Emmanuel Millard : « Un chef d’orchestre sans partition toute faite »

Emmanuel Millard expose les mutations de la fonction financière à l’occasion de Financium, événement annuel de l’Association des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG), qu’il préside.
Benoît Menou
« Un chef d’orchestre  sans partition toute faite »
Emmanuel Millard, président de l’Association des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG)  - 

Quel est votre message à l’occasion, ce 17 novembre, de Financium, le rendez-vous annuel organisé par la DFCG ?

Après deux années de perturbations dues à la pandémie de Covid, nous avons organisé ce rendez-vous, qui fête ses 20 ans, à 100 % en présentiel, avec un tel succès que les inscriptions étaient gelées un mois en amont. Signe que la communauté des dirigeants financiers avait hâte de se rassembler pour échanger, de façon formelle comme informelle. Et pour se rassurer, car l’horizon est incertain. Mon message à la profession est clair : il faut garder confiance. Nous entrons dans une nouvelle période, compliquée, il faut plus que jamais croire au rôle stratégique du dirigeant financier, il doit tenir la barre. Il est garant des équilibres financiers et doit être toujours plus proactif dans le conseil à la direction générale, faire preuve d’imagination.

Faire preuve d’imagination, c’est-à-dire ?

Le thème de Financium cette année est « dirigeant financier : vers un nouveau métier ? ». De fait, dans toute entreprise, quels que soient sa taille et son secteur, la fonction connaît des mutations. Le dirigeant financier devient un généraliste, il ne vient plus forcément de la comptabilité, de la trésorerie ou de l’audit. Il doit maîtriser les chiffres, certes, mais cela ne suffit plus, il doit gérer des compétences qui ne lui sont pas toujours intuitives. Partout, il est sur le devant de la scène, il doit animer, il élargit son domaine d’action. J’aime le terme de « DAF augmenté ». C’est un chef d’orchestre sans partition toute faite, elle s’écrit au gré des turbulences que nous traversons et des évolutions de notre métier.

Comment s’exercent concrètement ces évolutions ?

Par exemple au travers du digital ou de la RSE [responsabilité sociétale de l’entreprise, NDLR]. La fonction finance intègre de nouveaux outils, qui peuvent aller bien au-delà de son expertise première, comme avec la prochaine obligation de facturation électronique, une exigence qui embarque de nombreuses directions. Le dirigeant financier est aussi toujours davantage sur le pont en matière de RSE, notamment avec l’abaissement des seuils de production de la déclaration de performance extra-financière, la DPEF, jusqu’à concerner les grosses PME. Le dirigeant financier doit également davantage participer à la gestion des ressources humaines, la concurrence pour attirer et retenir les talents est toujours plus vive dans de nombreux secteurs, mais c’est particulièrement vrai dans la finance d’entreprise, surtout chez les jeunes, une population beaucoup plus volatile. Le dirigeant financier n’a pas toutes les cartes en main, il doit penser au parcours, à l’évolution de carrière. On ne parle pas suffisamment de ce défi au sein des sociétés, notamment sous l’angle de l’augmentation de la masse salariale, les directions financières n’échappent pas à la tendance générale. Si une entreprise le peut, elle doit proposer des augmentations. Cela n’est pas neutre pour le dirigeant financier, c’est un élément à intégrer dans le compte de résultat.

De quoi peser sur l’humeur du dirigeant financier ?

Il est certainement aujourd’hui inquiet de la hausse des coûts au sens large, l’inflation salariale en fait partie, tout comme la hausse des prix des matières premières ou de l’énergie. Le directeur financier a le devoir de trouver des solutions pour préserver le modèle économique de son entreprise. Ce n’est pas rien, c’est une gymnastique financière toujours plus exigeante. Concernant l’élargissement de son périmètre d’action, il répond justement à une certaine logique économique. Cela ne suscite pas d’inquiétude particulière, cette dernière est alimentée par le contexte économique. Pourquoi pas, par exemple, réfléchir à une meilleure intégration de la direction des achats avec la direction financière pour une meilleure efficience ? Ou encore intégrer la responsabilité de la RSE dans le cadre du pilotage de la performance globale associant performances financière et durable. Quand on dit RSE, on dit impact, que l’on peut mesurer. En théorie, la RSE doit être une fonction distincte, mais concrètement, dans une grande majorité d’entreprises, de taille intermédiaire notamment, c’est aujourd’hui vécu comme une question de moyens et de montée en charge, la direction financière doit s’en occuper. Pour l’instant. La direction financière ne doit pas revendiquer la mainmise sur ce sujet essentiel. Je ne doute pas que, à terme, la RSE puisse constituer une fonction indépendante. Mais il restera toujours une collaboration, une coordination. La DFCG décerne d’ailleurs, cette année pour la première fois, à l’occasion de Financium, le Prix du financement durable. L’association devait se positionner concrètement par ce biais sur l’imbrication entre finance traditionnelle et développement durable. Ce prix complète ceux déjà existants : ceux de la diversité en direction financière, du directeur financier et du jeune directeur financier.

Quels sont les projets de la DFCG ?

Elle est à la manœuvre pour le lancement de l’association internationale des directeurs financiers, ou « CFO International Alliance ». Avec une vingtaine de pairs européens, africains et américains, nous avions exprimé nos intentions fin 2021 à l’occasion de Financium, nous souhaitons finaliser ses statuts d’ici à mars prochain. Nous avons déjà concrétisé un travail commun, en l’occurrence une réponse, via deux rapports, à la consultation de l’ISSB [International Sustainability Standards Board, NDLR] concernant les normes de publication du reporting de durabilité. Leur principe est naturellement indiscutable, mais il convient de ne pas contraindre abusivement les entreprises, particulièrement les plus petites. Nous ne sommes pas inquiets, mais vigilants. L’Alliance a également créé un groupe de travail sur la fiscalité internationale. La DFCG travaille par ailleurs sur le front de la transformation digitale du contrôle de gestion avec le Cigref, réseau français de grandes entreprises et d’administrations publiques se donnant pour mission de « réussir le numérique ». Et avec l’Adra, l’Association des directeurs et des responsables achats, afin de mieux se comprendre, mieux avancer ensemble, nous avons tous pris une place stratégique dans le pilotage de l’entreprise. La DFCG est associée à la réflexion avec ses pairs à une certification européenne du dirigeant financier. Et l’association reste bien évidemment attentive et disponible pour avancer sur les différents projets en discussion, notamment celui sur le partage de la valeur dans l’entreprise.

Propos recueillis par Benoît Menou

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