Sandra Bernard-Colinet (Ircantec) démonte pour reconstruire

Analytique et déterminée, la conseillère en investissement socialement responsable du président de l’Ircantec capitalise sur trente ans d’expérience dans les marchés pour pousser les investisseurs vers toujours plus de responsabilité.
Laurence Pochard
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Pas d’approximation ni de «buzzword», les mots creux et tendances l’agacent. Risquer le mot «impact» trop légèrement devant elle expose à se faire prestement recadrer. Car ce qui compte pour Sandra Bernard-Colinet, c’est le sens. Celui des mots, des engagements, de l’action. Et le bon sens, surtout. Sandra Bernard-Colinet est de formation juridique mais a connu plusieurs carrières. Sa formation initiale lui a appris à analyser les textes parfois ardus des lois ou des arrêts puis à faire des synthèses et émettre des opinions. Elle a rapidement trouvé une façon de mettre à profit cette tournure d’esprit dans la finance, et entame sa carrière comme analyste. «Mon socle dur, mon étoile, ma boussole c’est l’analyse financière fondamentale qui m’a appris à décortiquer, vérifier, comprendre les enjeux cachés, projeter, synthétiser, convaincre», précise cette femme à la fine silhouette élégante, aux cheveux coupés au carré parsemés de quelques fils gris, qui est membre de la Société française des analystes financiers (SFAF) depuis 1995. Fondamentalement analytique L’analyste, telle qu’elle le conçoit, va chercher ce qu’il se cache derrière le déclaratif, en disséquant les modèles économiques des entreprises, leur réalité comptable, leur stratégie et en mesurant la qualité des personnes qui les pilotent. Il recueille aussi l’avis des clients et des fournisseurs. Elle applique cette approche au début des années 1990 au Crédit Lyonnais Asset Management, et la préfère de loin au consensus, qu’elle estime déconnecté de la réalité économique. Ensuite, elle devient vendeuse d’actions européennes dans la banque de financement et d’investissement de BNP Paribas. Elle parle aux gérants pour leur conseiller des valeurs qu’elle a passées au crible. «Dans les salles de marchés, j’ai vu que la valorisation boursière des titres recherchés ne dépendait pas uniquement des fondamentaux spécifiques à l’entreprise mais plus souvent d’effets de mode et de facteurs de marché», se souvient-elle, en se remémorant l’arrivée de la bulle internet: les investisseurs se détournaient de valeurs purement industrielles comme Saint Gobain ou Lafarge car elles ne cliquaient pas la case «web». Un souvenir qui lui fait encore lever les yeux au ciel aujourd’hui. Plus tard, en 2007, elle passe du côté de la gestion d’actifs chez Amundi où elle devient spécialiste produit au sein de CPR Asset Management. Elle découvre la gestion quantitative, utilise des modèles, se frotte au multifactoriel, ce qui ajoute une nouvelle brique à sa chère analyse fondamentale. Elle passe ensuite d’expertise en expertise chez Amundi, avec un déplacement «en crabe», comme elle le décrit. Elle se retrouve en gestion diversifiée jusqu’en 2013, qui lui permet de plonger dans les marchés obligataires, elle fait l’interface entre les gérants et les clients en s’attachant à maîtriser les spécificités des produits autant que les profils de risque de ceux qui les achètent. Puis elle se lance du côté de la distribution, afin de comprendre le référencement des produits dans les réseaux. Toujours cette envie de découvrir, de dévisser les mécanismes. Nouveau pas de côté, et la voici en 2016 au marketing international. Et là, assez vite, elle se rend compte qu’elle en a fait le tour. Son métier ne la comble plus, elle sent dans sa chair qu’elle doit faire autre chose. Tournant responsable «Je ne suis pas arrivée par hasard au développement durable. C’est le constat des limites de l’approche ESG en matière d’investissement, des fausses promesses faites à l’épargnant et surtout la déconnexion du système financier avec l’économie réelle qui m’ont poussée à approfondir le sujet », explique Sandra Bernard-Colinet. Elle a vu apparaître les objectifs de développement durable des Nations Unies, et se passionne pour ce que la finance peut faire de responsable. Saisissant l’opportunité d’un plan de départs volontaires, elle quitte Amundi après plus de 10 ans, ce qui lui donne du temps pour s’imprégner de ce que ces concepts émergents recouvrent. En 2019, elle suit un cours en ligne de l’Essec sur l’impact investing, rencontre les acteurs de cette pratique et applique toute sa puissance d’analyse à ce domaine. Insatisfaite des critères ESG, elle décide de se consacrer à sensibiliser ses pairs à ce qu’est vraiment la gestion à impact. Place à l’action. Elle crée un groupe de travail sur l’impact au sein de la commission Analyse extra-financière de la SFAF, ce qui lui permet de fédérer des bonnes volontés qui réfléchissent ensemble et s’ouvrent leurs carnets d’adresse respectifs. Son travail commence à se voir, et elle est contactée par le haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire. Il lui confie une mission début 2020, hébergée par l’association iiLab -qui a depuis fusionné avec Finansol pour devenir Fair- pour doter la France d’une culture commune de l’investissement à impact. Sans être«politique», la spécialiste de la finance y voit une opportunité. «J’ai constaté les silos qui pouvaient exister entre les différents mondes politiques, financiers, académiques, associatifs, de l’économie sociale et solidaire, du monde des valeurs cotées et non cotées : il fallait casser les murs, établir un dialogue ouvert», résume-t-elle. Motivée par une cause qui l’enthousiasme, elle monte des événements, crée des ateliers d’intelligence collective et rédige des rapports: «Doter la France d’une culture commune de l’investissement à impact» et «Investir pour transformer durablement» remis au ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance fin 2020 pour présenter des recommandations coconstruites. «Elle a du cran», sourit Laurence Méhaignerie, fondatrice d’un fonds de capital investissement à impact rencontrée pendant cette période. Il ressort de ces efforts une définition de place de l’investissement à impact. Pour ce qui n’est pas dans les clous de cette définition, Sandra Bernard-Colinet propose l’idée de «contribution à la transformation durable, ce qui permet de rassembler toutes les stratégies d’investissement avec des intensités différentes, à l’exemple de l’échelle de risque, et de jouer sur deux leviers, l’effet spécifique et l’effet volume sans être sectaire.» Remonter de vieux murs Une fois le service après-vente de sa mission effectuée, l’experte en investissement responsable veut également partager son savoir, et enseigne à AgroParisTech ou Dauphine. C’est le moment aussi de penser à d’autres domaines que ceux de la finance. Un domaine viticole en l’occurrence, qu’elle a acquis avec son époux près de Saumur, et qui est couronné d’une forteresse du 12e siècle. «Rénover un monument historique pour le transmettre aux générations futures demande de lui donner une autonomie financière et une visibilité. Les revenus du vin contribueront au financement de la reconstruction du site architectural, les activités événementielles contribueront à la revitalisation du territoire. C’est un cas pratique qui doit permettre de vérifier que ce qu’on prône en matière de démarche impact est faisable, d’en identifier les difficultés et les dilemmes et qui respecte aussi le principe de l’alignement entre ce que l’on dit et ce que l’on fait », explique Sandra Bernard-Colinet. Son vignoble près de Saumur produit du vin blanc et rougeLe domaine est en conversion bio, il y a des ruches, et de la biodiversité représentée par des chauves-souris ou des faucons crécerelles. Les carrières troglodytiques pourront fournir le tuffeau nécessaire à la consolidation de la forteresse et tout le projet permet à sa propriétaire de faire son miel de la culture française avec son ADN asiatique, selon sa formule. Alors quand l’Ircantec, la caisse de retraite complémentaire publique, est venue la chercher pour devenir conseillère en investissement socialement responsable du président, elle a accepté, mais pour un trois-cinquième. Le reste du temps est consacré à la Forteresse de Berrye - son «quatrième enfant» -, et notamment aux vignes, riches d’enseignements. «Dans le vin il y a des bulles spéculatives et des cycles, comme dans la finance: après une période de ‘parkerisation’ du bordelais, on observe aujourd’hui la succession et la mise en valeur et d’autres goûts tout comme les styles de gestion, les thématiques, les indiciels etc…», conclut-elle, en informant qu’elle produit désormais du pétillant naturel.

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