EDF : la gestion d’actifs au cœur du réacteur

La performance et la sécurité du portefeuille d’actifs financiers d’EDF doivent garantir le financement du démantèlement des centrales nucléaires et le stockage des déchets. EDF prépare les cinquante prochaines années.
Thibaud Vadjoux
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Dans un coin de leur tête, les gestionnaires d’actifs d’EDF savent que les revenus de leur portefeuille vont assurer la déconstruction d’un réacteur nucléaire ou la mise en sécurité de déchets pour plusieurs siècles. La loi relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs de 2006 fixe la règle. Les 56 réacteurs existants (et ceux à venir) devront tôt ou tard être démantelés. EDF doit constituer un portefeuille d’actifs dédiés pour financer ces engagements de long terme. L'énergéticien inscrit dans ses comptes une provision liée à la production nucléaire de 62 milliards d’euros pour tout le groupe et de 46,4 milliards d’euros pour la France, à fin 2021. Sur cette somme, une partie sera financée par le cycle d’exploitation soit 1% de la facture d'électricité des ménages. Reste une provision actualisée de 34,3 milliards d’euros devant couvrir pour un tiers la sécurisation des déchets nucléaires de long terme et pour deux-tiers les opérations de démantèlement des centrales. Un portefeuille d’actifs dédiés de 37,4 milliards d’euros (33,8 milliards à fin 2020) couvre à hauteur de 109,3% ces besoins. «Nous sommes comme un fonds de pension avec un portefeuille qui va servir à payer nos engagements futurs », déclare Bernard Descreux, directeur financement et trésorerie d’EDF. Le groupe est serein, les produits financiers permettent de couvrir les charges de désactualisation. Depuis 2004, la performance moyenne annualisée des actifs dédiés ressort à 6,5%, au-dessus du taux d’actualisation des provisions fixé par l’Etat à 3,7% et à 2% après inflation, à fin 2021. Ministère de l’Ecologie Une gestion d’actifs dynamique Le contexte économique et financier a évolué. « Cette année, nous nous attendons à un résultat financier en baisse par rapport à celui de 2021. Les marchés reculent et la hausse des taux va également faire souffrir la valeur du portefeuille obligataire. Le taux de couverture risque de baisser. Mais la hausse des taux va aussi nous permettre de profiter d’un taux d’actualisation plus élevé, diminuant la charge de désactualisation. Quant à l’inflation, c’est le taux réel qu’il faudra prendre en compte », estime Bernard Descreux. Les équipes d’EDF Gestion, qui s’occupent des actifs cotés, sont sur le pont. Elles suivent le cap de l’allocation stratégique validée en 2021 pour trois ans (sauf circonstances particulières). «Nos engagements sont totalement couverts ce qui nous permet de déterminer une allocation d’actifs très dynamique. Nous sommes attentifs aux allocations des fonds de dotation des universités américaines ou d’autres investisseurs de long terme comme le fonds souverain norvégien ou encore le Fonds de Réserve des Retraites », affirme Bernard Descreux qui était auparavant directeur de la division gestion d’actifs cotés d’EDF. Pour 2025, le portefeuille d’actifs dédiés cible 30% d’actifs de rendement, composés d’actifs d’infrastructures et d’immobiliers ; 40% d’actifs de croissance, composés de fonds d’actions cotées et de fonds d’investissement en actions non cotées ; et 30% de produits de taux, composés d’obligations cotées ou de fonds d’obligations cotées, de fonds de dette non cotée, de créances et de trésorerie.«La poche d’emprunts d’Etat est gérée par la salle des marchés d’EDF en direct, les autres classes d’actifs, actionset crédit, sont confiées par EDF Gestion à des sociétés de gestion sous forme de fonds ouverts, de fonds dédiés ou de mandats», présente Bernard Descreux. Pour ne pas dépendre entièrement des marchés, EDF développe sa poche d’actifs non cotés, soit 8,6 milliards d’euros avec un objectif de 10 à 12 milliards d’euros pour les prochaines années, gérés par EDF Invest. Les infrastructures occupent 75% du portefeuille, investies dans l’énergie (électricité, gaz, pétrole), les transports (autoroute, aéroport, ferroviaire), la transition énergétique (éolien, énergie hydroélectrique, compteurs intelligents) et les infrastructures digitales (réseaux de fibre). L’immobilier représente 14% du portefeuille (bureaux, Ehpad, hôtels, commerces, logistique). Enfin, EDF Invest cible les fonds d’investissement en Europe et OCDE de type rendement et croissance, secondaire, dette (Senior, Unitranche, Mezzanine), LBO ou encore Venture Capital, soit 1 milliard d’euros engagé. Des charges lourdes et incertaines Dans cette équation actif-passif, l’inconnue des opérations de démantèlement reste lourde. Les chantiers de démantèlement constituent des premières pour EDF et même au niveau international. Le groupe français espère d’ailleurs bien en profiter pour se positionner sur un marché mondial du démantèlement nucléaire qui s’annonce énorme. EDF a démarré ces travaux herculéens par 9 réacteurs dans les centrales d’ancienne génération,à Bugey, Chinon et Saint-Laurent. Le groupe estime les coûts de démantèlement de 400 à 500 millions d’euros par an. «Nous comparons régulièrement le coût des opérations de démantèlement avec la provision estimée. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, nous convergeons vers le coût réel des opérations. Le calcul n’est pas juste aujourd’hui mais il le sera demain», déclare Bernard Descreux. Pour le Sénat et la Cour des comptes, les devis réalisés par EDF présentent «une dérive des coûts» et un allongement des délais qui verrait «la fin des opérations au début du 22eme siècle». EDF estime de son côté qu’il a commencé par les technologies les plus anciennes et les plus compliquées et qu’il profitera à l’avenir «d’effets de série et de mutualisation». Ministère de l’Ecologie Les opérations vont se multiplier pour les décennies 2030 à 2050. Le gouvernement (loi relative à l'énergie et au climat de 2019) vise une réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité de 72% en 2018 à 50% en 2035. L’atteinte de cet objectif doit conduire à la fermeture de 14 réacteurs d’ici à 2035. EDF intègre ce scénario. «Le montant des provisions augmente mécaniquement chaque année de 1,2 milliard d’euros sous l’effet de l’actualisation des charges, auquel on peut retrancher, selon les années, 400 à 500 millions d’euros pour les opérations de démantèlement réalisées, développe Bernard Descreux. Les provisions vont suivre une courbe en cloche, en augmentant jusqu’à un pic autour de 2040 avant de redescendre. Mais le pic pourrait être repoussé par le prolongement de vie des centrales existantes ou pour la construction de nouvelles centrales ». Les annonces d’Emmanuel Macron, à Belfort en février 2022, concernant la construction de six EPR pour 2035 et l’étude de huit autres EPR replacent le nucléaire dans la course. Le groupe énergétique doit composer avec l’aléa politique. Les choix étaient différents en 2020 avec la fermeture de la centrale de Fessenheim. Une mise à l’arrêt qui a relevé d’un «processus de décision chaotique », considère la Cour des comptes. L’Etat paiera à EDF une compensation financière pour le démantèlement de la centrale. A ces programmes de long terme, s’ajoutent les difficultés actuelles. L’année commence mal. Les problèmes de corrosion et les travaux d’entretien, retardés par la crise Covid, entraînent l’arrêt de 29 réacteurs. Un problème qui pousse EDF à demander aux Français de réduire leur consommation. Un régime de retraite en France et des fonds de pension britanniques D’autres engagements de long terme occupent EDF. La retraite des salariés du groupe est prise en charge par la Caisse Nationale de Retraite des Industries électriques et gazinières (CNIEG). Le régime a été adossé à celui de l’Agirc-Arrco mais il reste plus avantageux. «Ce surcoût est facturé par la CNIEG aux entreprises de la branche. Nous devons inscrire une provision pour ces engagements futurs», précise Bernard Descreux. Les engagements sont couverts par des contrats d’assureurs. Un mandat de 11 milliards d’euros a été attribué en 2019 à neuf assureurs et à leurs gestionnaires avec une allocation cible de 60% de taux et 30% d’actions et 10% d’immobilier. Un appel d’offres d’un milliard d’euros vient d’être lancé pour le renouvellement d’un autre mandat sur les indemnités de fin de carrière. Installé au Royaume-Uni, EDF doit également couvrir les engagements de retraite de ses employés. Trois fonds de pension existants ont fusionné. «Ce regroupement permet de bénéficier d’une gestion plus efficiente et d’une allocation d’actifs plus adaptée à l’horizon d’investissement », se réjouit Bernard Descreux. La valeur des trois fonds fusionnés s’élève à 13,1 milliards d’euros. Avec ces engagements élevés, en retraite et dans le nucléaire, en France et à l'étranger, pour des horizons de très long terme, EDF joue l'électron libre parmi les investisseurs institutionnels.

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