
Assurance emprunteur : chacun défend son pré carré

L’entrée en vigueur de la loi Lemoine continue de susciter les débats. Depuis le 1er septembre 2023, cette loi a ouvert à l’ensemble des contrats d’assurance emprunteur la résiliation à tout moment, appelée résiliation infra-annuelle (RIA). Si elle a aussi supprimé le questionnaire de santé pour les emprunteurs qui rembourseront un crédit de moins de 200.000 euros avant leurs 60 ans et fait évoluer le droit à l’oubli, c’est majoritairement le premier élément qui agite le secteur de l’assurance.
Pouvoir d’achat
La députée Renaissance Patricia Lemoine, qui a porté la réforme, voulait jouer sur le coût de la vie des 7 millions de propriétaires avec un crédit en cours. «Dans un contexte où le pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des Français, la résiliation à tout moment de l’assurance emprunteur immobilier pour accéder plus facilement à des offres alternatives ne peut être que la bienvenue», justifiait-elle, en évoquant «une économie potentielle moyenne allant de 5.000 à 15.000 euros». En cause, le manque de concurrence : les établissements bancaires détenaient près de 88% du marché estimé à plus de 10 milliards d’euros de cotisations à fin 2020.
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Bercy et certains assureurs alternatifs, qui agissent en délégation sur l’assurance emprunteur, avaient évalué à 550 millions d’euros par an les économies potentielles pour les assurés.Fin 2022, l’Autorité européenne des assurances et des fonds de pension (l’Eiopa) avait enfoncé le clou en émettant un avertissement aux assureurs et aux banques concernant leur méthode de vente sur ce produit. L’instance critiquait notamment les commissions trop élevées des banques, pouvant aller de 30 % et 70 % de la prime des crédits immobiliers, et leurs pratiques anti-concurrentielles.
Retour positif
Quelques mois après cette libéralisation, les acteurs alternatifs brossent un premier retour d’expérience plutôt positif. «La loi Lemoine est un vrai succès notamment sur le volet résiliation à tout moment qui tient toutes ses promesses et permet aux emprunteurs de faire de réelles économies», juge par exemple Eric Maumy, président du courtier April. «Nous avons constaté une hausse des demandes de résiliation dès l’entrée en vigueur de la loi avec un pic au mois de septembre, mais cela se tasse depuis, tout en restant à des niveaux élevés», reconnaît Alain Roussel, directeur assurance emprunteur et prévoyance chez Crédit Agricole Assurances.
Selon l’Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs (Apcade), créée par 7 assureurs et le courtier April, les économies constatées par les emprunteurs qui résilient leurs contrats pour rejoindre des assureurs alternatifs atteignent en moyenne 10.000 euros et peuvent s’étendre de 5.000 euros à 25.000 euros. Le courtier April, qui nourrit de grandes ambitions sur le secteur, communique de son côté sur un gain de 15.000 euros en moyenne. De plus petits acteurs misent aussi sur cette libéralisation : l’assurtech Assurly, créée il y a 5 ans, a vu ses contrats croître de 700% depuis l’entrée en vigueur de la loi. Elle parle d’un gain moyen de pouvoir d’achat de 57% et de plus de 5 millions d’euros déjà rendus aux assurés.
Hausse des tarifs des alternatifs
Les banques ne se laissent pas faire pour autant. Très bien placées pour vendre l’assurance emprunteur en même temps qu’elles accordent des prêts immobiliers, elles continuent de miser sur leur lien avec les clients. «Si les banquiers jouissent d’une forte capacité d’incitation à la souscription conjointe du prêt et de l’assurance de prêt, rien n’empêche l’emprunteur de faire jouer les textes de loi pour aller voir ailleurs», nuance Cyrille Chartier-Kastler, président fondateur de Facts & Figures. Mais les établissements ont aussi profité de la suppression du questionnaire médical pour les prêts de moins de 200.000 euros.
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Cette disposition a entraîné une hausse des tarifs des assureurs alternatifs, d’environ 15%, en prévision de la hausse de la sinistralité liée. Au contraire, la majorité des bancassureurs a décidé de geler ses prix dans le domaine, à l’image du leader CNP Assurances (groupe La Banque Postale) et de Crédit Agricole Assurance (groupe Crédit Agricole), réduisant l’écart de tarif. «Les dossiers de moins de 200.000 euros pour des emprunteurs qui n’ont pas de problème de santé ne sont clairement pas les gagnants de cette réforme, les acteurs alternatifs ayant en grande majorité augmenté leurs tarifs de manière importante sur ces profils. De notre côté, nous avons fait le choix de ne rien changer de nos tarifs et de nos garanties», confirme Alain Roussel.
Nouveau contexte
Dans leur combat pour conserver leurs parts de marché, les bancassureurs profitent surtout d’un nouveau contexte. Alors que les discussions concernant la loi Lemoine se sont tenues dans un marché où obtenir un crédit immobilier était chose aisée, la donne a complètement changé. «Avec la remontée des taux d’intérêt, le vrai sujet pour les emprunteurs est désormais de trouver un prêt immobilier à un taux intéressant. Le rapport de force s’est, en conséquence, totalement inversé par rapport aux dernières années en faveur des banques. Dans ces conditions, elles ont plus de facilité à recommencer la souscription de l’assurance des prêts dans leurs réseaux», analyse Cyrille Chartier-Kastler. C’est pourquoi les assureurs alternatifs ne visent pas vraiment, pour le moment, une augmentation des taux de délégation dans les flux de nouveaux prêts immobiliers, mais s’attaquent au stock.
«Malgré un contexte économique difficile, la situation reste très dynamique pour nous. Nous faisons actuellement face à des clients qui jouent sur la substitution pour gagner du pouvoir d’achat. Et lorsque la situation sera de nouveau en faveur des achats immobiliers, nous gagnerons là aussi davantage de clients qui délègueront leur assurance dès la souscription de l’emprunt. Par ailleurs, la remontée des taux d’intérêts ne joue pas totalement contre nous : les banquiers nous envoient des emprunteurs en sachant qu’avec notre tarification moins chère, cela permet de rester en-dessous du taux d’usure», explique Toufik Gozim, président et co-fondateur d’Assurly. La néo-assurance enregistre ainsi 90% de ses affaires nouvelles en assurance emprunteur depuis le stock des prêts.
Des pratiques à l’encontre de la loi ?
Les bancassureurs ne lâchent pas le morceau pour autant. «Les banquiers sont en position de force pour vendre de l’assurance emprunteur en même temps qu’ils accordent des emprunts. Moins les emprunteurs ont de pouvoir de négociation vis-à-vis de leur banquier, plus la pression de ces derniers pour leur vendre l’assurance emprunteur est forte. Cette pression était à son paroxysme lorsque les taux d’emprunt immobilier étaient bas et elle ne va pas se relâcher maintenant que le stock des banquiers en assurance emprunteur subit les assauts des assureurs alternatifs», juge Eric Maumy.
Les critiques pleuvent toutefois sur les pratiques de certains groupes. «Beaucoup de banques jouent le jeu, même si l’on sent bien qu’elles sont débordées par les volumes de demande de substitution. Il reste toutefois un certain nombre de banquiers minoritaires qui ne jouent clairement pas le jeu», affirme Toufiz Gozim. Les groupes mutualistes, notamment, sont visés. Alors que le prêteur doit modifier le contrat de crédit par voie d’avenant dans un délai de 10 jours ouvrés à compter de la réception de la demande de substitution, beaucoup estiment que ces établissements ne respectent pas ces délais, par exemple.
Un bilan d’ici la fin de l’année
«L’Apcade a saisi les pouvoirs publics pour documenter les pratiques de certains acteurs qui vont à l’encontre de la loi», indique Eric Maumy. «Notre objectif premier est de nous conformer à la loi, et la loi Lemoine ne fait pas exception. Nous ne nions pas qu’il soit possible de trouver un dossier perdu. Mais il est choquant de penser que nous pourrions ne pas respecter la loi intentionnellement. Ces propos ne correspondent pas à la réalité», réagit Alain Roussel.
Le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), une instance de concertation qui propose des mesures pour améliorer les relations entre les établissements financiers et les clients, a engagé un bilan de la loi Lemoine qui devrait être rendu en fin d’année. Mais les différents acteurs estiment qu’il faudra un peu plus de temps pour analyser les conséquences d’un tel changement sur le marché.
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