Après un ratio de sinistralité brut de 121 % début 2021 lié aux intempéries du Texas, Lemonade, d’abord spécialiste de l’habitation, reste dans le rouge au troisième trimestre, avec une perte nette de 66,4 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 35,7 millions et des coûts opérationnels en hausse de 98 % sur un an à 82,4 millions. Pour Tom Super, ces éléments se stabiliseront si les assurtechs parviennent à intégrer de meilleurs profils de risque, ce qui réduira les pertes et les aidera à renouer avec la rentabilité sur le long terme. Selon Jim Auden, « bien que certaines s’efforcent de diversifier leur portefeuille d’activités et puissent gagner en envergure au fil du temps, il reste très incertain qu’elles puissent générer des profits et des retours sur capital suffisants à long terme ».
Dans ce contexte, l’acquisition de MetroMile, qui confère à Lemonade 100 millions de dollars de primes et des licences dans 49 Etats, est logique. Pour Jim Auden, « MetroMile la fait passer à une plus grande échelle dans l’assurance automobile plus rapidement qu’une stratégie de croissance organique ». D’autres opérations devraient suivre.
INCITATION ET INCANTATIONS EN FRANCE
La dernière-née se nomme Mutumutu, spécialisée dans la prévoyance pour les indépendants. L’assurtech les encourage à adopter « un mode de vie sain » en leur reversant jusqu’à 30 % du montant de leur cotisation s’ils démontrent avoir suivi un des programmes de son application. Le modèle est fondé sur la prévention. La cible (3,5 millions de travailleurs) reste une niche. D’autres assurtechs françaises creusent ainsi leur sillon, telle Atekka. La « néo-assurance des filières agricoles » a remporté le concours 2021 du pôle de compétitivité Finance Innovation. « La crise sanitaire a profondément modifié les codes de l’assurance en France », certifie Easyblue (dédiée aux entrepreneurs, TPE et indépendants) qui a rejoint l’espace d’échange entre acteurs de la tech assurantielle, Insurtech France. Depuis le printemps, l’écosystème vibre, courtiers compris. Planète CSCA et l’association France FinTech (environ 12 % d’assurtechs dans son univers), ont alors conclu un partenariat « pour favoriser l’émergence de modèles innovants ». Alors que la néo-assurance multiservices Leocare vient d’annoncer une nouvelle levée de 110 millions de dollars (133 millions au total en 2021) pour aborder l’Espagne dès 2022, la France a déjà sa licorne. Spécialiste santé 100 % en ligne, Alan a levé 185 millions d’euros au premier semestre 2021, pour 100 millions de revenus annuels avec 10.000 entreprises clientes… un peu plus de 1 % du marché. A ce jour, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution n’a délivré que quatre agréments : outre Alan, Acheel (multiproduits), Seyna et Mila (assurance-dommages). Assurly attendrait le sien depuis plusieurs mois.

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