Trésorerie : tous prêts pour la facture électronique !

Les partenaires se pressent aux côtés des entreprises pour tirer parti ensemble d’une numérisation aussi contraignante que prometteuse.
Benoit Menou
tresorerie

La facture électronique existe déjà, dans le contexte général de révolution digitale en marche, source de bienfaits pour la gestion des sociétés (lire aussi ‘La Parole à...’). Elle s’apprête à connaître un bouleversement en concernant de façon harmonisée l’ensemble des transactions interentreprises (business-to-business, BtoB). L’Etat est à la baguette : avec en toile de fond la lutte contre la fraude à la TVA, il a fixé de strictes règles du jeu du parcours numérique de la facture, optimisant la collecte de l’impôt et source de promesses pour les sociétés. Au 1er juillet 2024, toute entreprise devra s’y conformer en réception de facture et les grandes en émission, envoi que devront respecter les ETI au 1er janvier 2025 et les PME/TPE un an plus tard. Autant dire demain, au regard du chantier à mener : branle-bas de combat !

Le prochain théâtre commun des opérations prend la forme d’un schéma dit en Y (voir l’illustration). L’acheteur et le vendeur forment les pointes hautes du Y, qui s’achève avec le portail public de facturation (PPF) et l’administration fiscale. La facture croisera en chemin les acteurs privés que sont les plateformes de dématérialisation partenaires (PDP), voire les opérateurs de dématérialisation (OD). Un schéma voisin est actif depuis 2020 pour les transactions impliquant une partie du secteur public (business-to-government, BtoG). Mais sans PDP – ou plutôt uniquement avec une plateforme publique unique, Chorus Pro. Ces PDP joueront un rôle central, elles seront certifiées et devront garantir la conformité réglementaire de la facture tout en proposant divers services à valeur ajoutée, en amont comme en aval de la facture. Ce rôle est créé par l’Etat soucieux de prévenir tout risque d’engorgement sur une unique plateforme publique. Ce PPF restera a priori accessible au besoin directement à un nombre restreint de sociétés, avec de faibles volumes de facturations et des fonctionnalités basiques : un service gratuit mais minimal.

DE NOMBREUX ATOUTS

Ce schéma centralisateur fait miroiter des gains pour les sociétés. « Une optimisation du processus de traitement de la facture tout d’abord, permettant de mieux l’envoyer et mieux la recevoir, de mieux payer et d’être mieux payé », synthétise Wim Grosemans, responsable produit en paiements et encaissements pour les entreprises chez BNP Paribas. Davantage de fiabilité, donc : « Dans la plupart des sociétés aujourd’hui, la facture est saisie manuellement, voire par le biais d’un outil OCR (reconnaissance optique des caractères, NDLR), ce dernier encore n’étant pas fiable à 100 % », pointe le directeur général de la plateforme de gestion financière Pennylane, Arthur Waller. Les PDP seront « sources de transparence quant aux statuts d’avancement de la facture : bien envoyée, reçue, acceptée, mise en paiement, notamment. Le prochain système va permettre de structurer les périodes d’inconnu grâce à des horodatages précis », souligne Jean-Louis Glorian, président d’Epithète, éditeur de logiciels de gestion, filiale d’Euro-Information, elle-même filiale technologique du Crédit Mutuel Alliance Fédérale. De quoi « autoriser une gestion anticipée des litiges, qui ne surviennent pour l’heure que trop souvent au-delà de la date d’échéance ». Cette transparence soutiendra la lutte contre les retards de paiement, fléau qui préoccupe les pouvoirs publics. Sans oublier une réduction du coût de traitement.

Pour Pierre Dutaret, cofondateur de la fintech spécialiste du paiement interentreprises Libeo, la facture électronique est en outre « gage d’harmonisation des données, synonyme d’industrialisation de leur exploitation ». Pour une analyse à valeur ajoutée, quand « bien trop souvent aujourd’hui la direction financière doit consentir un travail titanesque pour valider l’exhaustivité et la qualité des informations dont elle dispose ». Avec pour application une meilleure prévision de trésorerie. Cette foule de données centralisées et standardisées ouvre plus largement l’horizon d’affiner le pilotage de la société « en fournissant aux opérationnels des analyses plus perspicaces », selon Arthur Waller.

Cette visibilité accrue pourrait en outre être bénéfique côté financement, mettant à mal le néfaste effet ciseaux de décalage entre sorties et entrées de cash, selon Pierre Dutaret. « La facture électronique généralisée pourrait ouvrir un nouveau marché et améliorer l’offre sur l’affacturage à bien davantage de sociétés », estime Christian Gnanou, directeur des offres paiements à la Société Générale. Les factors œuvrent d’ailleurs activement en ce moment pour évaluer ce que la réforme de la facture peut leur apporter. A ce titre, la nouvelle architecture de la facture, « qui devra garantir l’interopérabilité, permettra de brancher par exemple ces partenaires des sociétés, et même de voir davantage de factoring proposé à la carte quand il est aujourd’hui surtout globalisé », avance Jean-Louis Glorian.

L’accompagnement amélioré des sociétés pourra passer, comme le pressent Wim Grosemans, par nombre d’options à inventer sur la gestion du cash et les moyens de paiement : « Grâce à la disponibilité de davantage de données, nous allons trouver de nouveaux services ou produits, plaide-t-il. La structuration universelle de données de la facture et la transparence quant à son acceptation devraient permettre de rapprocher les processus de paiement au financement, ainsi que diminuer la fraude. Par exemple, cela renforce la pertinence des offres des cartes commerciales et d’autres moyens innovants qui peuvent offrir une garantie et/ou du financement de paiement. »

Quand bien même toute entreprise a ainsi à gagner de la réforme, « car il y a toujours une marge d’amélioration, note Salwa el Yacoubi, responsable produit en paiements euro pour les entreprises chez BNP Paribas, nos grands clients disposent déjà de solutions digitales, ils pourront trouver des gains opérationnels complémentaires. Les petits aux process plus manuels ont davantage besoin d’une solution plus intégrée » pour être parés. D’où le délai qui leur a été accordé à l’envoi de la facture standardisée.

ACCOMPAGNEMENT

On voit aux promesses faites et au schéma prévu que les entrerpsies ne seront pas seules. Nombre de partenaires se pressent déjà à leur chevet en lien avec la nouvelle mouture de la facture. Pour Pierre Dutaret chez Libeo, « le choix d’un bon outil sera déterminant. Et choisir un bon outil, c’est choisir un PDP, qui sera directement relié au portail de l’Etat et maîtrisera l’ensemble des données sans dépendre d’un autre acteur. Les opérateurs de dématérialisation ne seront que les vassaux des PDP, avec à leur disposition des données parcellaires ». Libeo vise ce graal du statut de PDP, en alliance avec un grand nom de la facture que le dirigeant ne révèle pas. D’autres alliances ne manqueront pas de voir le jour pour associer les expertises. A l’image de celle dévoilée le 23 mai entre l’éditeur Esker et, en tant qu’intégrateur, le groupe d’audit et de conseil Grant Thornton. L’ordre des experts-comptables suit cette voie du PDP en étant à l’initiative de la création de la plateforme jefacture.com. Tout comme Pennylane, dont le directeur général évoque la nécessité de maîtrise de l’infrastructure et des données, ainsi que les tarifs élevés pour ses clients s’ils devaient souscrire à une autre PDP.

Toute banque se pose sans doute la question de l’obtention de ce statut ou de l’établissement d’un partenariat, en marque blanche, avec un PDP. « Le marché n’est pas encore mature, nous étudions la possibilité d’avoir ce rôle », indique Christian Gnanou pour la Société Générale. « Il est prématuré de se positionner », abonde Salwa el Yacoubi côté BNP Paribas. Entité technologique au sein d’un groupe bancaire et ayant vocation à servir aussi des clients externes, Epithète affiche, par la voix de son président, sa prétention à devenir PDP. « Ce modèle permettrait à une banque de remonter la chaîne de valeur, au-delà du paiement, relève Christian Gnanou. Le rôle de spécialiste autour de la facture n’était pas jusqu’à aujourd’hui notre terrain de jeu naturel, mais sa digitalisation fait évoluer la donne. Cela permettrait à une banque d’apporter une solution de bout en bout, de la facture au paiement, en proposant toujours des services à valeur ajoutée. »

Le rôle central de tiers de confiance dévoué aux nouvelles plateformes, interdisant tout flux direct de la facture entre vendeur et acheteur, implique de hautes exigences de certification, non encore finalisées. Mais elles passeront par la norme internationale de sécurité des systèmes d’information ISO 27001, et par le label SecNumCloud proposé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) distinguant le respect des bonnes pratiques des opérateurs cloud. Le bal des prétendants sera sélectif.

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