Financement : les entreprises mobilisent leurs actifs

La fin de l’abondance concerne aussi les liquidités bancaires. Cette nouvelle donne amène les entreprises à mobiliser leurs actifs pour se financer : créances clients, biens industriels, stocks, certificats d’économie d’énergie… les solutions se multiplient. Dans un contexte incertain, où les banques redoublent de vigilance sur les risques, ces financements sur actifs offrent une visibilité et attirent l’attention des fonds de dette privée. « Le marché de la dette bancaire va se durcir pour les ETI, et la dette privée va servir de complément, voire d’alternative, d’autant que les fonds ont accumulé beaucoup de poudre sèche, analyse Olivier Magnin, managing director debt & capital advisory chez Deloitte. Les financements d’actifs (‘asset-backed lending’) vont se développer, dans ce contexte. » En outre, la hausse des taux a conduit à une augmentation significative du coût de financement pour les entreprises qui ne sont pas de niveau investment grade, si bien qu’« il devient plus pertinent de monter des structures avec un SPV (special purpose vehicle) pour un financement qui différencie le risque des actifs de celui du corporate, indique David Chollet, associé, Accuracy. En ce moment, beaucoup d’entreprises travaillent à la mise en place de financements structurés, naturellement sur leurs portefeuilles de créances clients mais également sur tout type d’actifs générant des cash-flows, tels les contrats de leasing. Les conduits de titrisation des banques ont des encours en hausse. »
Les financements bancaires sont certes moins coûteux mais les « techniques d’atténuation du risque » peuvent être mises en place pour des prix abordables. « Les entreprises qui s’adressent à nous ont du mal à trouver des financements bancaires, compte tenu de difficultés passagères ou de tensions qui peuvent venir d’une forte croissance. Les taux de nos financements, de l’ordre de 5 % à 8 %, restent intéressants dans ce cadre, d’autant qu’il s’agit de taux fixes », expose Jean-Baptiste Magnen, de Chetwode. Cette société de conseil structure des financements d’actifs et les propose à des fonds. Elle étend actuellement ses interventions au-delà des financements d’actifs industriels, avec du financement de stocks et des ventes, pour une production d’environ 200 millions d’euros de cette année.
Financements sur stock
Les créances commerciales représentent le principal sujet de financement alternatif et les titrisations sont en augmentation. « Pour faire face à la demande accrue en titrisation de créances commerciales, les banques s’allient souvent, à la demande de leurs clients, à d’autres partenaires et ne financent plus seules les programmes, qu’il s’agisse des tranches senior ou junior », précise Vincent Hatton, associé chez Herbert Smith Freehills.
Après le ralentissement lié aux prêts garantis par l’Etat (PGE), l’affacturage, autre technique de financement de factures, connaît une croissance à deux chiffres et donne lieu à des variantes élaborées : Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels voit monter l’encours du fonds commun de titrisation (FCT) lancé l’an dernier avec son partenaire Pytheas, sur un schéma de paiement de fournisseurs avancé. « Les investisseurs sont intéressés par cette offre car elle permet aux donneurs d’ordre de proposer cette solution à leurs fournisseurs dans le cadre d’une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) », rappelle Ludovic Sarda, dirigeant fondateur de Pytheas.
Les deux partenaires lancent à présent un nouveau véhicule de financement du poste fournisseurs. « La solution a été élaborée à partir des retours d’expérience tirés de notre offre sur le même sujet, Tréso2, explique Frédéric Ronal, directeur des marchés de l’industrie, du transport et de la logistique chez Arkéa Banque E&I. Dans certains cas, il est en effet difficile d’enrôler les fournisseurs, compte tenu du travail administratif que cela réclame. Par ailleurs, Tréso2 repose sur le mécanisme de cessions de créances professionnelles par les fournisseurs, ce qui, juridiquement, s’inscrit dans le dispositif de la loi Dailly, dont l’équivalent n’existe que dans une dizaine de pays en Europe. » Avec Extend, la banque va proposer à ses clients donneurs d’ordre d’allonger leurs délais de paiement ou de préfinancer leurs fournisseurs, sur la base de factures avalisées.
Mais les autres postes du bilan des entreprises suscitent aussi des financements adaptés, en plein développement. « Les financements de stocks et d’équipements industriels se développent beaucoup, les maturités sont plus longues, avec un remboursement in fine, et les solutions sont plus souples », présente Olivier Magnin.
Les entreprises sont plus à l’écoute de solutions de financement sur leurs stocks, compte tenu des surstockages auxquels les ont conduites les ruptures d’approvisionnement liées à la crise du Covid puis la guerre d’Ukraine. « Depuis quelques mois, on assiste au développement des financements de stocks, notamment de la part des banques ayant à refinancer les entreprises qui avaient souscrit un PGE lors de la crise », indique Arben Bora, directeur général d’Auxiga. Les fonds privés s’y intéressent aussi (lire ‘La Parole à...’). « Notre encours atteint à ce jour 80 millions d’euros et devrait dépasser les 100 millions en fin d’année, déclare de son côté Jean-Baptiste Magnen, dont la filiale spécialisée, Chetwode Inventory Services, peut porter les stocks – en produits industriels, matières premières, cosmétiques… – et donc aller au-delà du gage sur stock.
Alors qu’une banque procède souvent sur la base du gage, avec ou sans dépossession, un fonds de dette choisit la solution de la fiducie où une société ad hoc porte les stocks. Cela rassure les investisseurs, notamment les acteurs anglo-saxons. La fiducie représente un outil phare à cet égard. « Avec une fiducie, l’entreprise transfère la propriété juridique de l’actif à un fiduciaire, qui le détient au bénéfice du créancier, expose Benjamin Raillard, associé fondateur de Pristine (ex-Solution Fiducie). La fiducie protège ainsi le créancier et permet de financer des entreprises qui ont du mal à trouver des bailleurs de fonds. D’où son utilisation fréquente en ‘restructuring’ mais aussi quand l’entreprise présente une singularité qui la rend difficile à financer selon un schéma classique. Au total, elle peut concerner un nombre important d’entreprises notées en dessous de BBB+. » Le prix de ce type de financement contribue à son attrait. « Le coût d’une fiducie représente une dizaine de points de base de la dette levée en moyenne, avec toutefois un montant minimal compte tenu de la relative complexité de l’outil à mettre en place, explique Benjamin Raillard. Toutefois, si on la compare au prix d’un dérivé de crédit, autre solution pour se protéger contre le risque de crédit, la fiducie représente un coût très inférieur. » La souplesse, enfin, constitue un argument favorable. « Dans le cadre de la restructuration de PicWicToys au printemps dernier, nous avons mis en place un financement sur stock avec un gage avec dépossession en moins de deux semaines », évoque Arben Bora.
Les investisseurs seront d’autant plus intéressés par les classes d’actifs court terme que les taux vont monter. « Actuellement, des loueurs et des acteurs du financement de stocks cherchent à se refinancer sur le marché, mais les marges des opérations ne sont pas toujours suffisantes pour couvrir le coût de ces financements structurés », observe Vincent Hatton. Par ailleurs, l’arrêt d’activité de Finexkap, spécialiste du financement de créances BtoB, semble montrer que les investisseurs procèdent avec beaucoup de précautions sur ces nouvelles classes d’actifs, surtout pour des engagements à long terme. « Parfois, des investisseurs peuvent avoir du mal à s’engager, dans le contexte d’incertitudes qui prévaut actuellement », confirme Jean-Baptiste Magnen. C’est ainsi que la société se positionne à présent comme une plateforme réunissant différents partenaires asset managers européens, qui lui garantissent un accès à des enveloppes financières sur ses différentes stratégies. Toutefois, la tendance est favorable. « A côté des hedge funds, les gérants classiques sont arrivés sur les financements d’actifs depuis une dizaine d’années et certains ont de très fortes ambitions, trouver des sources de financement n’a donc rien de problématique pour notre activité pour le moment, même si nous constatons une tendance à la hausse des taux et une sélectivité accrue des bailleurs de fonds. » La courbe d’apprentissage classique, en somme…

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