
Fonds monétaires, une reprise sous contraintes
Un retour à la normale. Ou presque. Les fonds monétaires sortent enfin d’une décennie de léthargie. « Le taux de facilité de dépôt (taux d’intérêt, fixé par la banque centrale, auquel sont rémunérées les réserves excédentaires des banques), d’abord abaissé à zéro en 2012, puis en territoire négatif en 2014, est redevenu positif en septembre et atteint maintenant 1,5 % après la décision ce 27 octobre de la Banque centrale européenne (BCE), rappelle Christophe Boucher, directeur quantitative research & strategy chez ABN Amro IS. Une situation inimaginable il y a encore quelques mois, alors que, fin 2021, la première hausse de taux directeurs de la BCE n’était pas attendue avant mi-2023. »
L’ESTR – le taux interbancaire de référence en zone euro – se situe aux environs de +66 points de base (pb), bien au-dessus de son niveau autour de -58 pb, maintenu depuis plusieurs années, jusqu’au relèvement du taux de dépôt par la BCE en juillet dernier. « Dans ce contexte de tension des marchés de taux, les fonds monétaires ont bien tenu, avec des rendements délivrés qui restent, depuis le début de l’année, légèrement au-dessus de la performance de l’ESTR (-0,32 % en rendement annualisé) pour les principaux véhicules, quand les obligations d’Etat en zone euro dévissent de -17 % sur la même période et que les obligations ‘corporate’ et financières notées ‘investment grade’ en zone euro baissent de -16 % », compare Julien Maio, directeur de la gestion taux chez Crédit Mutuel AM. « Les ‘spreads’ de crédit monétaires se sont certes écartés de 10 à 20 points de base (pb) en moyenne cette année, mais cela reste très inférieur à l’écartement des primes de risque observé sur le crédit ‘investment grade’ obligataire (autour de 60 pb d’écartement cette année). Cela explique que les performances ont bien résisté sur les OPCVM monétaires depuis janvier. Elles devraient continuer à s’apprécier avec la remontée progressive des taux courts et la normalisation des primes de risque crédit », anticipe-t-il.
Volatilité
Cette normalisation monétaire sur fond de réapparition du risque avec des niveaux d’inflation élevés est venue réveiller l’industrie. « Le changement de ton des banques centrales anime la pentification de la courbe des taux, même sur les ‘durations’ courtes. Alors que le marché monétaire s’était figé en 2021, avec très peu d’émetteurs et des rendements à l’émission extrêmement bas dans le sillage d’un excès de liquidités, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à faire appel au marché monétaire, notamment sur le segment 0-3 mois, qui s’était raréfié en 2021 », atteste Sophie Labigne, gérante monétaire chez OFI Invest AM. En France, la fin des prêts garantis par l’Etat (PGE) en juin dernier, même prolongés par le PGE résilience, destiné jusqu’à fin décembre aux entreprises économiquement affectées par le conflit russo-ukrainien, pourrait davantage encore redynamiser l’offre.
« Néanmoins, les taux de ‘swap’ ESTR, qui traduisent le taux sans risque, sont extrêmement volatils, avec des variations pouvant être comprises entre 5 et 10 pb sur une journée, et s’ajustent en fonction du mur de hausses des taux régulièrement annoncées », nuance Justine Petronio, gérante monétaire chez OFI Invest AM. De nouveaux resserrements monétaires sont attendus le 15 décembre prochain. « Si le contexte est porteur pour l’industrie, avec des niveaux d’émission qui décollent et des émetteurs actifs sur des maturités courtes, il nous faut nous couvrir contre cette augmentation des taux », poursuit-elle. Depuis plusieurs mois, les gérants ont couvert la majorité de leur exposition au risque de taux, que ce soit en contractant des swaps de taux (pour échanger un endettement à taux fixe contre un taux variable) ou en investissant davantage sur des titres à taux variable. Globalement, la WAM (weighted average maturity) des portefeuilles, qui mesure leur sensibilité aux variations de taux d’intérêt, a fléchi au cours de l’année, pour être contenue à un niveau historiquement bas, permettant une meilleure immunisation contre les anticipations de hausse de taux. Quant à la WAL (weighted average life), l’indicateur qui mesure la durée de vie moyenne du fonds et reflète sa sensibilité au risque crédit, « elle a été fortement réduite par la majorité des gérants depuis de nombreux mois et devrait rester sur des niveaux bas », poursuit Julien Maio. Historiquement établie à six mois ou plus en moyenne, elle est désormais passée aux alentours de trois mois. « Nous investissons notamment sur des maturités résiduelles de quelques semaines à deux mois en moyenne pour assurer un maximum de réactivité dans la gestion de nos fonds et accompagner la remontée des rendements offerts par les émetteurs », illustre Corynne Roux-Buisson, responsable taux et crédit chez Swiss Life AM. Tant que la BCE ne changera pas de braquet dans sa lutte contre le risque inflationniste de la zone euro, les gérants se tiendront éloignés des maturités les plus longues.
Rapport de forces
Sur le front de la sélection sectorielle, les financières, qui pèsent historiquement 70 % à 80 % de l’allocation de l’offre monétaire, resteront le morceau de choix. « Les banques représentent un important gisement de papiers et les niveaux offerts s’apprécient, tirés par la hausse des taux et des ‘spreads’, poursuit Sophie Labigne, tout comme le secteur du luxe, particulièrement bien noté. En revanche, nous sommes prudents quant aux banques britanniques, au secteur immobilier – dont la hausse des taux viendra abaisser la valorisation des patrimoines – et aux utilities, pourtant revenus massivement sur le marché monétaire depuis la guerre en Ukraine, en raison de leurs fortes émissions de gaz à effet de serre. »
Si les voyants sont au vert, après huit années de taux négatifs, la dynamique de reprise de l’industrie est encore peu tangible. Les investisseurs resteraient timorés. Selon Morningstar, ces véhicules européens ont même décollecté 30 milliards d’euros sur le seul mois de septembre, qui correspond à la fin du trimestre pour les trésoriers. « Ce retour à la normale insufflé par les banques centrales ne change pas grand-chose en termes de rendement réel pour les investisseurs, constate Christophe Boucher. Les rendements réels, auxquels il faut retrancher un niveau d’inflation toujours très élevé, restent négatifs. » « Une fois les frais de gestion pris en compte, leur performance a été négative chaque année calendaire depuis 2016 », appuie Mara Dobrescu, analyste spécialiste des fonds de taux chez Morningstar.
Reste que les gérants veulent croire à un changement de paradigme. Tout d’abord, le rapport de forces entre emprunteurs et investisseurs s’est inversé ces derniers mois. « Les émetteurs bancaires étaient moins incités à émettre sur le segment monétaire puisqu’ils pouvaient jusqu’à présent se refinancer dans d’excellentes conditions grâce aux programmes TLTRO de la BCE, rappelle Julien Maio. Parallèlement, beaucoup d’entreprises s’étaient tournées prioritairement vers le financement obligataire, poussées par des coûts extrêmement bas. » L’époque de l’argent gratuit est révolue, et nécessité fait loi. « Les primes de risques redeviennent attractives et les émetteurs n’hésitent pas à améliorer la rémunération de leurs instruments pour se refinancer dans le marché, afin d’attirer les investisseurs que nous sommes. Nous avons retrouvé du pouvoir de négociation (nature du taux, maturité, etc.) », se réjouit Corynne Roux-Buisson. Autre élément, la période qui s’annonce impose aux entreprises d’être résilientes. « Détenir des liquidités suffisantes leur est essentiel pour faire face aux grands enjeux de demain, poursuit-elle. Nous devons les accompagner dans leurs projets de transformation écologique et numérique. » Plus que jamais, cash is king.


Contenu de nos partenaires
- La Société Générale présente sa nouvelle direction autour de Slawomir Krupa
- Credit Suisse entraîne le secteur bancaire européen dans sa chute
- UBS rachète Credit Suisse pour éviter la contagion
- Fraude fiscale : BNP Paribas, la Société Générale et Natixis perquisitionnées
- Les actions chutent avec les banques américaines
- L’électrochoc SVB met la finance sous tension
- Credit Suisse, trois ans de descente aux enfers
- Les gérants prennent la mesure de la persistance de l’inflation
- Silicon Valley Bank : la chute éclair de la banque des start-up
-
Consommation
La grande distribution tisse sa toile en Afrique
Les hypermarchés, supermarchés et magasins «cash & carry» gagnent du terrain sur le continent face à la distribution traditionnelle. Dopées par l'essor de la classe moyenne, les dépenses de consommation sont en constante progression -
Doctrine
La Russie désigne l’Occident et les Etats-Unis comme des «menaces existentielles»
Moscou a revu sa stratégie de politique étrangère. Le Kremlin érige en « priorité » l'élimination de la « domination » des Occidentaux -
Justice
Brav-M: une enquête ouverte pour «injure publique» à la suite de propos de Jean-Luc Mélenchon
« Nous enverrons ces jeunes gens se faire soigner », avait indiqué le fondateur de LFI, dimanche 26 mars, sur LCI