Transition énergétique : financer le désinvestissement des énergie fossiles

Christian de Perthuis, professeur d’économie et fondateur de la chaire économie du climat, Université Paris Dauphine-PSL
Christian de Perthuis, professeur d’économie et fondateur de la chaire économie du climat, Université Paris Dauphine-PSL

Christian de Perthuis, professeur d’économie et fondateur de la chaire économie du climat, Université Paris Dauphine-PSL

Electrification des transports routiers, hydrogène vert, bâtiments à énergie positive… Nous sommes clairement entrés dans une phase d’accélération de la transition énergétique. Le réalignement des flux financiers vers le bas carbone pourrait même s’accélérer avec l’arrivée des banques centrales dans le jeu. Une présence que Greenpeace juge encore timorée, comme l’ont rappelé le 10 mars ses deux parapentistes déposant sur le toit de la Banque centrale européenne une banderole l’incitant à cesser de financer les fossiles.

Au-delà de la performance technique, l’action de l’organisation non gouvernementale (ONG) nous rappelle un point crucial. Depuis un siècle et demi, le système énergétique se transforme en empilant les sources d’énergie les unes sur les autres : vers 1870, il était composé pratiquement exclusivement de biomasse. Cent cinquante ans plus tard, on consomme encore beaucoup de biomasse mais on a ajouté du charbon, du pétrole, du gaz, du nucléaire, des hydrocarbures non conventionnels. Le résultat a été un accroissement massif de la quantité d’énergie utilisée dans le monde.

Logique substitutive

La transition bas carbone implique de rompre avec cette logique de l’empilement en mettant en œuvre une transition inédite à l’échelle historique : non pas ajouter des sources décarbonées aux énergies préexistantes, mais les substituer aux sources fossiles. Ce passage d’une logique additive à une logique substitutive constitue une profonde rupture que l’urgence climatique nous impose de faire en seulement quelques décennies.

Sous l’angle économique, cela signifie qu’il va falloir pendant les prochaines décennies ajouter du capital neuf, mais également retirer le capital productif reposant sur l’usage des énergies fossiles. C’est à ce double mouvement d’investissement et de désinvestissement qu’est confronté le système financier.

Côté investissement, la finance n’a joué qu’un rôle symbolique durant les premières étapes de la transition énergétique. Ce sont les gouvernements et une poignée d’entrepreneurs visionnaires qui ont mobilisé les financements et porté les risques. La finance veut-elle désormais participer à la décarbonation des actifs productifs ? Il convient pour cela qu’elle calcule les tonnes de CO2 émises par les actifs qu’elle détient ou finance, et qu’elle leur applique un prix. Plus ce prix sera élevé, plus le transfert d’actifs vers le bas carbone sera rapide. En l’absence d’une telle balise, prêteurs, investisseurs, régulateurs sont contraints à de perpétuelles gymnastiques pour dissocier le vert du gris et de tous les dégradés qui les séparent. La complexité croissante de la « taxonomie » censée leur fournir un langage commun est là pour nous le rappeler.

Côté désinvestissement, il convient en premier lieu d’évaluer les coûts. Une partie du coût de désinvestissement peut apparaître au bilan des compagnies énergétiques sous forme de dépréciation d’actifs. Une autre est constituée par les actions collectives requises pour reconvertir le capital humain et physique vers les activités bas carbone. Faute de telles actions, c’est un coût social considérable (déclassements professionnels, chômage, précarité, etc.) que va générer la transition énergétique.

Dans le plan de relance européen, le « fonds pour une transition juste », initialement doté d’à peine 10 % des montants programmés dans le cadre du Green Deal, doit financer ces reconversions sur les territoires les plus vulnérables. C’est un instrument utile mais gravement sous-calibré. Il convient de le compléter par la mise en place de financements ad hoc. Dans le sillage de la Banque européenne d’investissement, les banques publiques devraient y jouer un rôle majeur d’entraînement.

Mais ni l’Etat, ni les banques publiques ne pourront financer la totalité de ce désinvestissement. Le nerf de la guerre dépendra aussi de l’existence d’investisseurs de long terme, capables de s’engager dans la reconversion bas carbone du tissu productif par ailleurs fragilisé par la récession. C’est un enjeu crucial tant pour la réussite de la transition énergétique que pour le redémarrage de l’économie post-Covid-19.

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