Agent des sûretés, un statut encore peu utilisé

L’avis d’expert de Cyprien Feilhès et Calixte Glotin, avocats, cabinet Jeantet
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Cyprien Feilhès et

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Calixte Glotin, avocats, cabinet Jeantet

En 2017 (1), le gouvernement réformait en profondeur le régime de l’agent des sûretés, affichant l’objectif ambitieux de « doter le droit français d’un régime juridique de l’agent des sûretés efficace, permettant de concurrencer les dispositifs existants dans les pays anglo-saxons » (2). C’est ainsi que le 1er octobre 2017, l’arsenal juridique français se voyait doté d’un nouvel agent des sûretés susceptible d’être comparé au security trustee anglo-saxon.

En effet, les acteurs économiques se plaignaient fréquemment des obstacles juridiques et opérationnels de l’ancien statut de l’agent des sûretés : limitation aux sûretés réelles, incertitudes sur sa qualification, désignation par écrit sans possibilité pour des créanciers postérieurs d’en bénéficier, doutes sur l’étendue des pouvoirs et de la responsabilité, etc.

De ce point de vue, l’ordonnance de 2017 a relevé le défi, en créant sept nouveaux articles dans le Code civil corrigeant nombre de défauts du statut. Désormais, il est possible de lui confier la gestion de sûretés personnelles ou réelles, françaises ou étrangères, un patrimoine d’affectation est créé, l’agent des sûretés agit en son nom propre, sans avoir nécessairement besoin de dévoiler les membres du pool bancaire, les modalités de désignations sont souples en restant sécurisantes. Ce nouveau statut de l’agent des sûretés semblait tout avoir pour plaire aux différents intervenants de la place. Il a même été qualifié de « petite révolution » (3).

Trois ans plus tard toutefois, force est de constater que les acteurs économiques ne se sont pas emparés de ce statut. Il semble qu’il puisse y avoir plusieurs raisons à cette lenteur. Tout d’abord, il convient de rappeler qu’une large partie du droit du financement syndiqué est une pratique de place, il y a donc une certaine inertie dans l’évolution de ces pratiques. Cet aspect semble renforcé par un certain attentisme des acteurs du marché sur cette question, qui attendent prudemment d’observer leurs concurrents essuyer les plâtres de ce nouveau régime, qui semble pourtant prometteur et protecteur des droits des créanciers.

Pour s’en convaincre, il convient de s’intéresser aux crédits syndiqués depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime de l’agent des sûretés. Si l’agent peut être une personne morale (ou physique) autre qu’un établissement de crédit, force est de constater qu’en pratique, les établissements de crédit qui prennent part aux crédits syndiqués refusent pour une très large part de supporter la charge d’une mission d’agent des sûretés soumise aux dispositions du Titre III du Livre IV du Code civil. En réalité, le statut issu de l’ordonnance de 2017 se voit souvent rejeté par les établissements de crédit dans les financements syndiqués pour des raisons d’organisation interne.

Le régime issu de l’ordonnance de 2017 serait-il en avance sur la pratique et l’organisation des acteurs du monde financier et des crédits syndiqués ? Il est légitime de se poser la question si l’on prend pour comparaison la réception en pratique de la fiducie et sa perception par les acteurs de la Place parisienne. La défiance vis-à-vis de la fiducie est largement présente car il s’agit d’une opération complexe que les acteurs (en ce compris les établissements de crédit) ont du mal à appréhender en pratique, même si les occasions d’utilisation sont nombreuses (notamment en matière de financements immobiliers).

Le régime de l’agent des sûretés venait ainsi créer un agent fiduciaire titulaire des sûretés et garanties, qui agit en son nom propre au profit des créanciers de l’obligation garantie. Or la faible utilisation du patrimoine d’affectation par les établissements de crédit dans les opérations de fiducie s’explique justement parce que ces acteurs ne sont pas dotés des moyens organisationnels internes aptes à intégrer l’ensemble des paramètres relatifs, notamment, à la gestion des sûretés, dès lors que la mission de l’agent des sûretés est de prendre, enregistrer ou inscrire, gérer, renouveler et, le cas échéant, réaliser les sûretés.

Si la réception du nouveau régime dans la pratique des financements est plus que mitigée et s’effectue comme la réception de la fiducie, il est fort à parier qu’il faudra attendre plusieurs années avant que le nouvel agent des sûretés fasse son apparition dans l’ensemble des financements syndiqués.

(1) L’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017 prise en application de l’article 117 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. (2) Exposé des motifs - LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

(3) V. Barbier, « Le nouvel agent des sûretés : une petite révolution au service des crédits syndiqués », Revue de droit bancaire et financier n°4, juillet 2017.

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